Bientôt les municipales à Paris (et, parait-il, dans le reste de La France aussi) : c'est le moment de prendre à bras le corps ce fléau du monde autoproclamé civilisé : le passage piéton en bas de chez moi et les conducteurs qui le forcent neuf sur dix quand je suis engagé dessus. Oui, c'est dans les petites choses du quotidien que se dessinent les fondations du vivre ensemble et les grandes inclinaisons de la chaleureuse civilisation du chacun sa gueule !
Il y a quelques mois la Marie de Paris élargissait les trottoirs de ma rue, réduisant de fait la circulation des voitures à une file. Très bien. Malgré deux mois de marteau-piqueur, j'applaudis toute initiative visant à emmerder les automobilistes. Cela contribue par petites touches à les décourager d'utiliser en ville leurs charrettes à polluer (qu'ils occupent généralement seuls). Et ça marche (tu saisis le jeu de mots ?) : le trafic automobile parisien a baissé de 25% en dix ans. Merci Bertrand ! Ça ne tiendrait qu'à moi (allez savoir pourquoi, ce n'est pas encore le cas), la voiture particulière serait boutée hors de Paris. La moitié des parisiens n'a déjà plus de voiture et seuls 5% des trajets concernent des déplacements Paris-Paris. L'essentiel du trafic est dispensable. Les pics de pollution régulièrement défoncés, à l'origine de milliers de morts, émeuvent encore trop peu. Étonnant au moment où l'on nous impose l'installation de détecteurs de fumée à domicile.
Revenons donc à mon passage piéton quelque part entre Kiev et Caracas. C'est un simple passage, accès autorisé unique, permettant de relier mon côté de la rue à un ensemble de crèches et d'écoles (absolument non indiquées) à proximité. Il est fortement emprunté le matin et le soir, simultanément par les parents et leurs enfants. Point crucial : le passage piéton devance de quarante mètres un feu de signalisation énervant fortement l'homo-automobilus. L'heure est grave, il va perdre une minute si le truc tourne au rouge. Sûr que sur son heure et demie de trafic à touche pare-chocs depuis son pavillon à moitié fini de Cetelem-sur-Dalle (alors qu'il a une gare à trois kilomètres), c'est la putain de minute de trop qui fait déborder le vase d'une vie trépidante (quoique parfois un peu merdique).
A cause du positionnement du passage dans un couloir d'accélération en cas de feu vert, en un an j'ai failli me faire écraser une bonne dizaine de fois, avec ou sans enfants, pour le seul crime d'avoir oser traverser la rue à pied sur un passage prévu à cet effet. La statistique de l'institut pifomètre grimpe en flèche entre 8h et 9h. Durant cette heure grise, proche du moyen-âge mécanique, galvanisé par la libre antenne d'RMC lui assurant qu'il est la victime de la répression routière, du matraquage fiscal et de la dictature socialiste, pressé d'enfin en finir avec son dimanche d'inactivité coupable et de pouvoir à nouveau se libérer par le travail, à la vue de SON feu émergeant vert à l'horizon de son humeur vénère, dans 90% des cas l'homo-automobilus perd sa faculté d'observation du monde ambiant. Le passage piéton disparaît de son champ de vision, et les règles du Code de la route avec. Pouf, a'pu les gens ! L'homo-automobilus, philosophe de la liberté de mouvement perso avec air-bag, GPS et verrouillage centralisé, peut ainsi, suivant son impatience à retrouver son mug Masterchef au service comptabilité, forcer le passage au nez des gamins qu'il ne calcule même pas, ou s’arrêter sur les clous sans éprouver la moindre gêne à bloquer le passage des bipèdes locaux. Ces derniers n'ont plus qu'à se faufiler avec poussette et porte-bébé entre les gaz d'échappement en priant St-Paul-Walker pour que le flux des fats et furieux ne reprenne pas inopinément (sta' dire, dans un monde de progrès, un feu vert ça se rate pô !).
Dernier épisode en date ce matin. Votre rédacteur, n'écoutant que son courage et son Ipod, marche avec assurance sur le passage, alors même que le feu au loin est rouge carmin pour les voitures (je rappelle ici les bases pour nos amis crétins : rouge = ralentir). A sa perpendiculaire déboule conquérante à tombeau ouvert, une Mercedes de classe quelque chose (des années de randonnée parisienne le confirment : l'incivilité de l'homo-automobilus est proportionnelle à la taille de son engin).
Votre rédacteur est donc à mi-chemin sur le passage piéton. La Mercedes classe moche, déjà en évident excès de vitesse, ne montre absolument aucun signe extérieur de décélération. L'individu au volant croise son regard. La dame d'une cinquantaine d'années, clope dans une main volant dans l'autre, n'affiche pas plus d'ébauche d'amorce d'un mouvement de pression sur la pédale de frein que de bonté dans l'expression envers notre trouducus-en-basketus. Votre rédacteur lui fait donc signe d'un bras tendu (certifié sans quenelle) pour qu'elle stoppe sa carriole de merde, rapport que je traverse quoi, et que ce serait trop con de mourir en pleines vacances pour la machine à pointer d'un autre !
Bien sûr, la dame ne s'arrête pas et votre rédacteur esquive le passage avec ce petit empressement pédestre réalisé avec la désinvolture du toréador urbain se remémorant in extremis qu'il ne faut jamais, O grand jamais, sous-estimer la cécité et l’égoïsme décontracté, bref la bêtise de l'homo-automobilus qui va et vient du boulot (alerte écarlate le vendredi après-midi et veille de pont). Mieux encore, votre rédacteur devine un agacement prononcé de la dame maugréant déjà que des bouts de cervelle piétonnière souillent ses jantes et la retardent dans son épopée vers l'émancipation (dont une des finalités est, rappelons-le, de rembourser les traites de ladite Merco). Il peut même lire sur ces lèvres un "non mais oh ça va pas connard tu te crois où enculé de bobo !" prononcé d'une amertume non feinte dans le confort teuton de son habitacle climatisé à l'abri de l’humanité.
N'est pas Schumacher qui veut. Dans le coma, votre rédacteur n'aurait été qu'une donnée statistique de plus, ne provoquant aucun émoi (on est peu de choses). Un rapport d’un assureur nous apprenait la mort de 519 piétons sur les routes en 2011 dont 100 de moins de 14 ans. +7% par rapport à 2010. (Les accidents sont en baisse à Paris en 2012, sauf pour les piétons). En cas d'impact, la dame ne serait pas spécialement inquiétée : ce serait un "accident", elle n'aurait pas eu d'"autre choix que de prendre la voiture", voiture élevée au rang d'"outil de travail". La dame aurait peut-être même le droit à un comité de soutien sur Facebook pour tuer peinard sur la route. Va savoir avec ces torrents d'altruisme nous submergeant ces temps-ci.
Malgré sa lente agonie (25% des européens envisagent désormais de ne jamais posséder de voiture de leur vie), l'homo-automobilus bénéficie encore d'une hallucinante impunité à jouer avec la vie des autres. Pourquoi en arrive-t-on encore à de tels comportements en ville, dans des zones résidentielles, avec des enfants ? Peut-être parce que ces "petites incartades" ne sont pas lourdement sanctionnées, ni même dénoncées, elles sont subies sans plainte et intégrées comme comportement normal par les conducteurs. La différence entre un criminel multi-récidiviste de la route et le type qui SMS en conduisant son 4X4 ne tient qu’à l’opportunité d’un piéton qui passe par là, et ose traverser la rue de son plein droit, là où on lui indique de le faire.
Demain, je vous raconterai comment, alors que je SMSais peinard en écoutant le dernier Snoop Dogg à fond tout en traversant sans regarder une rue que je pensai piétonnière, mais qui s'avéra un peu tard être un boulevard, j'ai failli mourir aplati par le pouvoir de ma seule connerie. On n'est vraiment en sécurité avec personne.
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