10 mai 2020

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#confinement jour 55 à 59 : derniers jours tranquilles à Paris

Mercredi. Un climat lourd s’abat sur les derniers jours du confinement officiel. Officieusement nous sommes déjà dans l’après. Dehors la vie passe de plus en plus vite. Les voitures tracent comme avant, plus vite encore. Je suis à peine sorti en trois jours et j'ai été le témoin de deux accrochages voiture / scooter. Ça promet pour la rentrée. Je ne cours plus et prends de moins en moins l’air. Ça recommence à puer. A mesure que Paris redevient Paris, je me « reconfine » mentalement dans ma détestation standard de cette ville.  Je n’ai pas envie de retrouver Paris ni le monde d’avant. Travail, circulation, nourriture, démonstration a été faite que nos modes de fonctionnement urbains classiques sont absurdes.

Chacun se cale sur la rentrée du 11 mai. Les coiffeurs sont bookés de 7h à 21h sur les deux prochaines semaines et les commerces sont dans les starting-blocks avec leurs procédures sanitaires. On va consommer autrement mais on va consommer bordel de merde !  Le déconfinement, et sa part de pari, nous font basculer dans l’inconnu collectif, le salut de chacun y dépend de l'attitude de tous et inversement. De ce côté, je suis confiant. Je nous trouve bien plus responsables, constructifs et soucieux de l'autre que les criminels et/ou connards qui nous ont menti, puni et sermonné durant deux mois : Le conseiller clientèle en chef cocaïné, le premier inutile, La Castagne, frère Salomon et son Top 50 de la mort, l'incontournable Sibeth porte-parole idéale de ce congrès d'idiots du village... A défaut de masques, en deux mois ces idiots inutiles nous ont construit les fondations d'une bonne société répressive. Le flicage s’installe tranquille sur le dos de l'épidémie. L’application Stop Covid n’est qu’un gadget, un chiffon rouge agité qui cache la philosophie punitive et carcérale de la gestion médicale du déconfinement : le traçage de la population via la « brigade des anges gardiens ». Ce dézingage du secret médical où la délation du cas positif, et des cas "contact" du cas positif, sera récompensée, pue très sérieusement du cul. 

Jeudi. Point presse de la Power Point Action Team. Rien de nouveau, absurdité à tous les étages en république de Baltringuistan. Sur l’école, c’est la schizophrénie en overdrive, la communication des tocards réussit l'exploit d'effrayer élus, profs, parents et élèves. Sur les transports en commun, on est dans le domaine du délirium pensé et conçu par des gens qui considèrent sincèrement que "les gueux" prennent le métro par plaisir. Alors que l’offre de transports devrait être doublée ou triplée à Paris, elle est réduite par deux, les stations de métro sont fermées et la place disponible dans les rames divisée par quatre. Et si ça merde, on ressortira la technologie révolutionnaire de la lutte sanitaire à la française : le PV pour défaut d’attestation d’employeur.

L’angle mort du déconfinement, c’est Paris, la région parisienne et son hyper concentration de tout. Ça ne peut pas être avoué mais la règle des cent kilomètres qui s’applique à tous les Français, y compris dans des zones avec trois cas de Covid, n’a été pensée QUE pour les franciliens.

Vendredi. Ballade avec L. Douceur de nos vacances d’intérieur hors du temps. Brève escapade vers le cimetière, là où mon confinement a commencé il y a huit semaines. La rue de la Gaité est une ville fantôme de western, avec ses bars, ses restos et ses sex shops abandonnés. Le restaurant Comme chez soi va probablement devoir changer de nom, comme la publicité de cette enseigne en décoration qui nous assure que vous allez aimer rentrer chez vous.

Samedi. Le temps se brouille. Orages à venir. La parenthèse se referme.

Que retenir de ces deux mois de confinement au temps élastique ? 

D’un point de vue personnel, je n’ai pas appris grand-chose sur moi que je ne savais déjà. Oui, le chant des oiseux m'est plus profitable que le bruit des hommes. A. et R. m’ont impressionné par leur prise en main des évènements et de la pression : travail, organisation et imagination. Il aura fallu être aux portes de la mort pour enfin parler à P. Depuis, il va mieux comme on peut aller mieux avec une playlist shuffle de pathologies toutes pires les unes que les autres. Il a demandé du chocolat, l'espoir renait. Les poumons ont bien été touchés par le covid, le système nerveux aussi, mais il est passé au travers. Jamais vu un tel organisme. Il est du genre sûr de lui, même dans sa façon de d'envoyer se faire foutre la maladie. 

J'ai eu la confirmation que je n’ai pas la main verte, mon "coquelicot salade" a doublé de volume mais il reste une énigme. Ma cuisine n'est pas un pays pour le vieil escargot. Il est mort. 

Je n’en ai pas appris plus sur ce virus en deux mois et ce malgré la quantité d’information disponible et les tartines lues chez les "experts" comme chez les profanes. Les uns n'ont rien à envier aux autres. On commence tout juste à s’interroger sur la date même de l'arrivée sur le territoire français, hypothèse qui, si elle s’avérait juste, balayerait toutes nos constructions confinées. Et si la première vague n'était pas en fait déjà la deuxième ?  Mais rien ne sert de fantasmer. On ne sait rien et c 'est ça qui est bien. C'est une cure générale d'humilité. Tout n'est que science fiction, limite superstition, le meilleur comme le pire. 

En deux mois, j'en ai appris un peu plus sur la machine d’état. Je ne me faisais aucune illusion sur la fragilité du bazar mais la baraque est bien plus en ruines que je ne le pensais. La république ne tient plus qu’avec une punaise rouillée, trois bouts de scotch et le ciment fragile de notre soumission.

J'ai également la confirmation qu'un pouvoir à bout n'hésitera pas à user et abuser de la répression, et qu'il profite de la confusion des esprits pour se construire une petite société de la surveillance et de la punition, aux petits oignons. Le pouvoir ne sert plus qu'à ça : non pas à nous protéger, mais à se protéger  lui de nous. 

J’en ai appris un peu plus sur notre monde du travail. La majorité de nos boulots « modernes » ne servent strictement à rien, ils peuvent être accomplis n’importe où par n’importe à n’importe quelle vitesse. L’hallucination collective perdure pourtant. Je le savais, il fallait juste l’expérimenter IRL. C’est fait.

Je n’en ai pas appris plus sur le confinement en deux mois. Le confinement n’est qu'une punition collective décrétées par des puissants apeurés (pour eux) pour des erreurs qu'ils ont commises. Le plus effarant est qu'en deux mois nous en faisons maintenant « une normalité sanitaire » et nous sommes prêts à y retourner. Le confinement est le résultat débile et injuste d’une anomalie criminelle de gestion. Stupide processus autoritaire et infantilisant qui réussit l’exploit de nous angoisser encore plus à la perspective de le quitter. Un jour prochain on s’interrogera peut-être sur l’âge moyen des décès constatés et le fait que ce sont les pays où il y a le plus de personnes âgées et très âgées qui présentent le plus de victimes. En clair, l’acharnement à vouloir vivre très vieux, après une vie où l’on n’a globalement fait attention à rien en termes d’alimentation et de santé, est une des raisons de la paralysie des sociétés occidentales au printemps 2020. Cette gestion sanitaire est à l’image de notre vision de la médecine : soigner au dernier moment au lieu de prévenir. La médecine étant un bien de consommation comme un autre, on exige du résultat quel que soit l’état de santé du patient. Les industries pharmaceutiques poussent évidemment dans ce sens. Le médicament rapporte plus que la façon de ne pas en avoir besoin. De ce côté là, nous ressortons de la crise comme nous y sommes entrés : sans avoir évolué d’un pouce. Ah si, on téléconsulte désormais... A bien des égards, la terreur du virus ayant éloigné les français des cabinets médicaux et des centres de dépistage d’autre pathologies, causera beaucoup de dégâts. Ils seront lissés dans le temps et n'auront pas le privilège d'une édition spéciale de deux mois sur BFM.

Pour le reste, comme pour expier son insouciance hivernale, en intraveineuse d'alerte info, l'être humain, qui a peur de son ombre, s'est construit une nouvelle terreur : la peur irrationnelle de mourir de ce virus (alors que tu as à ce jour toujours plus de chances de mourrir écrasé par une ambulance). Les croyances, la peur, les pratiques à respecter : combien de temps resterons-nous accrochés à cette religion ?

Soulagé de tourner la page de ce "journal de confinement" qui n'a pas évolué comme je l'imaginais, plus politique et moins intime. Ça ce sera peut-être pour après, on ne peut pas tout dire en temps réel. Cette période m'aura permis de renouer avec le blog, avec vous et les copains blogueurs aussi et ça c'est bien. Il faut avouer aussi que cette nullité d'état, quelque part entre Black Mirror et le Gendarme à Saint-Tropez, méritait d'être consignée au chapitre prélude au fascisme dans la grande encyclopédie de la connerie.

Je m'apprête donc comme vous à revenir sans joie aucune dans le monde d'avant, en pire ou pas. Il sera ce que nous en ferons. En équilibriste. S'accrocher à la volonté de changer le monde, mordre aux mollets les méchants et parallèlement chercher son prochain lieu d'assignation pour l'été.

Pour l'instant, la priorité c'est de revoir en vrai ceux et celles que l'on aime et de leur dire qu'on les aime...

...et de quitter la ville.

A tout à l'heure.







Les jours d'avant :

3 comments:

Anonyme a dit…

Grand salut, Seb. Ici Chateau Rouge (sur Twitr), pote de Gildan (IRL). Grand salut à toi, pote de manif. Merciii perpétuel pour ton blog, dont j’ai guetté et lu chaque billet avec passion. J’approuve tes conclusions de ce jour à donf. Incroyable histoire de P., on dirait le mien (tout autre contexte mais résistance idem). Et bravo pour ce vocable « Baltringuistan », je l’inclus dans mon lexique si tu veux bien.
Vive le ciel des Charentes,
Vive notre colère,
À bientôt j’espère.

Anonyme a dit…

Merci pour ce journal de confinement..superbement écrit et intéressant.
Sylvie

Zoë Lucider a dit…

Ce temps hors temps m'a permis de vous lire tous les jours. merci de cet accompagnement confiné que vous étiez à Paris que j'ai quitté il y a 25 ans par dégoût de la ville et désir d'espace et de lumière.
A bientôt

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