Cet après-midi là, j'accompagne ma fille de quatre ans au jardin d’enfants. Vu le temps de plomb, ils ne sont que deux : la petite et un gamin du même âge, appelons-le Marc-Antoine. Le garçon est accompagné par une grand-mère chic et échappée des beaux quartiers, et ce qui semble être le père du gamin : un quadragénaire sentant bon le cadre sup. dont l'insistance à ne rien comprendre au concept, pourtant pas bien complexe, du tourniquet m'incite à conclure qu'il doit être responsable financier ou un truc dans le genre.
Le petit Marc-Antoine crapahute sur la cage à poules, enchantant sa Mamy qui capture sous toutes les coutures au Galaxy S à l'étui YSL, les exploits de son héros maladroit.
MAMY NEUILLY
"On va envoyer les photos à ta maman qui est au travail…"
"On va envoyer les photos à ta maman qui est au travail…"
Armé d’un grand bâton de bois mort, ramassé au bordure de square, voilà que Marc-Antoine entame la parade du mousquetaire avec ma fille dans le viseur. Il lui court après en manquant de l’éborgner sous le regard éteint de son père et les extases de sa grand-mère. Je vois le mal partout, mais je ne peux m'empêcher de noter le caractère phallique de l’instant, qui plus est relevé par les propos du garçon. Je cite :
MARC-ANTOINE
"T’as vu mon grand bâton ! J’ai plus le grand bâton donc je suis plus grand que toi !"
"T’as vu mon grand bâton ! J’ai plus le grand bâton donc je suis plus grand que toi !"
Point discutable : ma fifille à son papa étant plus grande que ce petit con. Stoïque, je m’assois sur le banc gardant un œil agacé sur le manège du Dirk Diggler du bac à sable ostensiblement snobé par ma gamine. Elle lui préfère l’ascension d’une cabane à toboggan au sommet de laquelle elle observera, vaguement blasée, ce marquage de territoire.
MAMY NEUILLY
"Lâche un peu ton bâton Marc-Antoine, tu risques de lui faire mal à la petite fille."
C’est vrai, bourgeois ou pas, il serait dommage d’entrer dans des procédures judiciaires et des frais de santé à débourser à cause d'un bout de bois brandit dans un square public. Marc-Antoine consent à baisser la garde.
Bientôt, le garçon ramasse dans une flaque un bonnet dégoulinant abandonné là. L’éponge informe suscite l’intérêt des deux enfants. Mais, devant la crasse du truc tricoté, Marc-Antoine le lance à ma fille en ajoutant un : "Tiens, nettoie-le !". Bon Ok, je range dans ma poche cette baffe qui me démange : Marc-Antoine est avant tout le fruit de son environnement. Cette thèse se trouve validée par la réplique de sa grand-mère :
Bientôt, le garçon ramasse dans une flaque un bonnet dégoulinant abandonné là. L’éponge informe suscite l’intérêt des deux enfants. Mais, devant la crasse du truc tricoté, Marc-Antoine le lance à ma fille en ajoutant un : "Tiens, nettoie-le !". Bon Ok, je range dans ma poche cette baffe qui me démange : Marc-Antoine est avant tout le fruit de son environnement. Cette thèse se trouve validée par la réplique de sa grand-mère :
MAMY NEUILLY
"Oh Marc-Antoine ! Elle me regarde avec un soupir amusé visant à créer une complicité malgré nos différences sociales sur la base idéologique supposée aussi évidente que commune : Comme quoi c’est bien dans les gênes !"
Mamy fourrure sous-entend donc que, tandis que les mini-hommes font la danse du chibre en sortant connerie sur connerie, les femelles, pas dupes, ont déjà intériorisé à quatre ans qu’elles sont là pour gérer le linge sale du super héros. Le sexisme est ici intégré et revendiqué, comme un ordre naturel, par une femme ayant sur tous les protagonistes de cette histoire l’expérience des années.
Cette anecdote m'est revenue en mémoire grâce à cet article de Crêpe Georgette (auquel je vole une partie du titre). Je vous le conseille de lire. C'est court, provocant, mais des points sont justes dans la connotation positive de la virilité, sa sémantique, et ce l'on y rattache culturellement (quelque soit les classes sociales) : implicitement la supériorité de l'homme sur la femme pour aboutir à cette bizarrerie (ne reposant sur rien de scientifique) assimilant "courage" et virilité (Ça va du fameux "pas de couilles" à "fais pas ta gonzesse").
Inversement, on renvoie au champ de la faiblesse, de la médiocrité et de la sous-performance, tout ce qui est défini (par les hommes, la ruse est là) pour être le rôle des femmes (en gros : tâches ménagères) ou ce qui est considéré comme leur nature exclusive (forte sensibilité, expression des sentiments, s'occuper des enfants...). Inversement, les travers du mec (violence, roulage des mécaniques, lourdeur de la drague et plus si pas affinités...) sont ainsi magnifiés par défaut.
Inversement, on renvoie au champ de la faiblesse, de la médiocrité et de la sous-performance, tout ce qui est défini (par les hommes, la ruse est là) pour être le rôle des femmes (en gros : tâches ménagères) ou ce qui est considéré comme leur nature exclusive (forte sensibilité, expression des sentiments, s'occuper des enfants...). Inversement, les travers du mec (violence, roulage des mécaniques, lourdeur de la drague et plus si pas affinités...) sont ainsi magnifiés par défaut.
Marc-Antoine est surement un bon gamin qui a déjà eu douze cours d’initiation scolaire sur l'importance de fermer le robinet d’eau quand il se brosse les dents. Pourtant, dans son environnement immédiat, on lui dit déjà à quatre ans que les tâches se repartissent selon le sexe, des années avant qu'on lui parle de sexualité (si on en lui en parle). Il fait déjà le tri entre ce qu’il est "normal" de faire avec son bâton, ou avec un bonnet sale, suivant que l’on ait un zizi ou non. (Il remplacera "zizi" par "couilles" d'ici quelques années, deviendra père à son tour, perpétuera le cycle et sera probablement effrayé par l'intolérable montée de la "domination féminine").
On peut on doit parler de la sous-représentation des femmes (je veux dire hors sphère commerciale), un manque de parité dans les institutions ou des plafonds de verre de la progression salariale, mais le cœur du sexisme commence dès les premières années. Ce sont elles qui conditionnent les représentations, l’image de soi, son degré de confiance pour faire entendre sa voix et s'imposer.
Illustration : Jeux interdits, René Clément (1952)
Nouveau livre, L'abondance.
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Disponible ici en papier ou ebook.
Articles connexes :
De la difficulté à répartir les tâches et changer les couches
Passe ton bac d'abord
Les aventuriers du Salam aleykoum maudit
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