Au préalable, ayons une pensée pour nos amis "cadres", surtout ceux qui ont voté pour l'UMP en 2007 et qui, entre une prière pour Ingrid et une alerte à la mozarella contaminée, viennent de se faire sucrer par leurs charmants députés
17 jours de RTT.
Mais là n'est pas mon sujet. Quoi que au fond... si.
Revenons sur un récent épisode nocturne. Comme disait Bud Spencer à Terence Hill lors de leur gloire cinématographique : "
Quand faut y aller faut y aller !". Samedi soir, j’ai pris sur moi malgré une grosse fatigue et une humeur de chien pour conduire ma moitié à l’annuelle festivité d’un ancien couple d’homos parisiens, anciens collègues de travail, émigrés financiers en lointaine banlieue dans ce genre de lotissements qui, il y a encore trois ans, leur faisait horreur. James et Michel sont fièrement installés dans un petit bourg coincé entre deux anonymes villes dortoirs de la lointaine banlieue sud.
Le coin est loin d’être le trou perdu qu’ils auraient pu craindre. Pour les mêmes raisons spéculatives propres à Paris, le couple de trentenaires a retrouvé ici plein de gens comme lui, ambitionnant la possession foncière mais n’ayant pas les bourses de la faire en ville.
A l'écart du centre ancien et des commerces, les petits conglomérats de lotissements accolés les uns aux autres ont poussé au milieu des champs. Y règne la promiscuité des habitations qui jouent à touche touche autour d’une voirie étriquée où s’entassent jusqu’à l’impossibilité de circuler les voitures des primos accédants. En compter minimum deux par habitations, généralement il s'agit de grosses cylindrées ou de 4X4 encore plus ridiculement à l’étroit ici qu’à Paris.
Malgré la surpopulation des zones pavillonnaires, il reste tout autour des paquetages isolés de maisons serrées des champs à perte de vue qui ne demandent qu’à être ravagés. A n’en point douter, ces régions déjà bien fournies en salariés enclavés, mais somme tout encore majoritairement en friche, ne sont qu’au début de leurs grands embouteillages.
C’est dans une de ces habitations clonées au fond d’une impasse tournant le dos au champ et avec vue sur mur, que la fête tambourine depuis deux heures son tam-tam tantôt "eighties" tantôt "nineties". J'y suis, dubitatif, allongé dans un transat dessiné par Valérie Damido avec mon assiette de chips. Laquelle de ces deux décennies de la déca-dance* fut musicalement la pire ? Comme dirait M.Emmet Brown, "
c’est le genre de question paradoxale qui peut mettre en danger le continuum espace-temps".
Le
flyer annonçait une assemblée bigarrée faite d’amis homos, de potes hétéros en couples ou célibataires et de quelques voisins. Les homos je commence à cerner, les célibataires y en a plein les bistrots de mon quartier mais ces voisins des champs, branchés et trentenaires respectant à la lettre les codes télévisés des magazines d’M6 de type "
Parce que le bonheur est dans le prêt, j’achète ma maison les yeux fermés pour le décorer presque parfaitement et la revendre à ma nanny avant de finir aigri parce que je n ai plus de pouvoir d’achat pour faire le plein de mes deux 4X4", ceux-là, je piaffais d’impatience de les rencontrer en chair, en os et en baskets de marque.
L’aréopage était composé de quelques homos bien gentillets de deux lesbiennes accompagnées de Bifteck, un petit chiwawa si bien élevé que j’en concluais sans vraiment les connaître que ses maîtresses devaient être des filles biens, et de plusieurs jeunes couples de voisins ouvertement hystériques qui prétendaient à l’ivresse avec leurs succédanés de boissons énergisantes.
D’ivresse il y en eut peu d’autre que celle tolérée par les normes de la bienséance télévisée. Les amis parlaient de choses communes et qui sonnaient obscures. Ils riaient simultanément mus par des déclencheurs si indolores que je ne les percevais pas. Le moment et le lieu réunissaient en un théâtre de banalités tous les préceptes de ces émissions de coaching existentiel :
- La caution esthétique « homos » pour la touche « edgy » dans une soirée à dominante hétéro.
- Le copier-coller vestimentaire - je comptais huit paires de
Converse blanches similaires chez les hommes et des hauts à fleurs identiques sur trois des huit filles présentes -. Vous savez ce que c'est : Quand on aime pas, on compte.
- La décoration soignée de l’endroit qui était l’écrin parfait à tout ce conformisme pixelisé.
J'y dénombrais pèle-mêle : Sur la terrasse à pelouse synthétique, des puits de lumières mauves et retro-éclairés qui humanisaient le béton beige, un balisage des volumes à la mini bougie aromatisée, un massif canapé gris occupant les deux tiers d’un salon blanc cassé et vert pomme, peu de meubles mais beaucoup de gadgets hi-tech, un cadre électronique où se surimposent les photos du bonheur conjugal de nos hôtes homos, une déserte en coffrage de papier mâché, un crêpage de mur aspect « rustique », un écran plat surdimensionné avec son home cinéma surpuissant qui fait juste mal aux oreilles, l’ambiance prairie dans les chiottes et une salle de bain tout de grands carrelages transparents.
Pour la touche finale, entre un «
Têtu, spécial transgression » et le catalogue printemps-été «
Leroy Merlin » régnait bien en évidence sur les rayonnages de la bibliothèque le dernier Marc Levy**.
A son propos, à un moment une fille s'écria :
- Tu l'as lu ?L'autre répondit.
- Oui, c'était génial !Dans notre période sans couilles qui plébiscite en boucle le copier coller et l’éternel retour en arrière, je me demande souvent avec désarroi que pourra t-il rester esthétiquement parlant de nos années zéro ? Quel esthétisme généra de la nostalgie d’ici vingt ans comme le font aujourd’hui les films des années soixante-dix, surtout ceux de science-fiction qui voulaient faire moderne en esthétisant à l’outrance et qui pour cette raison précise feront désespérément « ancien » ?*** Avouons-le, dans vingt ans, à la vue des décorations en décalcomanies ou à l’évocation des bougies parfumées à la vanille qui embaumaient leurs salons éclairés par des lampes à variation de couleurs tamisées, mes amis d’un soir diront des trémolos dans la voix : «
Ah tu te souviens, c’était les années M6 ».
Totale et arrosée de musique ambiancée, les émissions d’M6 leur dictent sur un ton sympa les comportements à adopter en société. Elles les habillent de la tête au pied. Elles les conseillent sur tout, de la façon d’éduquer leurs enfants à la teinte à donner à leur cuisine jusqu’au nombre de rapports sexuels à avoir par semaine.
Soudain, la machine à fumée se mit en branle, les danseurs à
Converse exultèrent en hurlant sur du Martin Solveig. Allongé au bord du précipice aux clichés, au delà du cliché que j’aurais pu clicheter, en les regardant s’évertuer à être joyeux parce que c’est Samedi, j’imaginais que, comme
TF1 fut la chaîne d’une génération qui lentement périclitait avec sa chaîne,
M6 serait à jamais la chaîne de ma génération : Toutes deux montaient pour régner. Dans vingt ans, ma génération se passera en boucle avec nostalgie les émissions avilissantes qui auront fait d’elle la pathétique larve acculturée et vraisemblablement fauchée qu’elle sera devenue.
Sur ce, je suis allé les rejoindre dans le brouillard parfumé. Enfin de la vraie musique : C'était Patrick Hernandez qui hurlait
Born to be Alive !* Merci à anonyme, il se reconnaitra.
** On a trop tiré sur Marc Lévy. Son succès planétaire est porteur d’un message d’espoir pour tous les écrivains oubliés, même ceux ayant perdu l’usage de leurs mains. On peut écrire avec les fesses. *
** Il y aurait moult exemples de ces visions futuristes qui ne réussissent pas à dépasser le fardeau esthétique de leur époque, le plus ironique est peut-être celle d’entre elles considérée comme un chef d’œuvre : "A clockwork orange" de Stanley Kubrick 1971