Des anglais dont, rappelons-le, le dynamisme économique et l'imagination immobilière plébiscités par un certain président
en début de quinquennat reposaient sur deux fondations :
l'accession à la propriété individuelle à tout prix et le développement de la finance décomplexée (et comme dirait Mr Subprime de Cleveland, Ohio dormant depuis 2008 à l'arrière de sa
Hyundai : "
toute relation de cause à effet serait fortuite ou involontaire"). Avant d'être une cause du cataclysme économique qui nous traverse,
enrichir les riches en entretenant le désir des pauvres de le devenir est un mode de gouvernance occidental. Il est permet à certains de se goinfrer tout en ralliant à leur cause, strate par strate jusqu'aux moins fortunées, les classes moyennes téléguidées par les émissions immo d'
M6. Ainsi
le besoin basique d'un toit est devenu "un projet immobilier" : culte commun encouragé par les banques et relayé par les médias, permettant à une frange de la population de compenser, via le fantasme de la valorisation perpétuelle de leur propriété, la stagnation de ses revenus et de ses conditions de travail et
son déclassement tandis que la génération de ses parents, déjà détentrice de capital et d'un patrimoine, s'enrichit comme jamais à l'ombre de niches fiscales taillées sur mesures.
Et ainsi gonfle la "bulle", garantie d'une relative paix sociale pour les gouvernants
tant qu'elle ne génère pas trop de rebuts (
surendettés, locataires, mal-logés, SDF).
Pourquoi donc stopper cette belle science du rêve ?
Tadam ! Enter l'"
innovation" britannique qui fait triper
Atlantico. Le premier ministre
David Cameron a évoqué l'idée de céder gra-tui-te-ment des terrains en friche (appartenant aux municipalités dans des zones de forte tension urbaine)
à des promoteurs privés pour qu'ils les construisent et les remboursent, si possible, après la vente des appartements. Révolutionnaire ! Et tant qu'on y est dans l'innovation :
pourquoi ne pas s'endetter un peu plus pour rembourser des banques en faillite hein ?
S'amputer de telles recettes en plein tabassage d'austérité[1] (provoquant zéro rebond d'activité en UK et le contentement des Anglais au point d'organiser spontanément des
bûchers d'allégresse dans leurs banlieues)
est juste une insulte de plus faite au peuple. Certes, en mode libéral, il ne faut jamais parler de collectivité ne percevant pas assez mais d'individus trop coûteux.
Et H.Serraf de prendre en exemple
les prochains Jeux olympiques de Londres qui ont fait sortir de terre "
des milliers de logements" des quartiers les plus déshérités. Gageons qu'il ne seront plus déshérités très longtemps puisque c'est précisément dans ces quartiers que l'on a
expulsé les plus pauvres pour bâtir des temples à la gloire du patriotisme, du muscle et de la baballe
dont les 8 milliards de livres sont réglés par les un peu moins pauvres (tiens là, je sens que je regagne les suffrages libéraux). On aurait pu utiliser depuis des années le dixième de ce pognon pour réhabiliter les taudis existants et construire du logement social sans passer par la case JO[2].
Mais non trop simple. Euh... pardon contre les lois du marché.
*
Demandons-nous plutôt pourquoi ces terrains en friche dans des zones de forte demande n'ont pas été vendus plus tôt par les municipalités ou, mieux, déjà transformés en
habitations sociales ?
Le réponse tient en un mot : "gentrification". Les richesses s'hyperconcentrent. On ne veut plus de pauvres dans les capitales. Point barre. Des espaces verts, de
la piste cyclable, des voitures électriques, des jeux olympiques oui.
Du gueux non (enfin, on en tolérera toujours quelques-uns pour construire les stades et les immeubles en question).
*
On peut également s'interroger : en quoi il serait moins déraisonnable et "
innovant" de donner des logements aux travailleurs à revenus modestes en leur faisant confiance pour "
rembourser après" que de céder du terrain pour rien à un secteur mondialement réputé pour sa transparence, son sens du social et son honnêteté?
Faut-il en conclure que les gouvernements ont perdu toute croyance dans un individu moyen pouvant s'enrichir sur la base de son seul salaire?
*
Pourquoi l'Etat donnerait-il là où il peut ordonner (après tout il ne se gène pas avec les individus) ? Donner du terrain au secteur privé au moment précis où le m2 est au plus cher alors qu'il peut lui ordonner la construction de programmes immobiliers après un appel d'offre serré, en promettant une part seulement de la gestion ? Il y a là un mystère que je m'explique pas autrement que par : "houlala, on ne veut surtout pas que ça change, mais faut pas le dire alors appelons-ça de l'innovation".
J'étais donc à deux doigts de faire un petit billet de réponse pour exposer combien cette promesse d'étrenne au merveilleux monde humaniste de l'immobilier privé au moment où le mal-logement explose (après 30 ans d'un laxisme coupable de l'Etat dans le secteur) était aussi stupide que de comparer Londres, la mégapole sans fin, avec Paris, le village ultra-dense enclavé dans sa barricade en béton[3],
lorsque je tombai sur un autre article de
Libération relatant
un entretien avec François Hollande. Interloqué (
enfin pas vraiment), j'y découvrais que le candidat à
la primaire socialiste défendait
à peu de choses près la même ligne que l'éditorialiste d'Atlantico !
*
"
Sur les terrains publics, Etat, SNCF, RFF, etc., la seule bonne position, c'est que l'Etat accepte ne pas avoir de rentrée immédiate, donc de libérer ces terrains pour les collectivités locales, avec des baux emphytéotiques ; c'est la bonne formule. Finalement, ce préfet [
Daniel Canepa qui a évoqué cette piste pour la région Ile-de-France]
n'est pas si mal... Faut-il encore que cela se fasse, mais ce n'est pas lui qui décide. C’est le ministère des Finances, mais pas seulement, la SNCF et tous les organismes publics sont également concernés. C'est donc la seule façon. Mais si l'Etat ou les organismes publics cèdent ces terrains-là, avec un bail emphytéotique, il faut s'assurer que ce seront bien des logements de toutes catégories que seront construits sur les zones en question."
*
Tout est dans la dernière phrase. Il ne suffit pas de construire pour construire, mais bien de s'assurer que
1 / les appartements soient habités (C'est tout bête, mais c'est quand même le problème numéro un sur Paris)
2 / la mixité sociale y soit garantie sur contrat. Vu que ce sont les mêmes qui ont tout fait depuis dix ans pour qu'aucune de ces conditions ne soient assurées (l'un par rentabilité, l'autre par tranquillité), et nous aussi "
préférant le pragmatisme à l'idéologie", nous doutons de la finalité de cette "
innovation". Spécialement lorsqu'elle survient dans
une période bénie des dettes pour les prédateurs du privé.
Au nom du triple A et de "
l'imagination" à mettre en oeuvre pour circonscrire les déficits (en décodé :
t'en coller plein la tronche), petit à petit un peu partout en Europe,
ils s'accaparent pour l'euro symbolique des derniers sanctuaires d'un Etat trop soulagé de se débarrasser de l'intendance.
*
En attendant... Lorsque je quitterais mon appartement,
si ce jour arrive,
le proprio m'a déjà prévenu que le loyer prendrait 30% pour le locataire suivant (qui a intérêt à être ambassadeur ou fils de promoteur).
*
Ah le vingtième... ce quartier populaire programmé pour ne plus l'être.
*
[1] arrêtons avec le mot "cure". L'austérité ne nous soigne pas mais nous tue.
[2] D'ailleurs,
quelle capitale retrouvait-on comme candidat majeur face à Londres dans la compétition pour l'attribution des JO 2012 ? Les derniers revenus modestes de Paris ne remercieront jamais assez Luc Besson d'avoir fait le film promotionnel sur Lutèce le plus pourri depuis la création. Imaginons les JO à Paris en 2012 :
le deux-pièces serait passé de 1200 à 2000 euros.
[3]
Principale similitude entre les deux villes : se transformer en citadelles aseptisées pour revenus aisés
privilégiant les touristes aux classes moyennes. Cette purge des pauvres prend les camouflages les plus "bio" et "progressiste", voire "verts" : péage urbain, création de musée ou d'espaces vides... A Londres, le cercle s'agrandit progressivement (la zone de la
congestion charge est la frontière la plus perceptible). A Paris intra-muros, l'éradication des classes moyennes est quasi complète.