A l'approche d'une soirée où vont encore probablement raisonner dans les salons carrelés de France, les funestes Partenaire particulier, O mon bateau et démons de minuit, j'apporte ma note discordante au concert des louanges pixelisées enrobant dans leur guimauve émotionnelle ces catastrophiques eighties.
Mardi soir dernier, la propagande discographique servait la contrevérité du discours historique au travers de deux émissions, l'une sur France 3 nommée "la folie des années 80", l'autre sur Virgin 17 intitulée "la face cachée des années 80" relatant la douce amère décennie de mon adolescence aussi peu mystérieuse que totalement exempte de folie.
Attention souvenir de trentenaire : Je me remémore encore ce mois de décembre 1989 et une autre émission déjà commémorative sur ce sujet où Antoine De Caunes relatait à chaud ces années de transgressions et de progrès durant laquelle l'animateur (fils d'animateur et papa de future animatrice) voyait son salaire multiplier par 20. Il donnait rendez-vous au spectateur fin 1999 pour la rétrospective des années 90. Dix ans plus tard, il n’y eut pas d'émission. Un, il ne faut jamais croire la télévision. Deux, il n'y avait rien à célébrer. Même la chute du mur de Berlin appartiendra in extremis aux années walkman et minitel.
Précision temporelle : Les années 80 (dites du porte-nawak sacralisé) débordent leur décennie. Elles démarrent aux dernières lueurs du disco (quand Carlos s'est aventuré au genre) pour se conclure au premier tiers des années 90 englouties par le gros son saturé de la déferlante grunge (conclusion radicalement opposée, donc totalement logique, aux pauvres boucles des boites à beat de la décennie passée).
D'un point de vue artistique, je m'insurge contre ce révisionnisme musical. Non jeune, ne crois pas tes parents s'ils t'affirment que Desirless et Baltimora, c'était génial (surtout qu'il n'y avait que ça du matin au soir à la radio) ! Je préfère 1000 fois la moyenne musicale de ce que tu écoutes aujourd'hui. Sache-le, culturellement parlant je conchie ces eighties où furent larguées sur notre pays en toute décontraction, parfois même au nom de l'art et avec l'aval du gouvernement, les bombes culturelles les plus dévastatrices du siècle dernier.
Pour que l'histoire soit plus pertinente, apprend qu'à cette époque un Ministre de la culture célébrait la publicité comme un moyen noble d'expression artistique, équivalent voire supérieur au cinéma et à la littérature. Vingt après, j'attends toujours le Balzac et le Renoir de la réclame. Jacques Seguela était alors un Dieu (socialiste) vivant, Bernard Tapie allait devenir Ministre de la ville (de gauche). 20 ans après, les deux convertis, plus fortunés que jamais, collent toujours à la vie publique comme la crotte aux Converses. Quant à Jack Lang il est dans les starting-block pour redevenir Ministre de la culture. Ça, je te le certifie : Tu n'as pas fini d'en bouffer des magiques années 80 !
Constat glaçant : Si les années 80 offrirent en cascades de paillettes le pire de l'audio et du visuel, que dire au sujet de la décennie 90 ? Il n’en reste rien. Elle est la photocopie baveuse de la précédente, sa version petit bras, le culte de la performance en moins et le côté sueur de la boite de nuit obligatoire pour tous en plus (avec son cortège houellebecquien de misère sexuelle).
Période tampon entre l’insouciance et la résignation, les insipides nineties contiennent en germe la viscosité pénétrante de cette société névrosée et sécuritaire dont la mélasse se tartinera généreusement à partir de septembre 2001 et dans lequel, jeune, tu es ravi de devenir adulte.
Des années 80, je n’ai gardé que le meilleur : La fuck-you attitude, un plan de carrière envisagé avec le même sérieux que pour une partie de ping-pong amateur, ainsi que le double-vinyl de Prince 1999 sorti en 1982.
Je dois te l'avouer, est-ce l’âge ou l'humeur chiffon mais, pour la première fois, au fil de ce kaléidoscope d'images et de sons, je suis touché par le souvenir de cette décennie du synthétique que j'abordais à 8 ans pour en sortir prétendument raisonnable et formaté. Nostalgie tu n'entreras pas ici ! Pour rien au monde, je ne revivrais cette période dont ces deux émissions hagiographiques plébiscitent l’emballage en omettant de s'attarder aux effets corrosifs de sa substance acide.
Jeune, tu veux savoir à quoi ressemblaient les années 80 que l'on veut te faire aimer ? Regarde l'homme qui nous sert de président, il en est le parfait appartenant-témoin.
Dans le dédale clipesque des références sur ces années qui vantaient l'éclairage halogène 500 watts individuel, faisaient à tout heure de la femme un steak télévisé et déclinaient le fluo à en filer la migraine, je tire ce constat accablé : Même exécrable, même polluée par les impostures et ces innombrables fautes de goût, cette décennie reste à ce jour la plus sympathique des quatre que j’ai traversé.
Ces eighties je les ai prises en pleine face, dans leur version supermarché. Oui, j'avais mon pin's touche pas à mon pote et mon film préféré s'appelait Flashdance. Crois-moi, j'étais atteint.
Tout cela fut, tout cela n’est plus, fort heureusement.
Les années 80 reviennent à la mode ? C’est la preuve par le risible que notre société est vraiment désespérée, en totale panne de projet.
La plupart de ma génération (dont les journalistes qui concoctent aujourd’hui ces émissions élogieuses) est passée à côté du Palace dont elle retrace l'épopée underground à laquelle par définition 99,9999 % de sa classe d'âge n'a pas accédé. Le plus souvent abonnée aux tennis à scratch, aux jeans Wrangler, avec comme seule dope les Dragibus ou les fraises Tagada, elle a probablement aussi raté la révolution de la mode dont elle fait l'éloge et l'héroïque défonce décomplexée des happy-few du Marais.
Comme l'écrasante majorité, elle s'en est probablement tenue aux 45 tours du Top 50, à la branlette sur les photos de Sophie Favier et à la télévision où, la plupart du temps, on ne voyait comme maintenant que Michel Drucker (et ce depuis 1970).
Jeune, soit assuré que cette cure de jouvence pour trentenaires tendant quadras est classique, climatisée par des médias cajolant leurs auditoires. Chaque génération en vieillissant, sacralise les contextes culturel et politique de son adolescence. Dans les années 80, j'ai pour ma part, bien morflé avec les évocations enfiévrées des sixties parentales dont la symbolique qu'ils plaçaient en cette farce qu'incarnait déjà à mes yeux la série B sur santiags nommée Johnny Hallyday, tendait à m'indiquer qu'ils avaient probablement du végéter dans une adolescence tout sauf rock'n roll.
Ne succombe pas jeune, c’est un vieux con de 36 chandelles qui te le dit, ma génération ne décrète jolies et inégalées ses médiocres années 80 que parce que, comme toi je l'espère, elle était insouciante. Avec cette spécificité propre à ma classe d'âge, que nos années de jeunes adultes suivantes furent en comparaison au climat gai et glitter de ces années 80, un interminable hiver (d'ailleurs pas vraiment achevé).
La nostalgie n'est plus ce qu'elle était. Avant, on regrettait ce qui était mieux. Aujourd'hui, on célèbre ce qui fut moins pire.
Et dis-toi que tout ça, c'est rien que pour te faire acheter des compiles et des coffrets dvd !