Les enregistrements de l'économiste franc-tireur Paul Jorion (lire son compte-rendu) et du pointilleux patron de Goldman Sachs Europe (voir la suite du même tonneau) datent du même jour : le 9 juin 2010.
Le journaliste, lui, est le même, ou presque.
A la rubrique néocons et propagande, tu trouveras un article euphorisant qui décortique à l'enclume, et à 24 heures d'un mouvement social sur le sujet, les résultats d'un sondage sur les français et les retraites, sobrement intitulé :
Retraite : "Les Français acceptent la retraite à 62 ans"
Il suffisait de le dire.
Dans une symbiose fusionnelle avec le directeur adjoint d'un institut de sondage jadis dirigé par l'actuelle patronne du Medef, l'article non signé nous confirme (puisque c'est le peuple qui le dit) le bien fondé du projet UMP de réforme[1] des retraites :
«Les Français reconnaissent au gouvernement le mérite de prendre le taureau par les cornes, même s'ils trouvent que la potion est amère».
Ces catégories se montrent les plus sévères vis-à-vis de la réforme. [Que veux-tu, jusqu'à présent, les gueux étaient chiants : moins ils avaient, plus ils piaillaient.] 59% des ouvriers jugent «inacceptable» le report de deux ans du départ à la retraite. Cette disposition n'est pas négociable, [T'as compris ducon ?] et les Français l'ont bien compris [ah bah oui t'as compris], puisque 70% de l'ensemble des sondés - et 66% des ouvriers - se disent persuadés que le projet «sera maintenu en l'état» après les grèves et les manifestations de demain..."
Tu auras saisi la manipulation (un indice chez vous : elle est explicitement inscrite).
Comme le disait hier soir dans le Grand Journal un ministre à nom de renvoi gastrique n'ayant pas la tête à couvrir de l'évasion fiscale : "un sondage on lui fait dire ce que l'on veut". Les seules questions à se poser étant : Qui le commande et pourquoi faire ? Les réponses des sondées coulent alors de source. Elles dépendent pour deux tiers de la formulation des interrogations et des options alternatives proposées. C'est ainsi que l'on peut se retrouver avec un boss du FMI incarnant le renouveau de la gauche, à l'unisson des quotidiens de droite (mais ceci est un autre sujet).
Ce publi-reportage à vague alibi scientifique, nouvelle salve préventive tirée à l'approche des grondements du pavé, est dans la droite ligne du bombardement médiatique que nous subissons depuis février dernier qui vise à empêcher la concorde des mécontents. J'imagine que les sbires de l'UMPEDEF vont encore squatter les plateaux télés des prochaines heures pour déverser une liquoreuse louche de résignation supplémentaire sur l'onctueux baba "du bon sens des gens responsables face à la gauche caduque et rétrograde."
Tant d'efforts de leur part pour ridiculiser la contestation : La plus belle des confirmations que celle-ci les fait pétocher au plus haut point et que, à moins de la mater en amont par l'autosuggestion, contre elle ils ne peuvent rien.
Mais, revenons à nos moutons.
Sous l'impulsion d'un monarque motivé pour faire de la bataille des retraites l'argument pivot de sa réélection en 2012 (à base de "regardez, c'est moi qui l'ai fait !" : ne te moques pas il a eu des slogans plus cons), le gouvernement (sans oublier son relais, le perroquetage du journaliste feignant), ne ménage pas ses efforts depuis des mois pour noyer tes capacités d'analyse et émousser ton potentiel de révolte sous les rasades de lubrifiants syntaxiques. Tout serait joué sur le front des retraites, la réforme serait une évidence se basant sur du logique, de la justice, de l'indiscutable puisque "tous les autres pays l'ont fait". (cela peut se dire aussi des guerres et des génocides.)
Ce sera travailler plus longtemps et pas autrement.
Note par exemple que l'intitulé de l'article susmentionné est biaisé. Le chiffre le plus pertinent de "la bataille des retraites" n'est pas 62 ans mais 67, âge pour bénéficier d'un remboursement à taux plein, sans décote. (65 ans aujourd'hui pour 28% des femmes)
Note également que la fenêtre de tir est optimale pour commettre ce socialicide avec préméditation [2]. Ce qui devait prendre 10 ou 20 ans à démonter, hors temps de crise, est en passe d'être atomiser en quelques mois de "rigueur"[3].
La semaine passée, entre la commémoration de l'appel du 18 Juin et un coup de pouce météo que notre monarque optimisera à la perfection, le ministre du travail des autres invitait ses concitoyens à "la responsabilité" en présentant au grand public la fameuse réforme des retraites.
La seule ambition à court-terme de cette réforme idéologique n'est pas de "sauver les retraites de demain" (dans l'esprit de l'UMPEDEF elles sont programmées pour disparaitre) mais de cajoler les retraités d'aujourd'hui.
Enfin... une certaine catégorie privilégiée de retraités se goinfrant des pensions à rendre hystérique l'actif standard, qui sont propriétaires ou multi-propriétaires, actionnaires, gros consommateurs de soins et disposant, comme aiment à le rappeler les apologistes de la réforme, d'une espérance de vie qui s'est améliorée comme jamais dans l'histoire de l'humanité. Et pour cause : pas folle, elle s'est barrée à la retraite à 60 ans ! Pour eux, rien ne bouge dans le projet de réforme. Par défaut, cette tranche voit sa suprématie confirmée et son abonnement au Figaro renouvelé.
- On est jeunes et on vous emmerde !
Même si dans les sphères consanguines de la clique mafieuse, on se bataille déjà le marché des cotisations de retraites privées qui se développera pour le pire durant "cette période de transition garantissant l'équilibre pour la nouvelle génération", mets-toi bien dans la tête que ce projet, qui ne règle rien et aggrave les inégalités, n'est qu'un projet.
Rien n'est voté, rien n'est même présenté, ni au Monarque (ce sera le 13 juillet) ni à l'Assemblée, encore moins au Sénat. La finalité de la réforme ne dépend désormais que de ta capacité de réaction.
Une chose est certaine : ne compte pas sur eux pour changer quoi que ce soit. Tant que tu seras lent, ils seront là.
Et Le Figaro d'un monde parallèle de titrer :
* * *
[1] réforme n.f : progrès que le populo prend dans la gueule. Neoliberalis Universalis.
[2] socialicide n.m : crime contre la société, qui a l'inverse du crime contre l'humanité n'est condamné par aucun politique. Les intéressés peuvent même nier son existence à longueur de plateaux télés sans rien risquer. Lucidus Analysis.
[3] conditionnement facilité si le terrain mental est préalablement labouré par 4 heures d'M6 quotidiennes sur quidam expurgé de toute conscience de classe autre que "moyenne" (terme englobant tout et n'identifiant rien.)
[4] Il n'aura qu'à s'arracher une jambe pour obtenir ses 20% d'invalidité, et bénéficier d'un départ à 60 ans et à taux plein. A moins bien sur que ne soit pas constituée d'ici là une brigade pour débusquer les fraudeurs de retraite à l'arrachage de jambe.
Articles connexes :
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- Les retraites la peur et l'abandon
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