Comme anticipé l'escadrille médiatique des VRP de la réforme libérale s'est mise en formation pour dézinguer sur les ondes la mobilisation du 9 mars contre l'infâme loi VallsElKhomri. Étonnant comme ceux qui se targuent de vouloir adapter le code du travail à un monde moderne se gaussent d'un million de signatures en ligne. Les journaux télévisés qui sont déjà à la limite du regardable en temps normal donnent envie de savater l'écran (césar d'honneur à David Pujadas qui a chaque prestation pro-Medef gonfle la pétition de 50000 signatures). Il va falloir tenir car ils vont marteler, amadouer, tenter de nous avoir à l'usure en jouant du calendrier, d'autant qu'ils ont la quasi-intégralité des éditorialistes multisupports avec eux et qu'ils vont nous vendre, pour une fois, l'argument de la lutte des classes en prétendant que la contestation est bourgeoise, entendre diplômée (comme si cela préservait du chômage longue durée).
Pour ceux qui ont battu le pavé ce 9 mars à Paris, un constat s'impose : les cortèges sont différents des manifestations habituelles. Bien plus de jeunes, mais aussi un calme déconcertant, une détermination palpable dans des regards sombres. Les phrases qui revenaient souvent : "Ça va au-delà de la loi travail", "c'est la mesure de trop", "ils sont bien décidés à nous faire payer la crise par encore plus de casse sociale...." Le niveau de conscience des raisons de lutter est parfaitement mis à jour, il n'y a pas de manipulation ici, mais des trajectoires personnelles et de l'exaspération. On n'est pas dans le pessimisme de 2010, quelque chose s'est levé là qui déstabilise un gouvernement à cran (le volume de la présence policière autour des ministères rappelle fortement les heures sarkozystes). Comme me le rappelait un syndicaliste l'autre jour : c'est la première fois que l'union se fait aussi vite sur le terrain. "En mai 68, il a fallu attendre quinze jours pour que les syndicats se mêlent de la contestation des jeunes". Ici en quinze jours, nous avons déjà des centaines de milliers de personnes dans la rue (jeunes, salariés du privé et du public, front syndical...).
Hors de sa morgue standard, la seule réponse du pouvoir à ce jour est l'éventualité de "taxer les CDD pour encourager les CDI" (énième pirouette puisque de fait le projet de loi détruit CDI ET CDD en instaurant sans le dire un CDE généralisé contrat à durée éphémère). La rengaine des pro Khomri est simple : les salariés sont des "insiders", des "privilégiés. Tu ne peux pas réduire le chômage ? Détruisons donc le travail. La troisième étape de cette arme de destruction salariale (la première étant la création de l'auto-entrepreneur) sera l'attaque frontale des fonctionnaires. Le récent acharnement du parquet à poursuivre les syndicats en justice (Goodyear, Air France) s'inscrit avec cohérence dans ce grand dynamitage.
Éditorialistes à un Smic par jour et en CDI depuis des décennies d'un côté, politiques déconnectés de l'autre ne connaissant pas plus l'entreprise que le travail et voguant d'un poste à l'autre depuis la sortie de l'ENA, chacun nous vantant la nécessité (pour les autres) de ne pas trop s'accrocher au contrat de travail à durée indéterminée. Se rendent-ils seulement compte de l'indécence ?
Je ne sais pas s'ils ont l'air du temps avec eux, mais ils ont clairement derrière eux trente années d'échecs dans leurs prescriptions économiques.
Illustrations : S.Musset
Illustrations : S.Musset