Et soudain 33 ans après, Purple Rain ressort dans les bacs et sur les plateformes de streaming dans un coffret à prix cassé.
Comme je lis quelques commentaires blasés ici et là, faisons le point :
En toute objectivité, cette réédition est un évènement musical. Point.
Retour en arrière pour ceux qui ont raté les dernières minutes :
Purple Rain est d’abord un film, tourné fin 83 dans la banlieue de Minneapolis avec un budget art et essai et qui sera le gros carton de l’été 84. Un projet fou sur le papier décidé par Prince Rogers Nelson, 25 ans et déjà 5 albums à son actif mais à la diffusion un peu trop limitée à son gout. Prince va se construire purement et simplement sa mythologie sur celluloïd. Un peu sur le modèle de Rocky tourné quelques années plus tôt, le film faussement autobiographique et totalement autoprophétique, raconte l’histoire d’un musicien surdoué, un peu badass et au melon surdimensionné qui va dépasser ses démons, la concurrence et son entourage pour devenir une star. Star, Prince va effectivement le devenir grâce au film et à sa musique composée presque en même temps que le tournage. L’été 1984, le film, l’album et ses singles seront simultanément en tête des classements publics et critiques dans le monde entier. L'ouragan parfait à l'époque du "vidéoclip" roi : le film donnait envie d’acheter le disque, le disque poussait à aller voir le film, et en ressortant du film ceux qui avaient déjà le disque achetaient le maxi-single de Let's go Crazy.
Pour ceux qui ne connaissent pas l’album original, Purple Rain par "Prince and the Revolution" c’est 9 titres dont 9 hits, dans des registres différents liés par un son électrique. Même si ce n’est paradoxalement pas le plus révolutionnaire de ses albums, Purple Rain est un précipité d’énergie, de souffre (le label Explicit Lyrics a été créé à cause de la chanson Darling Nikki), de mélodies et d’efficacité, avec une exécution zéro défaut.
Purple Rain c'est désormais un coffret de 4 disques.
Les 11 morceaux inédits du second disque offrent enfin au plus grand nombre un autre point de vue (moins calibré) sur l’artiste et la diversité des registres qu'il était capable d'aborder sur une période relativement courte (environ deux ans). En marge de la production officielle déjà abondante (un album par an pendant près de quarante ans), nombre de fans le sont restés grâce à une exploitation parallèle d’enregistrements "pirate" et d'une myriade de chutes de studio. On en retrouve quelques unes ici (Wonderful Ass ou Electric Intercourse) avec un son enfin parfait, ainsi que d’autres morceaux jusque là inconnus (notamment une version à tiroir d’une dizaine de minutes de We Can Fuck qui a elle seule justifie le coffret). La sélection des titres inédits ou des versions privilégie moins l’unité musicale que la cohérence avec l’environnement sonore du film (pourtant absent de cette édition). Plusieurs morceaux comme Possessed ou Father’s Song sont entendus dans le film mais ne figuraient pas sur l’album original. Quelque sonorités dans We Can Fuck ou Katrina Paper Dolls évoquent des passages du film.
Le troisième disque se concentre sur les versions "maxis" et les face B de cette période (rien de nouveau pour les fans, mais encore quelques "classiques" à découvrir pour les autres God, 17 days, ou Erotic City).
La cerise sur le gâteau de ce coffret est un DVD du concert de Syracuse filmé en 1985 (lors de la tournée fleuve dans la foulée du film). Plus qu’avec l’album, j’ai compris comme beaucoup d’autres en voyant ce concert dans les Enfants du Rock la même année qu’on dealait là avec quelqu’un d’exceptionnel dans toutes les dimensions du show : chant, improvisation, danse, multi-instrumentiste et un gout prononcé pour la provocation qu'elle soit sexuelle, religieuse ou artistique. Ça ne s’est jamais démenti, du moins sur scène, avec des propositions musicales sans cesse renouvelées, parfois difficiles à suivre, durant plus de trente ans.
Purple Rain sera a double tranchant pour Prince. Si le film et l'album lui ont permis d’acquérir une notoriété internationale, une assise financière et une légitimité artistique illimitée, le record pourpre serait indépassable. Purple Rain devenait aussi un piège, une référence obligée à la moindre évocation de son nom, alors que Prince est tellement plus que « seulement » Purple Rain.
Prince est mort l'an passé. par surprise, à l'image de sa carrière, comme un nouveau concept album. Il n’aurait probablement pas approuvé ce coffret (il avait juste signé pour le remastering de l’album, le disque 1) comme il n’approuvait pas (euphémisme pour "procédure judiciaire systématique") les multiples enregistrements pirates, ni même la simple diffusion sur internet de sa musique. Avec ce coffret, la boite de Pandore est, timidement, ouverte. Nous allons probablement avoir accès à d’autres nouveautés qui se conjugueront toujours au passé. A l’exception de ses concerts, Prince ne regardait pas en arrière. Quand il sortait un album, il en sabordait souvent la promotion. C’était souvent déjà de l’histoire ancienne pour lui, il avait déjà trois ou quatre nouveaux albums enregistrés d’avance radicalement différents. C’est aussi cette énergie, qui semblait inépuisable, qui fascinait ses fans tout autant qu'elle les maintenait dans une dépendance plus ou moins larvée prête à se débrider à la moindre esquisse de sortie d’album ou d'annonce d'une tournée.
L’été de la mort de Michael Jackson, j’avais une conversation avec une amie sur l’éventualité du décès de Prince (hypothèse proprement inconcevable). Je lui répondais que l’on aurait alors l'amère joie d'avoir le reste de nos vies pour enfin tout écouter pai-si-ble-ment et en découvrir encore plus. Voilà on y est. Le spectacle est fini, l’œuvre est achevée, les lumières sont rallumées. On va rester encore un peu là. Histoire de voir s’il y n’aurait pas un truc imprévu qui déboulerait.
Purple Rain Deluxe Expanded, sorti le 23 juin, Warner/NPG, 3 CD/1 DVD, 21.99 euros.
Pour en savoir + :
Purple Fam, histoire d’une addiction à Prince Raphaël MelkiThe Rise of Prince (1958-1988), Alex Hahn, Laura Tiebert (en anglais)
Let’s Go Crazy, Prince and the making of Purple Rain, Alan Light (en anglais)