L'équipe de "E = aime Fric" vous livre son enquête exclusive au cœur des secrets de fabrication de ceux qui vont faire de votre vie un "paradis fiscal'....
En ce début de printemps 2010 règne un stress positif au TINA, centre européen de recherche scientifique "There Is No Alternative".
Nous pénétrons dans le sanctuaire de l'avidité fondamentale. Ici, depuis quarante ans, les experts en sciences de l'accumulation et de l'exploitation des masses réfléchissent aux diverses possibilités d'enrichissement : Casino boursier, défiscalisations, produits dérivés, spéculations sauvages, ventes à découvert et prix de transfert...
Grâce au CIP (Centrifugeuse Idéologique de Populace), nos chercheurs sont à l'aube d'une révolution scientifique d'envergure continentale appelée "choc d'austérité". Il s'agit de faire entrer en collision 27 pays (au moral enfoui à 100 m sous terre) avec le mur de la rigueur budgétaire.
"- C’est un défi social européen des plus complexes. Il va falloir que les peuples se fassent à l'idée d'une baisse brusque de leurs standards de vie. Pour certains pays qui se la pètent un peu trop, ça va faire mal. Mais on ne leur laissera pas le choix, c'est toute la philosophie du "choc d'austérité"" Déclare un gouvernant que, pour d'évidentes raisons d'anonymat, nous désignerons par ses initiales, DSK.
Dans la salle de contrôle, les banquiers retiennent leur souffle. La tension mêlée d'euphorie est comparable à celle précédant la fin des accords de Bretton-Woods ou, plus près de nous, à celle consécutive au plan de sauvetage des banques (phase test permettant de tester la souplesse et la docilité des états. Ce point se devait d'être acquis avant de poursuivre l’expérience.)
Un scientifique du TINA se montre enthousiaste : "- Au regard du fabuleux travail accompli ces quinze dernières par nos équipes, je ne m'inquiète pas trop."
Les chercheurs s'accordent pour avouer qu'ils sous-estimèrent la fonte du sentiment de classe chez leurs sujets (qu'ils nomment dans leur jargon technique les "particuliers").
"- Le gros de l'effort est fait : Le plus pauvre des particuliers rêve d'I-Phone et de Porsche !" Déclare cet agrégé en abdication morale."- On en est arrivé à ridiculiser l’idée même de lutte des classes ou de syndicalisme chez eux !"
"- Il aura fallu deux générations de propagande intensive mais la patience paye !"
"- Même avec deux revolving sur le dos, ils s'entretuent devant les boutiques au premier jour des soldes pour acheter des pulls à l'effigie de nos marques !" ¨Précise-t on à l'état major du marketing.
"- Nous avons habilement manœuvré. En flattant avec constance leur individualisme, ils n'identifient désormais que moyennement "l'éducation gratuite pour tous" ou "la sécurité sociale" comme des signes extérieurs de richesse mais comme des sources internes de préjudice." Se plait à souligner, avec une pointe de cynisme, ce spécialiste en sociologie de l'égocentrisme.
Nos spécialistes ont toutefois conscience qu'il faut agir vite :
"- C'est un peu comme dans ce film où George Clooney meurt recouvert par une vague géante : nous sommes au cœur de "la tempête parfaite". Les éléments convergent : L’accumulation de minuscules renoncements sur fond de résignation des peuples, un conditionnement encore bien vivace au consumérisme parallèle à une atrophie du sens-critique, un niveau de précarité ambiant suffisant pour les apeurer mais sans les faire mourir de faim [Un de nos experts précise qu'il est primordial que le particulier dispose du minimum vital de superflu jusqu’à son dernier souffle d'exploitation], sans oublier le plus important : Des médias alignés."
La joie de nos scientifiques se mâtine d'inquiétude :
" - Il faut rester vigilant : les gens s’informent et émettent de plus en plus de réserves sur la légitimité de leurs dirigeants et des dirigeants de leurs dirigeants." Confesse un observateur du secteur "prospective".
Après le beta-test grec (nécessaire à la réaction en chaîne), les scientifiques du TINA sont à la veille de la phase d'élargissement aux autres pays européens.
« - C’est une très grande avancée ! Avant nous tapions au portefeuille des particuliers pour mettre au pas les pays, maintenant nous visons directement les pays pour soumettre les particuliers. »
Dans un entretien exclusif, ce professeur en synergie des arnaques nous explique les grandes lignes du "choc d'austérité" :
"- L’intérêt du pays endetté, c'est son taux bien gras. De l'autre côté, grâce à un lancé massif de CDS, sous l'action conjointe des agences de notations, nous provoquons les conditions d'un chaos économique terrorisant le reste de l'Europe et courbant chacun des pays à la logique de l'austérité budgétaire."
Question : Un choc trop rapide entre relative prospérité et franche précarité, ne vous expose t-il pas à des effets insurectionnels indésirables pouvant compromettre l'expérience ?
" - C'est tout l'intérêt de notre accélérateur de particuliers. Nous y recréons les conditions du trou noir mental." Affirme le professeur.
Question : Pouvez-vous nous en dire plus ?
" - Il s'agit de concentrer nos particuliers dans un tunnel circulaire, pour les y faire tourner indéfiniment selon notre logique afin de les rendre, à demande, plus dociles ou productifs. Pour ce faire nous avons besoin de les alléger de toute autre considération morale ou éthique (ce que nous appelons "frottement") que celles assurant la bonne fin de l'expérience. Si cela ne suffit pas, nous recourrons à la force telle que nous l'avions fait inscrire dans la notice d'utilisation" Déclare ce chercheur en aérodynamisme comportemental.
"- Le plus grand danger ? Que les particuliers s'agrègent entre eux, élaborent des alternatives et se fortifient. Jusqu'à présent, par accumulation de radiations télévisées, nous avons réussi à conditionner l'affect et le raisonnement des particuliers. Mais ce n'est pas tout, pour une bonne transmission générationnelle, il s'agit aussi de garantir les conditions d'une éducation déplorable (nos équipes y travaillent) et d'infantiliser les parents. [...] Une fois emprisonnés dans nos théories, les particuliers n’envisagent plus d'autre logique que la nôtre, nous les faisons s’entrechoquer dans les aberrations de système jusqu’à fusion complète de leurs résistances individuelles et collectives. Nous pouvons alors leur présenter une nouvelle solution à "leurs" problèmes : un précipité de synthèse, unique et indiscutable, à base de gel des salaires et des embauches chez les fonctionnaires, de baisse drastique des dépenses publiques, d'allongement de l’âge de départ à la retraite et de hausse vertigineuse de la fiscalité indirecte. Nous appelons cette solution "réformes obligatoires pour s'en sortir", l'autre nom du "choc d'austérité''"
Question : Êtes-vous bien sur que l’accélérateur de particuliers ne fait pas courir un grand danger à l’humanité ? Certains parlent de "fin de l'europe" même de "fin du monde" ?
" - Rien n'arrête le progrès ! On ne fait pas d'homme aisé sans casser des gueux. Et puis, il reste encore tant de misère sur cette planète. Comptez sur notre division "tous les arguments sont bons" pour culpabiliser nos européens et leur rappeler qu'il subsiste dans d'autres continents des gens humbles et travailleurs qui, eux, ne rechignent pas à l'effort. Non mais sans blague ! Notre priorité, c’est l’élite. Sans une misère crasse largement répandue point d’élite digne de ce nom. Grâce à nos composants allemands, le processus s’engage sous les meilleurs auspices. Nous sommes prêts, nous sommes confiants. Nous n'envisageons aucune autre alternative. "
Notre équipe quitte les locaux impressionnée par la motivation des scientifiques. Ce sont des hommes de conviction. Inventifs et toujours sur la brèche, ils guettent dans l'ombre et sans relâche, la moindre des faiblesses humaines et économiques pour la fructifier à leur avantage. A nos atermoiements hiératiques et notre manque de cohésion sociale répond leur solidarité de classe et une inébranlable ligne de conduite au service d'une cupidité sans fin : Une leçon à méditer.
La semaine prochaine dans "E = M Fric, spécial marge", nous nous pencherons sur ce combustible largement répandu, peu coûteux, malléable et 100% naturel : Le travailleur précaire. Un produit d'avenir.
Illustrations :
capture d'écran Close encounters of the third Kind (1977), Columbia. Affiche The perfect Storm (2000), Warner.
En ce début de printemps 2010 règne un stress positif au TINA, centre européen de recherche scientifique "There Is No Alternative".
Nous pénétrons dans le sanctuaire de l'avidité fondamentale. Ici, depuis quarante ans, les experts en sciences de l'accumulation et de l'exploitation des masses réfléchissent aux diverses possibilités d'enrichissement : Casino boursier, défiscalisations, produits dérivés, spéculations sauvages, ventes à découvert et prix de transfert...
Grâce au CIP (Centrifugeuse Idéologique de Populace), nos chercheurs sont à l'aube d'une révolution scientifique d'envergure continentale appelée "choc d'austérité". Il s'agit de faire entrer en collision 27 pays (au moral enfoui à 100 m sous terre) avec le mur de la rigueur budgétaire.
"- C’est un défi social européen des plus complexes. Il va falloir que les peuples se fassent à l'idée d'une baisse brusque de leurs standards de vie. Pour certains pays qui se la pètent un peu trop, ça va faire mal. Mais on ne leur laissera pas le choix, c'est toute la philosophie du "choc d'austérité"" Déclare un gouvernant que, pour d'évidentes raisons d'anonymat, nous désignerons par ses initiales, DSK.
Dans la salle de contrôle, les banquiers retiennent leur souffle. La tension mêlée d'euphorie est comparable à celle précédant la fin des accords de Bretton-Woods ou, plus près de nous, à celle consécutive au plan de sauvetage des banques (phase test permettant de tester la souplesse et la docilité des états. Ce point se devait d'être acquis avant de poursuivre l’expérience.)
Un scientifique du TINA se montre enthousiaste : "- Au regard du fabuleux travail accompli ces quinze dernières par nos équipes, je ne m'inquiète pas trop."
Les chercheurs s'accordent pour avouer qu'ils sous-estimèrent la fonte du sentiment de classe chez leurs sujets (qu'ils nomment dans leur jargon technique les "particuliers").
"- Le gros de l'effort est fait : Le plus pauvre des particuliers rêve d'I-Phone et de Porsche !" Déclare cet agrégé en abdication morale."- On en est arrivé à ridiculiser l’idée même de lutte des classes ou de syndicalisme chez eux !"
"- Il aura fallu deux générations de propagande intensive mais la patience paye !"
"- Même avec deux revolving sur le dos, ils s'entretuent devant les boutiques au premier jour des soldes pour acheter des pulls à l'effigie de nos marques !" ¨Précise-t on à l'état major du marketing.
"- Nous avons habilement manœuvré. En flattant avec constance leur individualisme, ils n'identifient désormais que moyennement "l'éducation gratuite pour tous" ou "la sécurité sociale" comme des signes extérieurs de richesse mais comme des sources internes de préjudice." Se plait à souligner, avec une pointe de cynisme, ce spécialiste en sociologie de l'égocentrisme.
Nos spécialistes ont toutefois conscience qu'il faut agir vite :
"- C'est un peu comme dans ce film où George Clooney meurt recouvert par une vague géante : nous sommes au cœur de "la tempête parfaite". Les éléments convergent : L’accumulation de minuscules renoncements sur fond de résignation des peuples, un conditionnement encore bien vivace au consumérisme parallèle à une atrophie du sens-critique, un niveau de précarité ambiant suffisant pour les apeurer mais sans les faire mourir de faim [Un de nos experts précise qu'il est primordial que le particulier dispose du minimum vital de superflu jusqu’à son dernier souffle d'exploitation], sans oublier le plus important : Des médias alignés."
La joie de nos scientifiques se mâtine d'inquiétude :
" - Il faut rester vigilant : les gens s’informent et émettent de plus en plus de réserves sur la légitimité de leurs dirigeants et des dirigeants de leurs dirigeants." Confesse un observateur du secteur "prospective".
Après le beta-test grec (nécessaire à la réaction en chaîne), les scientifiques du TINA sont à la veille de la phase d'élargissement aux autres pays européens.
« - C’est une très grande avancée ! Avant nous tapions au portefeuille des particuliers pour mettre au pas les pays, maintenant nous visons directement les pays pour soumettre les particuliers. »
Dans un entretien exclusif, ce professeur en synergie des arnaques nous explique les grandes lignes du "choc d'austérité" :
"- L’intérêt du pays endetté, c'est son taux bien gras. De l'autre côté, grâce à un lancé massif de CDS, sous l'action conjointe des agences de notations, nous provoquons les conditions d'un chaos économique terrorisant le reste de l'Europe et courbant chacun des pays à la logique de l'austérité budgétaire."
Question : Un choc trop rapide entre relative prospérité et franche précarité, ne vous expose t-il pas à des effets insurectionnels indésirables pouvant compromettre l'expérience ?
" - C'est tout l'intérêt de notre accélérateur de particuliers. Nous y recréons les conditions du trou noir mental." Affirme le professeur.
Question : Pouvez-vous nous en dire plus ?
" - Il s'agit de concentrer nos particuliers dans un tunnel circulaire, pour les y faire tourner indéfiniment selon notre logique afin de les rendre, à demande, plus dociles ou productifs. Pour ce faire nous avons besoin de les alléger de toute autre considération morale ou éthique (ce que nous appelons "frottement") que celles assurant la bonne fin de l'expérience. Si cela ne suffit pas, nous recourrons à la force telle que nous l'avions fait inscrire dans la notice d'utilisation" Déclare ce chercheur en aérodynamisme comportemental.
"- Le plus grand danger ? Que les particuliers s'agrègent entre eux, élaborent des alternatives et se fortifient. Jusqu'à présent, par accumulation de radiations télévisées, nous avons réussi à conditionner l'affect et le raisonnement des particuliers. Mais ce n'est pas tout, pour une bonne transmission générationnelle, il s'agit aussi de garantir les conditions d'une éducation déplorable (nos équipes y travaillent) et d'infantiliser les parents. [...] Une fois emprisonnés dans nos théories, les particuliers n’envisagent plus d'autre logique que la nôtre, nous les faisons s’entrechoquer dans les aberrations de système jusqu’à fusion complète de leurs résistances individuelles et collectives. Nous pouvons alors leur présenter une nouvelle solution à "leurs" problèmes : un précipité de synthèse, unique et indiscutable, à base de gel des salaires et des embauches chez les fonctionnaires, de baisse drastique des dépenses publiques, d'allongement de l’âge de départ à la retraite et de hausse vertigineuse de la fiscalité indirecte. Nous appelons cette solution "réformes obligatoires pour s'en sortir", l'autre nom du "choc d'austérité''"
Question : Êtes-vous bien sur que l’accélérateur de particuliers ne fait pas courir un grand danger à l’humanité ? Certains parlent de "fin de l'europe" même de "fin du monde" ?
" - Rien n'arrête le progrès ! On ne fait pas d'homme aisé sans casser des gueux. Et puis, il reste encore tant de misère sur cette planète. Comptez sur notre division "tous les arguments sont bons" pour culpabiliser nos européens et leur rappeler qu'il subsiste dans d'autres continents des gens humbles et travailleurs qui, eux, ne rechignent pas à l'effort. Non mais sans blague ! Notre priorité, c’est l’élite. Sans une misère crasse largement répandue point d’élite digne de ce nom. Grâce à nos composants allemands, le processus s’engage sous les meilleurs auspices. Nous sommes prêts, nous sommes confiants. Nous n'envisageons aucune autre alternative. "
Notre équipe quitte les locaux impressionnée par la motivation des scientifiques. Ce sont des hommes de conviction. Inventifs et toujours sur la brèche, ils guettent dans l'ombre et sans relâche, la moindre des faiblesses humaines et économiques pour la fructifier à leur avantage. A nos atermoiements hiératiques et notre manque de cohésion sociale répond leur solidarité de classe et une inébranlable ligne de conduite au service d'une cupidité sans fin : Une leçon à méditer.
La semaine prochaine dans "E = M Fric, spécial marge", nous nous pencherons sur ce combustible largement répandu, peu coûteux, malléable et 100% naturel : Le travailleur précaire. Un produit d'avenir.
Illustrations :
capture d'écran Close encounters of the third Kind (1977), Columbia. Affiche The perfect Storm (2000), Warner.