Au-delà de la collusion d'intérêts, de l'évasion fiscale, de la godwinesque navigation du parti du déni (scandalisé par ces journalistes outrepassant les limites convenues de la flatterie gloussée sur plateau par les Duhamouleurs[1] de chamallow), les réactions sur le terrain au sujet du pataquès Woerth-Bettencourt confirment la cohabitation de plus en plus inconfortable de deux France aux réalités discordantes n’ayant plus en commun qu’un mépris profond l’une pour l’autre.
D’un côté, ceux peinant à boucler leurs mois, du galérien affamé, chair à bosser gratuit, au petit patron se mangeant des redressements fiscaux pour omission de 80 euros, sont légitiment outrés par les sommes sorties en liquides dans des enveloppes, les copinages au sommet, les défiscalisations et les remboursements d’impôts annoncés.
De l’autre, une frange de la population, pas ultra-riche ni même très riche mais plutôt aisée par rapport à la moyenne et certainement plus âgée, déconnectée du quotidien de la majorité des français. Elle partage avec son président une tolérance certaine pour les divers arrangements avec la morale fiscale, car à titre personnel elle a la rage qu'on lui prenne toujours "trop d'impôt".
Chez eux, le Woerth-Bettencourtgate pèse peu.
Ils t’argueront que "c’est pareil à gauche" et jetteront, tels les notables provinciaux des romans de Balzac, un voile pudique sur ces "bazar qui vient d'internet" sur lequel il ne vaut mieux pas trop gratter car au fond, même s’ils ne jouent pas dans la même catégorie, ce serait leur monde des représentations qui s’effondrerait.
C’est à cette part balzacienne, branche Goriot, disons le mot vieille, devant représenter au pifomètre à peine 20% des français, 1% des travailleurs et 45% des suffrages exprimés, appréhendant angoissée sa santé, ses rentes, son patrimoine, les revenus de son patrimoine, et son intégrité physique en mode purement sécuritaire que le monarque s’adressait dans son publi-entretien à domicile avec la Pujade, le 12 juillet dernier.
Depuis, il multiple signes et mots dans leur direction autour de deux axes :
1 / Je garantie les retraites ...pour ceux déjà à la retraite. [2]
2 / Je vais vous protéger des délinquants de la banlieue.... ...dans laquelle vous et moi ne foutons jamais les pieds (d'ailleurs à quoi ça ressemble un délinquant ? Ah oui... Sa voiture est plus belle que la nôtre, c'est scandaleux.)
C’est basique, rarement suivi d'effets, mais, et les précédentes élections l'ont prouvées, dans un contexte de division de l'opposition et de forte abstention : ça suffit.
Le président de la bougïte doit donc entretenir auprès de son bassin favori d'électeurs un dégout plus profond que les affaires d'état ou la jet-démocratie dont chaque français est le baudet : Enter Brice Contrefeux et sa com' de crise sur les gens du voyage (pourtant, à bien y regarder, exemple le plus abouti de la société de flexibilité et de mobilité professionnelle rêvée par le monarque.) labellisé PGDCDPAD, plus grand dénominateur commun de peur à droite.
Et les autres français alors ? Ceux qui s'émeuvent des scandales au ministère, des rétro-commissions véreuses et meurtrières, de la vente à la découpe du service public et autres évacuations musclées ?
Et bien, du seul point de vue humain qui l'intéresse[3], le kikivavotépourmoi : notre monarque s'en carre.
La démographie joue en sa faveur et il lui est relativement aisé d'entretenir un climat de renoncement et de ras-le-bol politique chez ceux qui peuvent lui nuire : les jeunes, les actifs et ceusses à sensibilité, théorique, de gauche.
D'un côté, les dégoutés du vote me demandent régulièrement si, où, quand (mais pas samedi on va voir Inception avé la carte UGC) et comment l'insurrection va venir alors qu'elle est déjà là. Elle prend la forme d'une défiance, diffuse, pragmatique, cruellement rationnelle. On l'appelle société de la demmerde, le type d'insurrection isolée à base de chacun pour soi, toujours sous-tendue par la logique néolibérale, et qui fait les affaires d’un état se débarrassant de tout (sauf, par intermittences opportunes, du service contentieux des faits-divers).
Le film du début de siècle, c'est plus Mad Max que Matrix.[4]
De l'autre, j'en croise des 25/35 ans écœurés par trois années de gouvernance dont ils payent la note (promesses du crédit d'impôt immobilier bafouée, salaires en stagnation pour ceux qui en ont...) mais qui n’envisagent aucune alternative. Ils baissent la tête, cumulant les tâches sans broncher dans des conditions toujours plus exécrables, leur sens de la "lutte sociale" uniquement stimulé dès lorsqu'il s'agit de passer en premier à l'image dans le lip-dub annuel du bonheur de la boîte. Contrats lance-pierre, stagiaires ou salariés d'apparence plus pépères mais en dégradation continue de leur qualité de vie, ils se sacrifient en regardant ailleurs mais surtout pas du côté de la politique.
- le nouveau chef du floor est pointilleux sur les indices de performance.
- heureusement, ce n'est que du temps partiel.
- heureusement, ce n'est que du temps partiel.
Tant que ce beau monde n'est, virtuellement, uni que par la transgression festive ou le craquage de bide sur canapé à la brioche maxi-pitch en jouant à World of guillotine sur des naintendo fabriquées par plus exploité que lui, épongeant une soif d'exister par l'accumulation et le paraître, partageant le dégoût mais pas la rage, le souhait soupiré de voir changer les choses mais surtout pas l'envie de s'y coller : Carlantoinette et le petit frère adoptif des riches peuvent régner tranquilles dans une société pensée, du travail à la santé à l'information, pour et par les vieux de droite.
Face à cette suprématie idéologique, sociale, immobilière et médiatique de la rente et de son modèle d'opulence débonnaire, c'est aux sans voix[5] et aux plus jeunes, considérés par nos ainés comme une "menace", de se faire entendre au lieu de hausser les épaules en rétorquant "oh, de toutes les façons c'est pourri" dès qu'on prononce le mot "politique". Pas de combat à mener sans une identification minimum des troupes. Pas de redistributions des richesses à espérer sans une redistribution préalable de la parole.
Le monarque n’a pas été élu par hasard. Sa vision individualiste de l’homme-entreprise, sa soif de l’argent, sa putréfaction idéologique au service d'un arrivisme sans limite reflétaient un air du temps de 2004-2007 n'ayant, malgré la crise, pas vraiment changé, si ce n’est pour le climat de violence sociale.[6]
Faire voter les vieux de la zone sécurisée, écœurer le reste. Affaires ou pas, chômage au top ou non, même impopulaire, tant qu'il arrivera à susciter un "dégout des autres" plus fort que les ravages de son action antisociale, que l'aspiration à l'embourgeoisement des cadets restera collée aux basques des ainés qui flippent, La France de 2012 poursuivra dans la droite ligne de celle de 2007 ou de 2002 :
Croissance incantatoire, vie rêvée du passé, entre tonfa et formol.
* * *
[1] Alain Duhamel, journaliste, traitant JL Mélenchon de "ringard" chez Chabot en juin dernier, et dont je rappelle qu’il était déjà à la table des animateurs procureurs du "Messieurs les censeurs bonsoirs" de Maurice Clavel un an avant ma naissance il y a, boudiou, 39 ans, merde #jesuisvieux.
[2] Voilà pourquoi ce plan est seulement financé pour une poignée d'années, correspondant au double quinquennat, en puisant allégrement dans le fonds de réserve crée par... Jospin. Tu peux reformer tant que tu veux : Tant qu’il n’y a pas d'emplois et que les salaires ne sont pas plus élevés, bref que l’argent est déconnecté du travail et, inversement, le travail n’est plus une source de revenus décents, il n’y a pas de retraites qui tiennent. Notons donc que les 16 / 55 (ça fait beaucoup) sont les dindons de la farce.
[3] hors le nombre de zéros que lui, ou son interlocuteur, portent en horlogerie suisse au poignet.
[4] Et rappelle-toi... du rom banni au "salarié précarisé en squat" ou au "jeune dans la galère", il n'y a que la catégorie à modifier. Ce gouvernement sans plus d'imagination que de résultats, nous jouera séquelle sur séquelle. C'est la criminalisation du marginal tel que définit par le rentier, c'est à dire au final tout ce qui n'est pas comme lui, qui est en jeu.
[5] Regarde par exemple la presse papier que l'on dit sclérosée. C’est d’une logique implacable : elle livre dans sa majorité ce que son lectorat payant (et qui paye à part les vieux pour le nouvel obs ?) veut lire : la sécurité, la santé, la jeunesse éternelle, DSK, la gestion du patrimoine et la peur de la délinquance.
[6] Rappelons-le : la nouvelle tendance en matière de banlieue, ce ne sont pas les bandes mais les cambriolages entre voisins et les violences physiques, elles, concernent plus souvent les jeunes que les vieux.