La fondation Abbé Pierre présentait son 18e rapport annuel sur l'état du mal-logement en France, ce vendredi à la Palais des expositions de la Porte de Versailles
"Les nouvelles sur le front du logement ne sont pas bonnes" annonce en préambule Christophe Robert, le président de la fondation. Quand on épluche le rapport, c'est même pire que ça[1].
Avec
3.642.177 personnes non ou très mal-logées (dont 680.000 privés de domicile personnel) et
8.221.412 personnes fragilisées (surpeuplement, situation d'impayés, personne en hébergement résigné):
plus de 10 millions de personnes sont touchées, de près ou de loin, par la crise du logement. On comptabilise également 4 millions de personnes en situation de précarité énergétique et 565.000 propriétaires ou accédant ayant rencontrés des difficultés de paiement de leurs charges ou de leurs remboursements d'emprunts immobiliers.
Du constat, je retiens notamment:
1 / La généralisation des situations de mal-logement à l'ensemble du territoire. Chacun a souvent tendance à circonscrire le mal-logement à une catégorie sociale ou à une zone géographique. C'est plus complexe. Si les zones tendues sont exposées à des prix vertigineux pour des surfaces réduites et un manque de confort, l'exode des ménages, surtout les plus jeunes, vers des zones rurales n'est pas synonyme de vie meilleure: Isolement, manque d'infrastructures, hausse des frais énergétiques, de garde d'enfants, achat d'une deuxième voiture, zones de faible emploi... Paradoxalement,
ce n'est pas à Paris et dans les grandes villes à loyers élevés que l'on trouve le plus de situations de mal-logement (30% des ménages),
mais dans les grandes villes à loyers bas (39% des ménages). Les inégalités sociales et territoriales s’additionnent Pour l'écrire crûment,
il y a de plus en plus de pauvres dans les zones pauvres, la ségrégation géographique s'amplifie. Les familles intermédiaires sont également prises dans l'étau:
impossibilité d'habiter en ville dans une surface décente, ils augmentent leur surface disponible en s'éloignant des centres-ville mais baissent du même coup leur niveau de vie.
2 / Hausse du mal-logement chez les familles monoparentales et les célibataires. Baisse des ressources, hausse des charges: 32% des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté (contre 6.5% des couples avec enfants). A l'heure où l'on parle tant de la famille (et qu'elle reste le modèle standard pour les acteurs du logement), de plus en plus mères seules avec leurs enfants prennent de plein fouet les situations de précarité (une mère célibataire sur deux déclare terminer le mois à découvert). Souvent non prioritaires pour le logement social, les célibataires supportent le plus gros effort financier pour se loger. Ils représentent 39% des ménages disposant de reste-à-vivre inférieur à 500 euros par mois.
3 / Hausse de la cohabitation subie face aux tarifs, et aux folles demandes des bailleurs. Entre des jeunes adultes retournant vivre chez leurs parents, des parents (souvent l'un des deux) forcés d'habiter chez leurs enfants, ou encore les couples séparés, mais contraints de vivre ensemble.
De l'espoir et de la vigilance.
Avec l'alternance, et l'apparition d'un vrai ministère du Logement et de l'égalité des territoires, ces 8 premiers mois de présidence Hollande (qui, en campagne, avait signé le "Contrat social pour une nouvelle politique du logement" rédigé par la fondation) marquent néanmoins un changement dans l'appréciation d'une fracture sociale qui pèse tout autant sur la santé des individus, l'éducation des enfants que, au final, sur l'économie du pays. On ne peut pas se soigner ou consommer lorsqu'on injecte les 3/4 de ce que l'on gagne dans son loyer, il devient particulièrement compliqué d'avoir un parcours scolaire correct quand on partage 20m2 vétustes avec ses parents et ses frères et que l'on doit faire des rotations pour s'asseoir, ou dans une maison que l'on n'a plus les moyens de chauffer.
2012 (et une partie de 2013) seront
une période de transition.
Une grande loi sur le logement arrivera d'ailleurs au printemps. Des mesures ont été prises, des engagements prononcés faisant souvent
grincer des dents aux
habitués de la thune qui tombe tranquille prospérant peinards jusque-là, ce qui est bon signe, mais s'il est trop tôt pour en percevoir le résultat.
Le budget 2013 pose l'objectif de 150.000 logements sociaux, même si le rapport souligne un flou sur la localisation des logements de type PLS (1/3 des logements sociaux aux plafonds de ressources plus élevés qu'un HLM standard, inaccessibles à la majorité des demandeurs). S'ils sont construits dans des zones où il y a déjà du logement social en nombre, cela renforce la mixité et c'est une bonne chose. Si on les localise uniquement dans les coins plus "riches", on renforcerait encore les inégalités territoriales.
Même si elles ne vont pas assez loin, au rayon bonnes mesures, on rappellera la hausse des plafonds des livrets d'épargne destinés au logement social, la mise en place d'un dispositif d'investissement locatif dans le logement privé pour 40.000 logements à loyer intermédiaire dans les zones souffrant d'un déséquilibre entre l'offre et la demande (avec plafonds de loyer et de ressources inférieurs à ceux du Scellier social), la loi relative à la cession gratuite de terrains publics en vue de la réalisation de logements sociaux, l'augmentation de la taxe sur les logements vacants (on passerait à 25% dès la deuxième année) étendue aux zones d'urbanisation continue de + 50.000 habitants et le renforcement des obligations SRU et des sanctions pour les communes récalcitrantes.
A la fin de la présentation,
Cécile Duflot s'engage à nouveau sur les réquisitions (les premières arriveront en mars),
un traitement "à la racine" des propriétaires voyous (logements insalubres ou
micros-logements) et sur les questions des expulsions locatives, elle assure qu'
"il n'y aura pas d'expulsions de prioritaires DALO sans relogement à la fin de la trêve hivernale [...] - Tant qu'il restera des familles sans logement notre travail ne sera pas terminé."
Tu l'auras noté, j'ai décidé d'être positif. Malgré le climat budgétaire
à l'austérité, ce gouvernement ambitionne de réduire le mal-logement avec en ligne de mire prioritaire ceux qui en souffrent le plus, au lieu de s'acharner à favoriser la rente selon la bonne vieille théorie foireuse du ruissellement en cours depuis 10 ans. Pour le coup,
c'est un vrai changement dont on mesure encore mal les effets. Nous sommes arrivés au terme du dogme de la propriété à tout prix qui a placé une partie de la société dans une position de force financière et morale, tandis qu'elle en expédiait une autre dans le mur, invisible et pourtant toujours plus nombreuse.
Maintenant, nous attendons la transformation sur le terrain.
[1] La fondation pointe le manque d'actualisation des statistiques publiques dans le domaine. Plusieurs chiffres étant basé sur des évaluations de l'INSEE sur le base de mesures qui ont parfois plus de 5 ans. La situation est donc surement bien pire.
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