Un sondage du Pèlerin révèle que 74% des Français sont opposés à la réforme des retraites annoncée par Jean-Marc Ayrault. Bizarrement, c'est peu commenté.
Même les mesures sur les femmes et la pénibilité ne font pas passer la potion magique.
C'est vrai qu'en y regardant de près, c'est encore plus vicieux qu'une bonne grosse réforme de droite.
Les points pénibilité ne sont qu’un hochet. On ne pourra au mieux en cumuler que 2 ans (contre 15 ans de travail à risque), c'est-à-dire juste de quoi revenir à la situation de ...2013. Paye ton avancée sociale !
Les points pénibilité c’est aussi, et surtout,
faire rentrer dans les consciences le concept de retraite à la carte (individualisée) dans un système mutualisé (pour tous). Bientôt, chacun pourra reprocher à l’autre d’avoir un métier moins dur que le sien et de toucher trop : là aussi un vrai progrès social, et un point d'argumentation prometteur pour de futures réformes.
Nos dirigeants veulent que la pénibilité au travail soit reconnue ? Qu'ils augmentent les salaires. En règle générale et quel que soit le boulot, être payé 1000 euros pour 35 heures hebdomadaires, c’est plus que pénible :
c’est être insulté chaque mois.
Rassurez-vous. Dans son
grand effort de soutien au pognon, le pouvoir épargnera les entreprises (et ce n'est qu'un début, parait qu'on n'est "
pas assez compétitif"). Dans la pratique, les entreprises vont peu contribuer à l'effort de redressement des comptes. On leur baisse d’autres impôts (En plus de la baisse du "
coût du travail", Moscovici leur a annoncé la baisse des cotisations familiales à l'UE du MEDEF) qui seront payés par (
guess who ?) les travailleurs.
70% de l’effort portera sur les salariés d’ici 25 ans (3.2 Milliards pour les patrons contre 12.8 payés par les salariés). J'espère que d'ici là ils disposeront d'autant de relais dans la presse et à la télévision que patrons et actionnaires (180 Milliards versés aux actionnaires en 2011)
pleurnichant depuis deux ans de plateaux TV en tribunes radio sur les "charges" les "asphyxiant".
On travaillera donc plus longtemps (Bien vu la gauche). Ou plutôt travailleront plus longtemps ceux qui auront un travail, la denrée se raréfiant. Scoop, le travail continuera à être de plus en plus rare, euh pardon,
flexible.
La France atteint un taux historique d’embauche en CDD (82.4%) au premier trimestre 2013.
Chômage plus souvent + jobs précaires dans plein de secteur + entrées de plus en plus tardives dans l’emploi et
sorties de plus en plus précoces + multiples caisses de retraite (la réforme ne prévoyant étrangement aucune réduction dans le domaine) + hausse de la durée de cotisation =
à terme des baisses de pensions pour tout le monde. Je ne sais pas si "on vivra plus longtemps". En revanche, second scoop :
c’est bien parti pour que nous vivions pauvres plus longtemps.
Alors oui, certains (
en mode Christine Lagarde) s'emballeront sur
0.3% de croissance (anticipé) par l’OCDE. On leur rappellera (mais ils le savent très bien) qu’
il faut au minimum 3% de croissance pour commencer à créer des emplois sérieux (non je ne parle pas des jobs allemands à un euro, ou de cette
myriade d’autoentrepreneurs bossant déjà autour de moi littéralement pour rien, et sans protection, pour le plus grand bonheur de patrons, pauvres martyrs décomplexés multipliant ainsi leur marge par 2 ou 3 tout en dumpant les salaires à la baisse).
Bien évidemment, il n’y aucun effort de lisibilité des retraites. Plus aucun salarié ne sait combien il touchera, ni s’il touchera quelque chose. Troisième scoop : c’est fait exprès. C’est l’ambition de fond de ces réformes ne résolvant rien se succédant de gauche à droite. Ou plutôt de droite avec caféine à droite sans sucre.
Il s’agit de décourager progressivement les gens, de la faire renoncer (et ça marche).
Il faut leur sortir de la tête l’idée :
1 / de prendre une retraite tout court (tant qu'à faire si tu pouvais crever en travaillant, ça arrangerait notre dette : ce
péché originel des peuples coupables selon le catéchisme dominant de ceu
x s'enrichissant sur leur dos).
2 / de toucher quelque chose un jour en cotisant à travers le système par répartition aujourd’hui. (En omettant de l'équation notre démographie triomphante, l'augmentation du PIB, l'accaparement des richesses par les actionnaires ou l'ébauche de l'esquisse de l'hypothèse de payer un peu plus les salariés).
Ainsi peu à peu, par dépit et peur, les salariés sont incités à basculer dans la retraite par capitalisation, les assurances privées ou l’investissement immobilier, pour le plus grand bonheur des banques qui vont jouer tout ça en bourse pour 1 / produire de l'argent nocif 2 / générer de nouvelles crises financières (C'est marrant comme dans tous les coups pourris on les retrouve).
Ainsi, en une génération, tu démantèles en "douceur" un acquis social, sans toucher à certaines grosses retraites actuelles. Au lieu de défendre le système, de l'expliquer, on l'enterre progressivement, en le complexifiant, en l'éparpillant.
La solidarité intergénérationnelle, principe même de la retraite ? Penses-tu ? Explosée ! Au contraire, les instigateurs de cette réforme optent sciemment de jouer les vieux contre les jeunes. Ces derniers prendront (enfin continueront à prendre) tout dans la tronche.
Alors faites ce que vous voulez. Même si je sais qu’il faudrait taper plus concret, plus fort, plus festif aussi, je serai le 10 dans la rue comme à l’époque où nos ennemis étaient au pouvoir.
Oui exactement comme à cette époque.
Illustration : No country for old men, Coen bros. 2007
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