Définir l’époque en un mot ?
Cherchons... inégalité, souffrance, boulimie, vacuité, ignorance, égoïsme… chacun ne reflète qu'une facette du drame. « Escroquerie » : en voilà un qui traverse les classes sociales et les continents, que chacun du plus pauvre au plus riche reconnaîtra à sa façon, et qui synthétise la situation.
Sentiment personnellement éprouvé depuis le début du millénaire, avec accélération depuis ses trois dernières années. De l'Euro au Monarque, en passant par ta facture de téléphone mobile dont l'augmentation n'a d'équivalent que l’opacité des raisons de cette hausse à laquelle, vraiment, tu n'as pas "tout compris" : l'air du temps est à l'arnaque. Trop plein d’abjecte, de l’intime au global : il devient impossible de hiérarchiser, d'emmagasiner même, le flot quotidien d'injustices te submergeant. L'époque est un hold-up généralisé. Tous veulent se goinfrer avant le dépôt de bilan définitif de nos maigres certitudes.
Étage intermédiaire avant les gros braquages des "
politiques de rigueur" pour réapprovisionner en jetons les joueurs de poker, j'évoquais dans le précédent article sur
la sécurité que, s'ajoutant à la dégradation des conditions de travail et à la désespérance planifiée du « non-emploi » (sur laquelle il va quand même bien falloir que
tu arrêtes de culpabiliser un jour),
l'un des facteurs de violence ignoré dans la société est l'exponentielle escroquerie de sa sphère commerciale[1]. D'autant plus fâcheux qu'au nom du "progrès" et de "l'alignement sur les autres pays"
[2], elle empiète peu à peu sur les secteurs jadis sanctuarisés.
Au hit-parade de l'escroquerie "à échelle humaine" : le
royal-cheese with cornichons du vol auto-infligé, aux redoutables effets sur le reste de la société (tu remarqueras que les pays où l'économie s’effondre furent préalablement le théâtre d'une belle
bulle de la pierre où les individus ont joué à la spéculation les uns contre les autres avant de se retrouver tous à la rue),
je veux bien entendu parler du crédit immobilier.
[3] Là dessus,
ma position est simple. Elle te préservera des déconvenues et te conférera le minimum de crédibilité requise pour critiquer à longueur de forums les méchants
banksters qui t'ont entubé :
si t'as pas l'argent, et bien t'achètes pas.
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.(4 minutes qu'elle vient de signer. Babette est pour le moment satisfaite par son modèle longue durée : 27 ans minimum.) |
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Mais, niquer les béats embobinés à l'hameçon de la plus-value ne suffit plus. Il a été décidé par nos mafieux pontes, gestionnaires de ressources humaines en période de contraction économique, que tous sans exception, du plus fauché à l'objecteur de croissance, nous passerions à la caisse.
Quelques spécialités sont prévues à cet effet :
-
Le piège des crédits à la consommation aux clauses insaisissables dont la victime ne peut se dépêtrer (il sera alors soumis à une batterie de chasseurs de dette aux méthodes plus ou moins légales.)
- L’engrenage sans fin des agios et des frais bancaires (avec ajout d'un interlocuteur jeune, volontaire et en stage d'assimilation escroc, que l'on fait régulièrement tourner d'une succursale à l'autre pour éviter qu'il s'attendrisse sur l'endetté.)
-
Les augmentations régulières des dépenses contraintes aux justifications les plus abracadabrantes (exemple type :
les hausses régulières d'EDF pour rembourser ses errances spéculatives).
-
L’augmentation du coût de la consommation courante. (Ce qui nous ramène au piège des crédits à la consommation puisqu'il dévient clair qu'au rythme de la hausse de tous les prix
sauf des salaires, surviendra plus vite que tu ne le penses
cette paroxysmique période, aboutissement logiques des démocraties molles et
maquerelles de
la libre concurrence totalement faussée et complètement déloyale, où tu patienteras, sous le regard inquisiteur de 15 vigiles armés, à la caisse automatique de ton
Lideule pour t'acquitter du prix d'un paquet de nouilles de l'unique marque en rayon, avec un crédit au taux dépassant l'usure.)
Autant de situations ressenties comme injustes et sans issue.
Car, oui, il est compliqué d’en sortir si tu suis leur schéma : c’est conçu pour. Pour traiter les causes, pas de secret, on en a déjà parlé. L'heure n'est plus au nettoyage à l'eau précieuse et au coton-tige. Par la loi et une forte détermination politique, il convient dans certains domaines (habitation, nourriture...) de briser les déséquilibres et les spéculations, d'empêcher la propagation aux zones jusque-là préservées (éducation, santé...) d'un ultra-libéralisme qui, sous alibi d'améliorer tout de suite le confort de chacun ou de combler au plus vite l'"insoutenable" dette de l'état, saccage à perpétuité l'existence de tous en les endettant à titre privé sur trois générations.
(Il y a deux escroqueries sur cette publicité pour le crédit immobilier.
Sauras-tu les débusquer ? J'attends tes réponses dans les commentaires.)
Dans l’immédiat, une République attachée au bien-être et à l'apaisement de ses citoyens, pourrait légiférer pour les protéger de ces « petits désagréments »
qui ne font jamais les grands sujets de campagne et qui constituent pourtant l’essentiel de ta vie et le gros de tes découverts mensuels. Mais non. L'inverse se passe. Avec un implacable aplomb, au lieu de t’épauler dans tes vicissitudes de consommateur lésé, l'État assure un cadre législatif garantissant que tu seras dupé,
deep and constantly. Primes, concessions et bonus aux voleurs de grand chemin.
Taxes, crédits à la conso, vigiles, caméras de surveillance et police de la pensée pour les autres.
Politiques de rigueur ou consommation intérieure, le citoyen n'a désormais de valeur qu'en fonction de son potentiel de dépenses. Volontaire asservi depuis un demi-siècle à la machine à consommer, maintenant que le moteur économique européen court vers l'explosion en pièces détachées pour cause de notice de montage en allemand, le citoyen n’a qu’un seul droit : celui de la boucler et de se serrer la ceinture en attendant le crash suivant (car, comme dirait mon conseiller financier, Enzo 3 ans, en assemblant ses legos : - un moment, quand y a pu de briques le château y s'écroule.).
Le problème pour nos gouvernants
: une partie non négligeable d'entre toi, exclue de tout (travail décent-logement potable-espoir crédible) et mal-aimée du monde d’avant qui fait encore sa loi,
a le temps de s’intéresser au mécanisme qui a conduit à cette situation pourrie. Tu pointes ses dysfonctionnements, sa logique pyramidale, son aberration répétée
[6]. Tu commences même à le remettre en cause, toi le déviant du "
meilleur système qui vaille" (pour eux). Voilà que ce discours qui, 10 ans plus tôt, t'aurait fait passer pour un timbré de la secte de Wacho, commence à avoir de l'écho. Certains d'entre toi appellent même les autres à
vider leurs comptes en banque le 7 décembre prochain!
Vraiment, tu ne respectes rien[7].
Pour contrer ces indésirables, l’Etat contribue à t’enfoncer dans une nouvelle ère européenne (à moins que ce ne soit l’inverse) de "l'escroquerie institutionnalisée": une étape supplémentaire dans la, plus si lente, agonie des démocraties occidentales.
Si, à condition de s'intéresser un tant soit peu à la question, au niveau de la dette des états et des crises financières à répétition, l’escroquerie est bien visible. Dans la consommation, c’est moins spectaculaire. Quand l'Etat ne ferme pas les yeux sur les abus, il les encourage:
- En toile de fond du quinquennat, nous avons déjà
le refus des class-actions régulièrement défendu par Christine Lagarde. Les
class-actions (procédures judiciaires collectives contre une marque ou une institution) permettraient, à moindre frais, de venir à bout, avec jurisprudence et fortes indemnités, des abus des banques ou des opérateurs téléphoniques…
A la trappe sur demande du Medef.
- En toute discrétion,
la DGCCRF est dynamitée (là encore on retrouve Christine au service bonnes excuses). C'est vrai, pourquoi s'embarrasser d'un organisme public à même de signaler les dérives et les abus des marchands surtout quand t'es marchand ?
Mais encore. Le magistrat B.Hurel nous rappelait en début de semaine dans
Libération qu'en février dernier, dans la foulée des appels à ne pas acheter de produits israéliens, l'ex-garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie a, en quelques lignes,
criminalisé les appels au boycott de marques sur le critère de l'origine
[8]. Cette décision est
particulièrement inquiétante en matière de liberté publique et le texte enclenche une logique facilement extensible à d'autres domaines :
le devoir de consommer passe avant le droit de s’abstenir de consommer. Tremblez décroissants.
Après le refus du salariat qui, revendiqué haut et fort, te fait encore passer pour un "marginal bon à enfermer" (même si les évènements te donnent raison),
l'appel à ne pas consommer est en passe de devenir un délit.
L'autre jour, j'écrivais en blaguant que viendrait le jour où serait répréhensible par la loi le fait de ne pas regarder la télévision. Je m'aperçois au fil des dépêches que cette perspective n'est plus si folle, que la réalité sera probablement encore plus vicieuse et imaginative. Je suis même persuadé que les appels à vider les comptes des banques seront punis d'une amende bien avant qu'un texte de loi ne marque le début d'un encadrement sérieux de ces établissements de haut vol.
Sur une note positive : on peut prendre le problème à l’inverse. S’il y a besoin de passer en catimini ce genre de textes, c’est qu’il y a inquiétude en haut-lieu. La crise aura au moins ce mérite de forcer l'individu à réfléchir et, je l’espère, à comprendre que les désordres présents ne sont pas le seul fait d’un « pire », ni d'un « empire », d'une « oligarchie », pas plus que d'un « ordre » nouveau ou ancien, mais bien de sa soumission continue aux sirènes et aux dogmes au nom de son confort physique et de sa tranquillité mentale (l'expérience prouvant pourtant qu'agissant ainsi, il rate souvent les deux).
Ils te veulent aveuglé, avide de consommer, désintéressé de l'économie (hormis celle liée à la spéculation personnelle et à ce plan d'épargne retraite individualisée te rendant complice de leurs turpitudes) désabusé du débat politique (hormis un cadre restreint à un catalogue rabâché d'idées "sécurisantes", garanties sans remise en cause des paradigmes actuels) et effrayé par le reste.
Pour son profit électoral et celui financier de ses camarades de classe, l'excitation, le buzz et l'apparente incohérence de ce gouvernement recouvrent
une logique continue de son action : nous rendre esclaves, de gré ou de force, à la consommation sans fin.
Si tu fais un pas de côté et ne rentres plus dans les formules toutes faites, tu repenses la situation au lieu de la subir : le danger commence.
Pour eux.
Ceux, celles en l’occurrence, qui sont capables de passer ce type de lois, de tenir ce type de propos contre le citoyen, ont les aptitudes requises pour te rouler sur le crâne en tank,
Terminator style. Très vite, si rien n’est fait en haut pour relâcher la pression et remettre de l'ordre dans cette escroquerie institutionnalisée contaminant toutes les parcelles de nos vies quotidiennes, l'intenable équation entre voleur et volé se résoudra ainsi :
un des deux détruira l'autre.
[1] Lorsque tu viens de te prendre une 20eme fois "la tête" avec ta banque qui t'a aspiré 200 euros pour un découvert de 14, après une journée de pression au taf passée tête baissée, que tu en es est à ton 43eme appel surtaxé dans l’hydre aux langues hétéroclites des call-centers (où des types aussi mal traités que toi sont rémunérés trois fois moins à te faire tourner en bourrique) pour tenter sans succès de te désabonner d’un service surfacturé que tu n’as pas demandé : tu ne seras pas d’humeur bienveillante. En fait, t’aurais même tendance à sombrer dans la démence ou à en vouloir au premier type que tu croises et dont la tête ne te revient pas. Ce qui facilitera les discours sécuritaires des candidats en campagne.
a
[2] UMP et "identité nationale" = on est les plus beaux. Sauf en économie où, les autres pays ayant étrangement à chaque fois raison, c'est à nous de nous assimiler à leur cadence réformatrice.
[3] pour une étude plus approfondie, je te renvoie à l'excellent ouvrage "Les endettés". 357 pages de rires et de pleurs, dans la joie et l'irrespect le plus complet de la hiérarchie actuelle des valeurs.
a
[4] J'espère que ma signature à la pétition pour enfin avoir un CNBC local avec un vrai tout schuss de l'ultra-over-libéralisme francophone en 24 /24 va porter ses fruits !
[5] Ah oui, je ne sais pas si je t'en ai déjà parlé : tu es le grand perdant de la mutation occidentale en cours depuis 30 ans qui voit (ou plutôt feint de ne pas voir) le passage d’une classe moyenne "confortable", vivant sur ses acquis financiers et sociaux (legs d’une période de croissance qui bat encore, pour ton plus grand malheur, la mesure des médias et des éditorialistes non renouvelés dans ce laps de temps, des principaux partis politiques et des aspirations populaires), à une classe moyenne, redéfinie par le bas, une nébuleuse instable sans sécurité aucune (d'où ta frénésie d'achat immobilier, légende urbaine de l'investissement "sûr"). Cette nouvelle répartition des richesses entre pauvres et riches cachée par le terme "moyen" (signifiant juste le plus nombreux) n’est que l’aboutissement des désordres s'accumulant depuis 40 ans. En pure logique, il ne semble donc pas souhaitable de renouer avec l'économie de ces "30 glorieuses" mythifiées.
[6] En Irlande, les salaires sont baissés, les impôts augmentent sauf les impôts sur les sociétés qui ne sont pas relevés au prétexte que ces "merveilleuses" iraient ailleurs. Stupide spirale qui provoquera encore plus de misère. Mais rien n'y fait, Rue 89 nous apprend que les grandes entreprises préfèrent engager des non-natifs. Parlant plusieurs langues, ils assurent à un le boulot de trois.
[7] Même si, pour les raisons exposées, les comptes vides ne sont plus pour beaucoup une motivation mais une réalité.
[8] "D'autant que si l'on commence à boycotter les produits fabriqués ailleurs, on va vite ne plus rien consommer en France" a dû se dire MAM. Il est cocasse qu'un pouvoir appelant régulièrement à plus de fermeté sur l'immigration soit si prompt à défendre l'ouverture sur les importations.
Illustrations : Radiohead, "Hail to the Thief", flickr : rjseg1, affiche de " Family business" de S.Lumet (1989), capture d'écran de "T2 - Judgement day" de J.Cameron (1992), diverses publicités pour le crédit à la consommation.