Ils sont partout, téléphone intelligent au bout du bras, à s'autoprendre.
Validée par Barack Obama, les Oscars, Christine Boutin et ma voisine du troisième, 2014 est l'année de l'explosion décomplexée de l'onanisme photographique. Cette névrose 4G a un nom, contraction de self et abruti : le selfie.
Elle est loin l'époque où quelques anonymes trouvaient un poil prétentieux que j'ose afficher ma face [à peine photoshopée. NDLR] au frontispice du blog. Comparé à la débauche actuelle d'autoportraits en ligne, je suis désormais un petit joueur. Chacun aura eu loisir depuis de se rentrer sous tous les angles et à ses frais dans la grande base de données de la reconnaissance faciale planétaire.
Mais revenons aux sources.
Que faut-il pour un bon selfie ?
Un minimum de passion de soi et un besoin de reconnaissance se divisant en deux sous-catégories :
1 / l'extension numérique de l'éternel besoin de plaire (se rassurer sur son image en la partageant).
2/ se donner une valeur sur le marché ultraconcurrentiel de la notoriété instantanée en associant sa tronche de cake à un contexte qui la transcende, le selfie de clampin n'ayant au final qu'une valeur marchande limitée).
Dans les deux cas, ça vire vite au crash artistique. Il faut que les vérités soient bloguées : 99% des selfies sont ridicules, le degré d'humour ou d'autodérision constituant dans de trop rares fois la seule qualité du cliché. Sur une note plus technique, précisons qu'un beau selfie se doit d'être laid (une pixelisation baveuse dans une salle de bain glauque, un cadre raté ou un simple contre-jour flou pastelisé à l'Instagram jaune pisse sont des plus).
Pourtant, la selfisation, dérive de l'antique auto-portrait vers la pratique compulsive, devient la marque ultime de ringarditude rézosociale. L'invasion des selfies à la con sur nos TL touche à sa fin et deux grandes tendances se dessinent :
1 / Le retour à la discrétion et l'échange de selfies (ou photos de soi en situation) en cercle fermé.
2 / La radicalisation armée des extrémistes de l'intime, branche autonome.
Et là, on va passer au dur. Une petite entreprise de Grenoble, Squadrone system propose Hexo+, un drone personnel qui vous suit et vous filme, histoire de donner un peu de 3D realtime à votre egotrip. C'est tout simplement la bonne idée qui manquait pour faire de la réalité une prolongation de Facebook et non plus seulement l'inverse. Entre l'animal de compagnie et l'émission de télé permanente dont tu es le héros : le potentiel est énorme. Le drone vise d'abord les performances sportives, mais un esprit pervers [à peine photoshopé. NDLR] ne pourra que se féliciter des gains de productivité offerts aux services policiers, de renseignement, à votre employeur ou à diverses entreprises, honnêtes ou non, dans le suivi à la trace en temps réel des individus.
Le projet est présenté en financement participatif ici.
Souriez, vous vous aimez.
Illustration : Gustave Courbet, selfie, 1843.
Illustration : Gustave Courbet, selfie, 1843.