31 mars 2020

#confinement jour 18

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J’ai pourtant une bonne endurance dans le domaine, adolescent j’ai passé des étés entièrement seul dans une grande bâtisse loin de tout, j’ai expérimenté les joies de la retraite isolée dans un coin paumé les deux premières années de ma trentaine, j’évite le plus souvent les rassemblements de plus de trois personnes et je ne parle pas de la majeure partie de mes journées des deux dernières décennies qui ressemblent à s’y méprendre, quelques sorties pour courir en moins, à cette période de confinement. Mais ici tout à une autre saveur : celle de l’attestation, de la dérogation, de l’autorisation, du flicage, de la peur, la peur  des autres et celle construite heure après heure jour après jour en nous par nous.

Ce rythme réduit de trois jours de garde alternée est salvateur. J’ai sous-estimé la dureté de vivre, en continu avec ses enfants. Je dis "enfants", je pourrais écrire femme, homme, ami, parent n’importe quel individu. La solitude de groupe imposé est un châtiment subtil. L’enfer c’est les autres Jean-Paul a dit. Toute relation à proximité permanente d’un être pourtant adoré atteindra inévitablement un niveau d’insupportabilité. 

Au-delà du virus, cette période aura des dégâts psychologiques sur nous tous, on n’a pas fini de payer notre aveuglement. Les effets secondaires sur l’économie et notre psychisme causeront bien plus de morts que la maladie elle-même, c’est écrit mais c’est moins vendeur. A partir de combien de morts estime-t-on envisageable de ne pas se massacrer intimement de la sorte ? D’autant qu’à l’issue de la période de confinement (lointaine issue), on évoque une possibilité de prolongement « à la carte » après les tests personnalisés (encore plus lointaine issue). Certains auront des semaines de rab’ en stade aménagé ou hôtel particulier en guise de vacances, avec option mort par asphyxie.

Le temps est néanmoins parfait pour rester confiné. Soleil pour la bonne humeur et fraicheur pour décourager d’aller à l’extérieur. Depuis la chaise longue, j’observe les allers et venus de moins en moins fréquents dans le quartier. Peu ou plus d’enfants, ou alors en bas âge. Où sont les adolescents ? Enfermés depuis des jours ? Quel carnage ! Je fixe une bonne demi heure, hypnotisé, ce toit en tôles. Je sors par bribes de ma transe en BTP grâce aux claquements métalliques et aléatoires d’une barrière en fer sous la bise. Je reste là,  inconfortablement bercé par les frottements rêches des papiers gras qui tourbillonnent sur le pavé. La capitale appartient aux canards et aux papiers gras. L’astre de feu range sa superbe derrière les barres d'immeubles. Les ombres s’allongent et s’évanouissent dans le gris. La fin du jour dissous les échos déjà lointains d’un résidu d'agitation honteuse. Il n’y a plus de légèreté. J'ai un peu froid. La dix huitième journée s’achève. Le confinement va recommencer.



30 mars 2020

#confinement jour 17 : Le pic d'inutilité

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R. me réveille à l’aube pour que nous sortions courir. Emmitouflés et à moitié endormis, nous improvisons un jogging à basse tension dans les rues aux rideaux de fers baissés. Esquiver les fraiches rafales du nord, viser la moindre rue dans l’axe du soleil.

Passage par la rue de C. qui nous salue du balcon. Les fenêtres de vie laissent échapper les échos des nécros sur la chaine d’info. Comme à chacun de mes passages matinaux, le voisin du dessus ouvre ses volets pour nous scruter. A. a une bonne foulée, R. est à la peine, mais cette sortie après deux jours d'enfermement nous fait le plus grand bien.

Le SDF, et son histoire rangée dans une succession de cartons, occupe toujours le coin de cette rue que je prends tous les matins pour aller travailler. En ce dimanche figé, il est à lui seul l’humanité.

Nous ne croisons dans le périmètre autorisé que deux policiers sans masque à l’angle de la rue anciennement commerçante. La faible présence policière constatée ici contraste totalement les contrôles sauvages et sans respect dans certains quartiers et villes de banlieue dont je lis les rapports sur les réseaux sociaux.

A bien y regarder, il y a ici moins de présence policière qu’en temps normal. Le peuple se confine, s’auto-discipline et se police tout seul. Nous devenons chinois. Je me rappelle les deux derniers mois sur le chemin du travail (dans le quartier chinois parisien) avec une baisse continue de la densité démographique. Le quartier chinois se vidait progressivement. J’ai d’abord mis ça sur le compte d’une vague phobie des parisiens alors qu’il s’agissait plus vraisemblablement d’un auto-confinement préventif des résidents bien au fait de la réalité de la crise sanitaire par-delà la muraille de la com.

Nous avons bien fait de profiter du soleil, la grisaille d’un long dimanche plombe une capitale qui passe à l’heure d’été dans l’indifférence générale.

Nous préparons notre traditionnel flan du dimanche. C’est à la fois délicieux et nourrissant, une vraie pâtisserie de crise. Je découvre un second dessin animé de Myasaki, Ponyo sur la falaise, c’est le programme parfait pour la période. Du rêve et de la couleur sans mièvrerie, et un sous-texte écologique de chaque instant. Je m’entraine à jouer le Perfect Day de Lou Reed au piano. On se plaignait de ne jamais avoir le temps de faire ceci ou de réaliser cela. D. m’envoie un message pour me supplier de ne pas sortir de chez moi. Il y a trois semaines on prenait des pots entassés en terrasse en relativisant, dans les meilleurs des cas, les drames de nos voisins qui l'avaient bien cherché. Trois semaines après, du fond de nos cellules, on se relaye par SMS la propagande d'état. Nous continuerons à sortir. Comment faire autrement ou sinon se suicider pour ne pas avoir à mourrir ?

Au téléphone, L. est en colère "contre tout ça", l'absurdité, l'impossibilité de nous retrouver pour une simple histoire de mauvaise anticipation, d’amateurisme collectif et d’incompétence au sommet. Canaliser la colère et la retourner sur l’action, agir, écrire, dessiner, aider mais aider au plus juste sans être chaperonné ou homologué par l’état soucieux désormais de surcontrôler d’une main ceux et celles qu’il a lâchés de l’autre. Certitude ancrée que rien ne pourra faire taire cette colère après, chaque jour de confinement nous confirmant un peu plus qu’ils ne sont plus rien, que nous avons les cartes entre les mains, que nous n’avons que trop contribué en spectateur-votant à l’info-feuilleton du pouvoir.

Ce moment est la plus cinglante démonstration de leur inutilité, voire pire. Le pouvoir n’est intéressé que par le pouvoir, le peuple il s’en lave les mains. On va obéir, que faire d'autre ? On va obéir, oui, mais combien de temps encore ?

Hasard ou pas, je la lisais hier, Annie Ernaux ce matin sur France interhttps://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-30-mars-2020








29 mars 2020

#confinement jour 15 et 16

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C’est officiel on se prend quinze jours supplémentaires de confinement, très probablement relancés de quinze le 15 avril. Comme prévu malgré les annonces on attend toujours les masques et les tests. Comme murmuré depuis un moment, il est très probable que nous soyons beaucoup à être infectés, bien plus que les chiffres validés. 

Le plus étonnant dans cette crise de panique planétaire, où drame et absurde danse le tango sur le fil de plus en plus mince de nos certitudes, c’est le peu de cas qui est accordé aux causes de tout cela. Pathétiques moulinades de nos « puissants » a vouloir régler tout cela en branlant du patriotisme, de l’esprit collectif et du soutien ému au corps médical, notions qui leur font horreur le reste du temps. 

Rien sur la contamination initiale, l'abruti qui bouffe du pangolin à l’urine, la surconsommation, le libre-échange en valeur suprême, les importations massives, le transport aérien en open bar (il y a encore quelques jours on pouvait librement voyager sans être controlé entre ces pays scrupuleusement attachés à faire respecter le confinement aujourd’hui ). Rien sur le rôle de la Chine non plus. Après nous avoir refourgué cette merde, la Chine est en passe de réussir sa bataille de la communication quant à façon "exemplaire" de traiter le problème. Le pays endossera bientôt le rôle du bon samaritain avec ses exportations massives de masques magiques que nous sommes incapables de produire ici au terme d'un demi-siècle de desindustrialisation de trucs utiles. Rien donc sur notre complicité de consommateurs et de nations aux déséquilibres planétaires qu'ils soient sociaux, écologiques ou financiers. Rien sur nos complicités d'électeurs, fonçant vote après vote vers toujours plus d'austérité et de respect des pactes de stabilité.  Non, aujourd'hui, la priorité c’est de trouver des lits en réanimation. Effort de guerre dont on se demande si le gouvernement, disrupté par un microbe, voudra sortir un jour tant le mécontentement s’amplifie dans la population. « Viendra le temps du procès ». En attendant le nuremberg des cons, on paye l’addition. Certains meurent,  les autres vivent dans leurs placards (dont le confort et la superficie ne font que reproduire les écarts de classe normalement constatés en temps de paix). 

Nouvel effet du temps. Si les journées passent lentement, en revanche leur souvenir s’efface immédiatement. J’ai perdu le fil du journal sans m’en rendre compte. J’ai sauté une journée. Cela m’arrive rarement en temps « normal ». Nous passons un joli samedi confiné, un de ces jours repos classiques après une semaine usante où l’on a la flemme de sortir. Ce jour nous ne sentons même pas coupable d’être flemmards. Nous nous remettons tous à jouer de la musique. Depuis dix jours, nous n’écoutions que peu de disques et jouions peu de nos instruments de peur peut-être de provoquer le virus. Piano, guitare, harpe, le trio tricote des morceaux maladroits mais enchantés. J’avance dans le quarto gallimard d’Annie Ernaux. A ce rythme j’aurais lu l’intégralité de son oeuvre avant la fin du confinement. 

« Ecrire la vie, non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle : le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie et le deuil ».

C'était il y a quelques mois ou années. Je crois avoir croisé Annie Ernaux dans la rue pas très loin d’ici. C’était une longue rue, je l’ai vu arriver de loin avec une enfant qu’elle tenait par la main. Je n’étais pas sûr que ce soit elle, et même si je l’avais été je ne l’aurais pas abordée. Quoi dire : J’ai dévoré votre vie ? Nous nous sommes croisés, il faisait beau. J’étais bien ce jour là, je revenais de courir, je me souviens de son expression apaisée, pas loin du sourire. Regards accrochés une demie seconde. Nous avons continué nos chemins d’inconnus connus, devenant peut être un personnage l’un pour l’autre. 

J’ai peut-être tout simplement rêvé tout cela, mais ça me suffit pour que ce soit vrai.






27 mars 2020

#confinement jour 14

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Seule sortie de la journée : le running matinal dans le quartier fantôme entre Tchernobyl, la planète des singes et le fils de l'homme. Le film de science-fiction que nous traversons depuis deux semaines jauni peu à peu, ça commence à ressembler à un documentaire façon frères Dardenne. C'est l'histoire de Seb Musset qui cherche un pack de lait demi-écrémé en tentant d'éviter les infectés. Va-t-il y arriver ? Si oui, ces coupons réductions pré-pandémie vont-ils encore fonctionner ? Alors que je longe la succession des panneaux électoraux du funeste premier tour des municipales, une sonnerie d'école déchire le silence. Les traces papiers du monde d’avant flétrissent et laissent place aux affichages sanitaires flambants neufs : restez chez vous, lavez-vous les mains, combattez l’ennemi invisible. Les boyaux d’un rat écrasé au milieu de la rue sont dépiautés par un couple de corbeaux. Un début de file d’attente se forme devant la boulangerie, un par un c'est marqué. Je lève la main pour saluer de loin un petit vieux de mes voisins, seul et non protégé. Je vois qu’il ne me reconnait pas derrière mon masque bricolé, d’autant qu’il a le soleil dans l’oeil, mais il me répond un joyeux « Bonjour Monsieur ! » qui résonne quelques secondes sur les façades aux stores baissés que transpercent des regards inquisiteurs.  J'appuie sur l'horodateur pour savoir où j’en suis : il me reste douze minutes de sortie dans la zone autorisée. Cette crise confirme sans détour ce que l’on sait déjà : nous sommes tous à la fois fliqués et abandonnés par l’état.

Les chiffres sont tombés grâce à l’ouverture des datas d'un opérateur téléphonique : un million de franciliens ont quitté le grand Paris en quelques jours. C’est une catastrophe pour certaines régions sous dimensionnées au niveau hospitalier et une "petite" bulle d'air dans le bocal de microbes parisien. Voilà peut-être la raison de ce début d’« air de vacances » qui flotte sur une capitale creuse mais qui reste sous tension larvée. Nous devinons l’issue provisoire de tout cela dans quelques semaines, en espérant que la propagation sera efficacement ralentie grâce à nos assignations à résidence. Il restera néanmoins, dans ce meilleur des cas, l’impératif de vigilance et la distance. 

Les vacances d'été vont avoir une drôle de gueule avec nos déambulations en slip de bain et masque intégral. Il en ira de même au turbin : tous au bal masqué pendant plusieurs semaines. 

C’en est fini pour longtemps de la bise et de la poignée de mains, c'était tellement XXe siècle. 





26 mars 2020

#confinement jour 13

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Les jours tracent tête baissée et ils ne sont découvriront probablement pas d’un fil en avril. Vue de ma fenêtre, la France et l’Ile-de-France en particulier se préparent à « la vague » avec une certaine indolence printanière. Déni, résignation, incrédulité ou rienàfoutrisme, un peu de tout cela. A l’image de cette famille de canards qui s’est échappée du Parc Montsouris et se balade décontractée dans le quartier ensoleillé, nous vaquons, un peu moins angoissés, à nos circonscrites occupations : manger, dormir et plus si dérogation. Le président tente de se rassurer lui-même lors d’un direct depuis l’hôpital de campagne de Mulhouse. Nous avons une belle armée et des TGV suréquipés pour transporter les malades les plus graves. Je n’en ai jamais douté. Mais nous on veut des masques.

Comme pour les cours d’A. et R. grâce à l’investissement (dans tous les sens du terme) des enseignants, le télétravail prend son rythme de croisière. Si le confinement nous confirme  individuellement ce que nous sommes, le télétravail, pour les chanceux qui peuvent l’accomplir, les informera de la façon la plus cinglante sur les structures et les mentalités des entreprises pour lesquelles ils oeuvrent. A-t-il été anticipé depuis longtemps ? Le matériel a-t-il été fourni ? Avait-il tout simplement été envisagé ou sa philosophie se résume-t-elle encore aujourd’hui pour nombre d’entreprises de service à celle des propos d’un RH rapportés par un cousin lointain qui le tient du copain de la comptable qui l’a entendu en lisières de l’espace détente de la compagnie P. après les annonces de Macron : « - non mais sans déconner on va quand même pas les payer pour qu’ils restent chez eux à glander ! ». S’ils glandent comme vous dîtes du haut de votre salaire bien épais, c’est d’abord qu’ils sont mal dirigés et qu’à l’évidence vous êtes trop payé.

Il en va du télétravail comme du travail en général. Il y a ceux qui font le boulot et ceux qui font tout pour ne pas le faire. Le télétravail est une extension du rapport de confiance entre l’employeur et le salarié, avec des clauses et un contrat carré. 

Marrant comme le teletravail terrorise souvent les employeurs. De ce que j’ai observé, chez moi ou ailleurs, le télétravail peut facilement vous conduire à être beaucoup plus productif qu’une présence physique dans les locaux.

Déjà, il contribue a diminuer le auto-branling-collectif de nouille qui constitue une bonne moitié du temps de travail dans les secteurs « non essentiels » de notre économie. 

Deuxièmement, le salarié s’évite en moyenne une à deux heures de transport par jour, ces cinq à dix heures par semaine de temps perdu que le salarié a intégrées comme étant « normales ». Le plus souvent de très mauvaise qualité (pollution, promiscuité, risque croissant d’attraper des virus à la con) ce temps perdu ne profite ni au salarié ni à l’entreprise.

Ensuite, pour peu que vous aimiez votre travail, l’absence même de contrainte horaire conduit très logiquement au « débordement ». En décodé : une fois que vous ne pointez plus, contrairement à ce que pense le patronat du XXe siècle, vous avez plutôt tendance à vous dépasser plus qu’à esquiver. C’est à mon sens le plus gros danger du télétravail pour le salarié : la réponse aux mails hors des horaires, le surcroit d’initiatives pour montrer qu’on existe, les petites charges de travail qui l’air de rien se diluent bien au-delà des 35 heures et l’invitation quasi constante du travail à domicile, lieu censé être neutre. Autre avantage non négligeable (pour les plus grosses entreprises), il contribue à l’individualisation du salarié et au dézingage du collectif. Allez faire une manifestation devant la boite du mail du patron, c’est tout de suite moins menaçant.

Plus que le salarié (qui va s’y retrouver au mieux avec un peu plus en qualité de vie), ce sont les entreprises qui ont en fait énormément à gagner avec le développement du télétravail.

La période que l’on vit va inévitablement changer les points de vue des uns et des autres sur le télé-travail. Bien sur nombreux sont ceux qui vont enfin réaliser que leur job est en réalisable tout aussi bien, voire mieux, depuis chez eux en moitié moins de temps par semaine. D’autres, plongés sans préparation dans le bain du labeur en ligne, vont vite s’autonomiser hors des cadres classiques et des sentiers historiques balisés par la direction omnisciente.

Une chose est sûre, après un ou deux mois à ce régime, les choses ne seront plus tout à fait comme avant quand chacun retournera dans son bureau lever le doigt et répondre « présent ! ».

Et ça c’est plutôt une bonne nouvelle, elles sont rares en ce moment.

25 mars 2020

#confinement jour 12

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Silence et beau temps sur la quartier, le climat est trompeur sur Paris. Je reconnais presque mon ciel perdu de la côte charentaise. Un nouvel ami à la maison : un escargot me tient désormais compagnie sur le mur de la cuisine. Par où est-il rentré, comment a-t-il grimpé aussi haut ? J'y vois le signe d'un changement positif du climat sur Paris à l'air purifié.

L’événement people de la journée, c’est la descente au ravitaillement. Tel un héros de Prison Break, je me suis tatoué sur l'avant bras le plan du SuperBouffe Market. Mon but : accumuler des vivres, ne croiser personne, ne pas me gratter le nez, survivre quoi. Mes passages ici sont assez rares pour que je constate une légère flambée des prix 5 à 10% sur pas mal de produits en deux semaines.

Plusieurs commerçants du quartier n’acceptent plus les clients physiques, il faut commander sur internet. D’autres s’auto placent en couvre-feu. Horaires de guerre : 7h-17h. Je n’aime pas du tout l’ambiance dans laquelle on glisse très tranquillement, les mains propres, surlavées au gel hydro-alcoolique. Il parait que dans les campagnes, faute de main d'oeuvre, les légumes partent à la benne. Paradoxalement, et alors que les frontières (comme les marchés ouverts) sont fermées, je trouve encore des tomates espagnoles au supermarché. Le ministre de l’agriculture appelle les neo-chômeurs pour cause de confinement à travailler dans les champs, en totale contradiction avec les mesures annoncées au même moment par le premier Ministre. On marche collectivement cul par dessus tête (sans masque) sur une base désormais horaire.

La rumeur table sur six semaines d’enfermement. Certains parlent de deux ou trois mois, les demandent même. Je n’en reviens pas d’un tel renoncement volontaire à nos libertés fondamentales sans fondement scientifique autre que ceux "vus à la télé". Notre soumission, à laquelle je contribue bien volontiers, m'effraye encore plus que cette contagion. L’esprit est court-circuité, tétanisé. Macron n'en espérait surement pas autant. Je suis prêt à parier que cette improbable histoire de confinement ne lui plaisait pas (d'où les atermoiements du début) et qu’il ne sait plus à désormais plus à quel saint scientifique ou économique se vouer.

Le bilan de son quinquennat sera exactement l’inverse de ce que pourquoi il a été élu : il renationalisera à tour de bras, le pays va se prendre une gamelle de PIB historique, il aura défoncé tous les pactes de stabilité et aura été le premier président à payer des semaines les gens à rester chez eux. La cause est grande c’est entendu, mais il aura été le premier président à foutre l’intégralité du pays à l’arrêt. D’autant que c’est sans fin, il n’y aura pas d’issue heureuse. Il y aura des morts de ce virus, on ne sait juste pas combien ni sur combien de temps puisqu’on ne sait pas les compter. Comment conclure un tel cycle ? Comment redémarrer comme avant ?

Même si nous sommes copieusement mis à contribution et que nous sommes tous concernés (les Français sont inquiets à 87%, et 73% à considérer, malgré les mesures, que La France n’est pas prête à faire face au virus*), Macron sait que la patience aura des limites, (le barnum autour du professeur marseillais en est le premier révélateur) et que le peuple va progressivement y laisser sa peau mentale. Pour l’instant nous dansons, en intérieur, sur une bombe qui tôt ou tard lui explosera à la gueule quand on sera las d’applaudir chaque soir à 20h comme seule activité physique de la journée.

Il sait aussi que quoi qu’il arrive son quinquennat sera marqué par ce premier semestre 2020 (qui tombe au milieu de son mandat) et qu’il est cramé. Quelle meilleure solution de ne pas perdre les élections que de simplement ne plus les organiser ? Nous n’en sommes pas là. Et pourtant. Qui aurait seulement pu imaginer, il y a encore trois semaines, cette assignation nationale à bouffer des chipsters sur canapé pour combattre un ennemi invisible ? Qui aurait pu imaginer que l’on observerait, à la place des publicités sur les abris bus parisiens, des affiches à slogan unique (sur fond de couleurs douces) nous ordonnants de nous laver les mains et de rester à la maison ? Il y a l’épaisseur d’une feuille de cigarette entre notre peur légitime et la totale perte de contrôle collective, planétaire. L’évaporation de la démocratie nous attend au tournant et le pire c’est qu’on ne sait même plus voir où se situe ce tournant tant chaque jour nous plaque un peu plus la gueule par décret dans les eaux visqueuses du non-retour.

"Il est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de le remettre dedans".

Il faut vite sortir de cycle sanitaire qui nous fait glisser dans un autre monde confiné. Le durcissement ou le prolongement est un faux débat. Une quarantaine c’est quarante jours. Au-delà, c’est que l’on à d’autres intentions et/ou que l’on obtiendra d’autres résultats.

*sondage Elabe/BFM du jour


24 mars 2020

#confinement jour 11

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A. et R. sont rodées. Grâce au suivi serré de l’instituteur et de certains professeurs, j’arrive à maintenir un semblant d’école et de disciplin, même le dimanche (celui ci ne voulant plus rien dire).

Le temps confiné en décor unique permet de décrocher de la notion d’horaires. Si ce n’est pour les applaudissements de vingt heures, nous évoluons dans une longue plage floue d’occupation de l’espace s’organisant autour du soleil. Je me trimballe avec mon pot de terre et sa pousse de coquelicot, le matin d’un côté de l'appartement, l’après-midi de l’autre. Nous ne regardons plus la télé, n’écoutons que peu de musique. Le silence est apaisant, pour l'instant. Si ce n’était pas pour cette petite interdiction de sortie cela ressemblerait presque à un long week end de vacances. L. me dit au téléphone qu’elle n’a plus envie de sortir, c’est un peu pareil de mon côté. Les rats des villes s’habituent à leur cage dorée.

Le soir venu, nous faisons le bilan des occupations de la journée, A. ne sait plus si on n’a fait tel ou tel exercice de fitness ce matin ou hier. Tout se confond, tout est à la fois lent dans l’instant et fugitif dans le souvenir. L’autre bout du monde, c’est trois rues derrière. Le virus n’est plus qu’une chimère, nous ne voulons rien en percevoir. A quoi bon ? A chaque fois que je vois la tête de l’androïde et de son parterre de teubés, je me sens devenir haineux. Mieux vaut éviter. Je craignais une restriction du jogging et j’apprends que le Premier ministre vient de passer l’autorisation de 30 minutes à une heure en complément de la fermeture des marchés ouverts qui pourront quand même ouvrir s’il est décidé en local de ne pas les fermer (si si vous avez voté pour ces connards).

Un confinement total n’a pas de sens sans test généralisé. Un confinement total est impossible sans ravitaillement alimentaire. Un confinement total est illusoire sans policiers protégés. Le gouvernement est pour le moment incapable d’assurer les trois. Un confinement total est surtout une preuve d’échec, la démonstration par l’exemple de la faillite des gestions néo-libérales des nations, dont les chefs de service, fidèles à leur tradition, font désormais payer le prix de leur nullité à chaque citoyen.

L'espoir d'une "amélioration" ne tient qu’à la responsabilité des Français et à leur capacité à encaisser cette aventure intérieure. Quel sera le point de bascule ? Pour l’instant nous avons l’air responsables et motivés, en résumé : nous avons tous plus ou moins peur pour nous et nos proches. Mais qu’en sera-t-il dans deux semaines, trois, un mois ou deux ? Quel sera le point de bascule de l'équilibre fragile entre cet effondrement intime et collectif, notre psychologie d’intérieur puis l’économie dévastée d’un pays, et le nombre de vies sauvées ? D’autant que ce nombre ne sera, par définition, jamais assez et qu’il tourne dans le vide tant que l’intégralité de la population n'est pas testée.

Dire que l'on raillait avec le plus grande morgue il y a encore un mois ceux qui s’aventuraient à évoquer, à minima, une fermeture des frontières si la danger était à ce point sérieux. Vous vouliez de l’échange ? Et bien restez chez vous maintenant.

A bien y regarder, j'ai l'impression que cette pousse de coquelicot n’est qu’une vulgaire salade.


A lire : https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/et-maintenant-on-culpabilise-les-citoyens

23 mars 2020

#confinement jour 10 : L'intime collectif

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J’entends les critiques de Twitter (que sait faire Twitter à d’autre ?) sur les diaristes en herbe, ces privilégiés qui romancent l’épidémie en retrouvant la plume et leur héros préféré, eux-mêmes, "sans avoir à s’embarrasser des figurants" comme l’écrit très justement Pacôme Thielemans.

J’aime les journaux intimes, tous même les mauvais, leur lecture est quelque part rassurante, leur rédaction apaisante. Ecrire le quotidien est mon autre drogue avec la course en solitaire, si proche : rigueur quotidienne, maintien d’une pratique physique et intellectuelle, oxygénation. De ce côté la renaissance actuelle des blogs et des journaux de confinement sur les réseaux est un petit bonheur imprévu.

Ecrire, une façon de signifier pour un semblant d’éternité que tout d’une journée, l'esquisse d'un sourire, la couleur d'une fleur, la peur à l'intérieur, même et surtout l’ennui, est précieux.

Le journal a toujours ma préférence littéraire. Depuis le collège, les fictions m’emmerdent. J’aime Balzac pour ses portraits d'une époque à travers la description d'une poignée de porte et Proust pour sa faculté à tourner 3000 pages autour du pitch (le cul d'Albertine). L’histoire m’importe peu, traverser la rue vaut mille fresques en trois tomes.

Je traverse la rue et je retrouve mon seul vrai boulot : élever mes filles. Circuler avec des enfants devient de plus en plus mal vu. Comme je le présentais la semaine dernière, il faudra slalomer la semaine prochaine entre ceux qui se contrefoutent toujours du virus au supermarché et ceux qui sont prêts à te dénoncer parce qu’ils t’ont vu par la fenêtre. Courir sera probablement supprimé dans les heures qui viennent vu l’hystérie des experts médicaux à la parole divine sur les plateaux télés. Ils te veulent obèses devant la TV, manger 5 séries et JT par jour.

En attendant, on se remet au fitness, cette fois sur du Cure.

"I never thought tonight could ever be
This close to me"

C’est étrange de l’écrire mais, mettant de côté la non possibilité de sortir, nous passons un de ces dimanches de confort moderne classique : ratatouille bio, récupération des devoirs en retard, confection d’un flan, sessions de croquis et de portraits et visionnage d’un Disney en anglais.
Les échos d’un nouveau scandale médical impliquant Macron et sa garde rapprochée d’incompétents monte sur les réseaux. Ne nous énervons pas. Ils rendront des comptes en temps voulu.

Accrochons-nous à ces petites satisfactions quotidiennes, cette crise aura au moins deux effets positifs : L’UE, démontrant à grande échelle sa totale inutilité, s’autodétruit sous nous yeux et, pour l'instant, nous mangeons mieux.

22 mars 2020

#confinement jour 9

par
On parle de phase d’adaptation. Je n'y suis pas encore. Double peine des confinés en ville : cumuler l’isolement et la crainte de la promiscuité. Si on sort un jour de ce merdier, je développerai un plan B pour la prochaine pandémie. Il est hors de question que moi et mes proches crevions dans cette ville de merde avec la probabilité non négligeable d'avoir comme seule vision à l'arrivée du dernier soupir ce mur décrépi puant le pipi et fort opportunément tagué « aller niqué vos races en enfer » .

Frissons toute l’après-midi, je me crois atteint (évidemment), mais je pense que c’est juste la fatigue et le ciel gris. Aussi prévoyant que le gouvernement, je n’ai pas de thermomètre. Il s’est passé quatorze jours depuis mes vraies dernières prises de risque de contamination à savoir l'aéroport de Barcelone.

Suis-je contaminé asymptomatique, non contaminé ? Nul ne le sait, pas de test évidemment. On n’est déjà pas foutu de fabriquer des masques en tissu alors des tests pour chacun, on les aura entre Pâques et la semaine de l'inauguration de la nouvelle version de Notre-Dame. Non, pour un pouvoir usé, qui se refait une santé dans l'opinion, mieux vaut continuer à culpabiliser les individus et confiner en collectif. Ma seule évaluation : suis-je encore capable ou pas de faire du sport ? La réponse est oui donc je vais bien.

Je n’écoute que très peu les infos, me bloquant du matin au soir sur FIP avec quelques effrayants sauts de puce sur les chaines information.

Il parait que le climat législatif va se durcir. Vais-je seulement pouvoir alterner la garde de mes filles tous les trois jours comme nous l’avions envisagé alors que nous habitons tous les deux dans le même quartier ? Va-t-on devoir tous réhabiter ensemble, s’entasser plus pour supporter le confinement ? Si la logique sanitaire reste à prouver (j’espère qu’elle le sera), nous glissons peu à peu dans l’absurde. Pourquoi confiner si l’on peut continuer à travailler ? Pourquoi rester chez soi toute la journée, si inévitablement on se retrouve entassés à un moment dans les supermarchés métamorphosés en bouillon de culture ? Et comment confiner des immeubles avec cent appartements où tout le monde peut circuler ? Dans quel état désastreux va-t-on récupérer les couples qui se tapent déjà sur la gueule, les familles à 5 dans 40m2, celles et ceux seules dans une studette sans fenêtre (ah Paris…) ? Va-t-on devoir mourir d’une carie non soignée parce que la priorité c’est la pandémie ? Va-t-on devoir rester bloquer deux mois dans un ascenseur en panne, parce que « dépanneur » est devenu une activité « non essentielle » ? Va t-on devoir mettre un militaire derrière chaque civil ?

Si les sacrifices d’un confinement de quelques semaines sont nécessaires, il faut s’interroger sur les conséquences sociales, mentales, physiques et économiques d’un prolongement de la durée ou d’un durcissement. Quelle est la logique finale d’un confinement total ? Finir par tirer à vue sur les gens pour les protéger d’eux-mêmes ? Que des policiers sans masque mettent en prison pour leur santé des types à plusieurs dans la même cellule ? Quelle est la logique économique d’un suicide pour éviter l’hécatombe ? Tout cela parce qu’on n’est pas foutu de fournir des tests pour identifier des porteurs sains. Retournons tous dans nos cages regarder des publicités pour un monde dont on ne plus profiter. Nous sommes tétanisés par la peur et prêts à obéir. Nous voulons l’armée, nous voulons sacrifier nos libertés, nous encensons un pouvoir que nous détestions il y a deux semaines.

Mon quartier (les limites de notre nouveau monde) pourtant respecte plus ou moins les règles et se discipline jour après jour. Il y a toujours des exceptions ça et là, mais de moins en moins jour après jour. On se parle de loin en achetant une baguette, mais on se parle encore. Est-ce trop encore ou doit-on déjà se considérer comme criminel de guerre ? Dans ce cas-là, j’en connais d’autres sur la liste, bien plus haut placés, qui ont permis à des milliers de parisiens plus thunés dirons-nous, d’aller contaminer en SUV hybride le territoire entier.

Derrière les exemples désastreux d’apéros clandestins ou de barbecue sur les plages, j’espère (encore un peu) que le gouvernement et les maires feront un peu plus confiance au sens de la responsabilité de l’écrasante majorité des Français.


21 mars 2020

#Confinement jour 8

par
Attestation manuscrite au poing, je descends à l’aube courir dans les rues du quartier. Je n’ai pas couru depuis quinze jours hormis quelques séances d’appartement. Je peux me passer de la cigarette de l’alcool, plus difficilement de la course. Je ne croise pratiquement personne à cette heure-là. Ou plutôt si. Deux sans abris, îlots de vie au bas des rues désertes où l’on entend à cette heure-là que le croisement des corbeaux et le claquement des volets comme dans les ghost-towns des vieux westerns.

L’isolement de ceux auxquels on ne fait plus attention depuis longtemps crève les yeux maintenant.
Les oiseaux me narguent désormais à quelques centimètres, pianotent de petits bons sur les rambardes des balcons. Les rares fois où je passe dans l’allée, ils ne décollent plus aussi sec comme avant mais prennent le temps de me regarder de haut. Les oiseaux ne se cachent plus pour nous dire :

- On fait moins les malins maintenant, hein les humains ?

Pour l'instant les humains, eux, restent conditionnés au trottoir. Distance de sécurité ou pas, peu marchent au milieu de la chaussée. Les rues sont réservées au piéton de fait, et pourtant les piétons continuent à y laisser la priorité à des bolides imaginaires. Ceci dit, on n’est jamais à l’abri d’un livreur Uber eats, relique incongrue de la start-up nation, kamikazant pour un bol de nouilles en scooter électrique. Ce serait bien con de mourrir écraser dans une ville sans voiture.

C’est l’heure de vérité. Après une longue observation des lieux et des us par la fenêtre et une étude de marché de l'heure la plus appropriée en fonction des livraisons, j'entre pour la première fois dans la supérette en temps de "guerre sanitaire".

Des palettes d'articles jonchent les allées, les manutentionnaires et le personnel ne chôment pas pour réapprovisionner les étalages. Certains portent des gants d’autres non, un des vendeurs me reconnait malgré mon bâillon et me demande comment je vais. Je lui fais un V avec le main. Ces mecs sont inconscients ou très courageux, mais dans les deux cas pas loin d’être des demi dieux à mes yeux. A la différence de plein de jobs que nous avons le confort de pouvoir exécuter en télé-travail, leur métier est essentiel. Comme souvent dans ce monde d’avant qui marchait cul par dessus tête, plus une tâche est indispensable à la collectivité moins elle est rémunérée.

Ça marche avec presque tout :
Des urgentistes qui sauvent des vies ? Pas important, ça ne vaut rien, les gens ça doit mourrir quand ça doit mourrir.

Les enseignants en charge de l’éducation de centaines d’enfants simultanément ? Penses-tu, des feignants.

Les chercheurs ? Pas assez rentables les chercheurs, ils ne trouvent pas assez souvent.

Le type qui t’apporte ta bouffe et nettoie ta merde ? Pas de Bac +12 pour ça, à quoi bon le payer correctement ?

Voilà le monde qu’on a voulu, celui qui pour lequel on a voté, celui auquel même si l’on se trouve « pas assez con pour voter » on contribue jour après jour depuis notre naissance avec nos renoncements, nos offres promos par paquets de douze, nos commandes en ligne. De nos smart-phone à nos cure-dents en passant pas nos fruits tous importés de l’autre bout du monde, fabriqués, cultivés, assemblés au plus faible coût financier donc au plus lourd coût humain et écologique.
Mais je m’emballe, où est ma liste de courses ?

Merde, j’ai fait tomber le papier. Tant pis je vais arpenter les rayons calmement en tentant de garder mes distances. J’ai répété la scène dans l’appartement : mon gros sac sur l’épaule droite, ma main droite nue maintenant le sac mais ne devant jamais toucher à rien d’autre, je dois saisir les articles avec ma main gauche enrobée d’un gros gant de ski (c’est tout ce que j’ai trouvé dans l’appartement, étrange je n’ai pas skié depuis cinq ans).
Ce n’est pas la pénurie générale mais il n’y a plus aucun produit de lavage ou d’entretien, plus d’oeufs, et je prends les dernières bouteilles de lait. Le rayon des pâtes est devenu communiste : c’est un alignement warholien d’une même marque sur dix mètres. Une marque avec un nom italien genre " Bastafioni " probablement tout aussi bidon que la qualité gustative du machin. C’est trop bon marché pour être de qualité.
Le principe des distances de sécurité est à peu près respecté par tous, hormis quelques petits vieux, ceux au dos courbé et dont tu peux compter les vertèbres à travers le manteau rapé comme je l’ai lu dans un commentaire sur Facebook. Eux et elles ne changent rien à leur routine quotidienne : un petit cabas de secours, de quoi tenir un ou deux jours pour eux et leur animal de compagnie. Les choses se compliquent à la caisse avec la manipulation des articles dans tous les sens. On ne perd pas le rythme, toutes les consignes de sécurité sont soudainement balayées, il faut abattre du client et que ça défile. Nos articles se mélangent entre clients après le scan. Nous sommes tous à moins d’un mètre les uns des autres, la plupart sans masque.
Au tapis d’à côté, je reconnais un célèbre philosophe médiatique qui ravitaille également entre sérénité et empressement. Food for thoughts. Je ne l’aimais pas particulièrement, mais je lui reconnais au moins ça : il est là au milieu de nous alors qu’il avait surement mille endroits plus plaisants où aller vivre sa quarantaine.
J’enroule un kleenex sur mon doigt pour composer le code de la carte, le tout avec une main, celle gantée étant condamnée. Curieuse gymnastique digitale où la moindre erreur conduit à devoir ramasser le précieux sésame bancaire sur le sol très possiblement contaminé.

Je sors de ma première excursion à la supérette avec le même niveau de fatigue qu’après mes trois kilomètres de course du matin. Je vais désormais privilégier les « petits » commerçants du quartier bien plus strictes sur l’hygiène, aux articles souvent plus chers mais plus locaux et très souvent de meilleure qualité. Cet épisode va creuser toutes les inégalités alimentaires, éducatives, culturelles.

Processus de désinfection à mon retour à la cellule même si je suis loin d’être parfait, je laisserai le sac quelques heures avant de le toucher et de manipuler son contenu. Douche, j’ai désormais des mains calleuses de vieux marin à force de me les laver. Ce nouveau quotidien un peu mieux maitrisé, je suis plus efficace dans le télé-travail, moins de temps perdu qu’en temps normal finalement.

Ce gouvernement pour qui « le travail c’est la santé », mais pas les masques, s’apprête à supprimer les 35 heures et raccourcir les vacances en entubant massivement les français confinés qui devront prendre une partie cette peine de réclusion en « congés payés ». Nous vivons déjà une perte de liberté, nous pourrions bien vivre dans les mois qui viennent une régression des droits sociaux sans précédent. La stratégie du choc s’opère sous nos yeux et nous y contribuons pour notre santé et celle de nos proches, oserions même nous affirmer avec la plus belle fougue libérale des jours de grève que nous sommes "pris en otage" ou tout au moins prisonniers. Tout se paiera androïde, tout se paie toujours. Quoi qu’il en coûte.

L. au téléphone. Nous étions tous les deux persuadés d’être un jeudi, mais non c’est bien vendredi. La dilatation du temps commence à opérer. Nous sommes en week-end de pacotille. Nos voix numériquement recomposés autour d’un apéro chacun à son balcon. Se souvenir de chaque instant, chaque sensation, être là l'un pour l'autre dans les pleins et les creux, se nourrir d'hier, imaginer les après sans se laisser trop emporter par demain.

Nous vivons notre séance de cri de 20 heures par le balcon en simultané.

D'autres apéros en ligne qui réchauffent avec les amis sur Skype qu'on réapprend à faire fonctionner.
Je m'en retourne à la confection de plats pour la semaine, sans passer un instant par la case écran ou info alors que c'est mon carburant en temps normal. Ce qui m'importe pour l'instant c'est que j'ai vu un peu grand : me voilà avec une ratatouille pour vingt.

Dommage que je ne puisse pas vous inviter.




20 mars 2020

#confinement jour 7

par
A. me rejoint à l'aube. Je suis réveillé depuis deux bonnes heures. Je lui propose une sortie rien que pour nous deux avant le réveil de sa grande soeur. La routine sanitaire est acquise. Gants et Baillons en polaire rouge, laisser-passer dans la poche. Descendons sur la piste Corona en prenant garde de ne pas accrocher les portes.

Main dans la main, nous sommes les spectateurs privilégiés de la symphonie matinale sur la petite place arborée, propriété exclusive des oiseaux. A. pointe du doigt les premières fleurs sur les branches, c’était au programme d’une de ses dernières leçons.

Une pyramide de gros pains rustiques à la boulangerie du coin de la rue. Il n’y en a jamais eu autant à cette heure. Les maraichers, les bouchers et les boulangers redoublent d’effort pour fournir de l’abondance au coin de nos rues désertes.

L'école en temps de confinement. Je constate une réelle différence entre le primaire et le secondaire. L’instituteur d’A. a organisé une boucle mail, simple et touchante. On y donne exercices et leçons à réviser, quelques conseils et une phrase d’encouragement. A. est très attachée à son instituteur. Même quand il n’est pas là, à ses yeux en termes d’instruction, c’est lui qui fait la loi. Dans le secondaire, c’est plus compliqué. Le logiciel tant vanté par un ministre fonctionne mal et il est différemment suivi par les professeurs. J’apprends à R. à se dépatouiller des fichiers .PDF, comment zipper et dezipper une présentation et autres basiques de la vie numérique. Je croise les doigts pour qu’elle continue à être sérieuse et ne glisse pas dans le laisser-aller vu la situation et la piètre ergonomie du logiciel. Je n’ose imaginer la situation scolaire d’enfants qui sont déjà en quasi décrochage à l’école alors qu’ils se retrouvent confinés parfois à plusieurs, et / ou sans ordinateurs.

Nouvelle crise d’A. parce qu’elle s’est trompée dans ses exercices. Seule solution pour la calmer, le bain, ce spa des confinés. Cela fonctionne, nous nous occupons chacun à nos travaux, chacun dans notre coin.

Le soleil revient en force sur nos façades blanches. R.ouvre la fenêtre et joue de la guitare pour la rue. Je conviens d’un rendez-vous à mi-chemin avec C. pour lui déposer les enfants à la mi-journée. Tant que c’est possible nous allégerons les alternances de garde à trois jours.

La pâté de maison, notre seul horizon, ressemble aux reconstitutions américaines en studio des rues « si typiques » de Paris (à savoir sans voiture et sans piéton dans l’imaginaire mondia). Tout ceci a des saveurs de The Handmaid’s tale. En six jours, on s’y est globalement plié. Pour certains et j’en suis, on demande même plus de fermeté avec les contrevenants, plus d’hygiène à chaque instant. Il va falloir être vigilant sur nous, notre entourage, nos réactions communes, notre condition physique mais aussi mentale. On se prend a rêver sur le monde qui va changer après, mais il ne faut surtout pas rêver. Il y aura un avant et un après, oui, mais il y a surtout un pendant, nous définissons la suite.

Ma cellule cosy est désormais comme toutes celles de la cour : les fenêtres grandes ouvertes la journée. Quelques voix résonnent brièvement, quelques impatiences d'enfants et les oiseaux, des mouettes un moment et l’écho limpide d’un clocher. Mon quartier parisien ne s’est pas transformé en ville de province, tendez l’oreille c’est un village de campagne. Les peurs s’effacent provisoirement, demain n’existe plus jusqu’à la prochaine fois.

Les objectifs sont simples : terminer la cuisson des légumes, ne rien gâcher, se laver les mains, répondre aux questions du boulot, prendre des nouvelles des siens.

J’envoie un message à mon père plus pour lui donner un peu de nouvelles plus que pour en prendre des siennes, j’en connais les grandes lignes. De ce qu'il m'a été rapporté, il ne réalise pas vraiment ce qui se passe en ce moment. Lui est déjà isolé depuis des mois à l’hôpital, et n’est connecté au monde que par un écran de télé où tout n’est plus qu’une fiction éphémère où le télé-crochet des bibelots de Sophie Davant a la même valeur que le bodycount de la pandémie. On a tout imaginé depuis des mois à son sujet, il a tout traversé débonnaire et sans mémoire, et aujourd’hui l’absurde : Toute visite est interdite pour sa sécurité, ce n'est plus son corps mais l'extérieur qui est un danger.

Mes colères sont en pause. Toute sauf une. Ce scandale d’un pouvoir qui, plus de trois mois après le départ du virus, n’a toujours de masque à distribuer à son corps médical comme à sa population. Je ne comprends pas la complexité de cette tâche pour un exécutif si prompt à donner des leçons sur le travail des autres, alors qu'il y a encore cinq jours dans n’importe quel Mac Donald’s du territoire français on offrait un Avengers en plastique, fabriqué à douze mille kilomètres de là, pour chaque Happy meal à quatre euros commandé.

La semaine dernière est un monde englouti, la prochaine une chimère. Tout nous parait incertain, on avait juste oublié que tout l'a toujours été.

Ce que j’ai écrit hier est contredit à ma fenêtre le soir même. A 20 heures, c’est l’ensemble de la cour qui est sa fenêtre pour applaudir, dix minutes de joie balayée chaque minute par le faisceau bleuté de la tour fantôme. Je découvre ces façades que je connais pourtant depuis dix ans. Les hurlements, les sirènes pour les infirmiers, les docteurs, le personnel hospitalier, mais cette émotion collective ne leur est pas uniquement destinée. C’est notre point de rencontre, la façon la plus sécurisée de se prendre dans les bras et de tous s'encourager.


19 mars 2020

#confinement Jour 6

par

- Tu vois qu'on a bien fait de laisser le chat à la campagne et ne pas le garder à l'appartement. Il est plus heureux là-bas. Maintenant on est comme était le chat ici : on ne peut plus sortir et rentrer quand on veut.

Matinée entrecoupée des cris de A. parce que l’opération « n’est pas faite dans la bonne colonne ! ».

Mon pouvoir de mobilisation sur n’importe quelle autre tache est de 15 secondes à tout casser les gamines me sollicitant sans arrêt du réveil au coucher. Je dois avouer aussi ma confusion à prioriser et à mettre en pause mon constant état d’alerte. Même si nous nous améliorons dans l’organisation, ce reboot de Loft Story avec deux enfants sans terrasse ni jardin est un escape game sans fin.

Nous ne sommes pas sortis depuis dimanche. Les effets de la promiscuité commencent à se faire bien bien sentir. Ce n’est pas tant une question de place que de bruit, de papillotement constant et de perpétuelles engueulades entre les soeurs.

- On a le temps de tout faire, mais on ne sait plus quoi faire, me dit A.

La solution serait les écrans, mais je ne veux pas tomber là-dedans, d’autant qu’elles ne sont pas réellement en demande. Nous ne regardions plus que très peu la télé depuis quelques mois.

Je les lance sur l’écriture d’un scénario tandis que je sors en bas du bâtiment pour un échange à la sauvette kilos de poireaux contre clopes duty-free presque comique.

Nous mangeons paradoxalement mieux, un autre voisin restaurateur nous ayant rechargé en légumes frais. Je me souviens encore de cette conversation légère avec lui dans l’ascenseur sur le virus il y deux semaines, soit six mois en équivalent Corona-Time. Je me rappelle également de la conversation avec T. dans ce même appartement, il y a deux semaines et six mois aussi, sur l’importance de prendre de la distance avec cette ville, avoir son petit terrain cultivable. A l'époque, début mars donc, nous n'avions même pas fait le lien avec le virus.

L’agressivité palpable du quartier ces derniers jours mute progressivement en une routine anti-sociale et sanitaire, plus ou moins respectée. Beaucoup de gens du quartier sont partis. Il ne reste ici que les revenus modestes et les familles sans résidences secondaires et quelques autres qui ne comprennent pas encore trop le pourquoi et le comment des contrôles policiers. De ma fenêtre, je vois quelques terrasses orientées plein sud abandonnées par leurs propriétaires.

J’avais sous estimé l’exode parisien de dimanche et lundi qui propulsera n’en doutons pas le virus dans les territoires qui sont déjà des déserts médicaux avec les conséquences que l’on sait. Comment leur en vouloir ? J’aurais eu l’opportunité : j’aurais probablement fait pareil.

Nous coupons les écrans et les informations et je ne vais plus que parcimonieusement sur les réseaux sociaux. C’est le retour en force du silence, du champ des oiseaux, du roucoulement des pigeons qui ne m’ont jamais semblé aussi beaux, c’est dire mon niveau de fatigue. Je trouve les pigeons désorientés d’ailleurs par cette perte soudaine de perte sèche de détritus à becqueter. L’on n’entend plus d’autres signe de civilisation que les échos, pour l’instant lointains, des sirènes d’ambulances et de voiture de police.

A l’heure du soleil dans le salon, je me penche au balcon pour prendre ma dose et un shoot d’amis au téléphone. J’entends parler d’élan de solidarité et d’acclamations aux fenêtres chaque soir pour remercier les soignants qui après avoir couté "un pognon de dingue" font "un travail exemplaire". C’est encore timide ici. Certains en sont encore à jeter leurs kleenex sales et leurs boites de whiskas vides par la fenêtre comme d’habitude, pas de dérogation pour ça.

Vers 18 heures, on tente une sortie. Deux tours de paté de maisons. On se protège le bas de visage avec nos masques de fortune : des écharpes en polaire rouges assorties. Première marche en trois jours dans notre quartier fantôme juste parsemé de quelques primeurs, boulangers et bouchers qui attendent le client masqué.

Je ne sais pas ce qui suivra, mais c’est une expérience déstabilisante de découvrir des lieux de tous les jours, en l’occurence une artère commerçante, vidés et muets. On n’ose même plus parler tant on est certains que chacun chez lui peut nous entendre dans les trois cents appartements autour de nous.

En bordure du parc des enfants, certains n’ont pas nos pudeurs de confinés. Dans un recoin caché sur la pelouse, un couple allongé n’est pas loin de passer à l’acte. On n’y fait même plus gaffe, tant on est heureux de respirer cet air que je n’avais connu à Paris. Les apôtres du tout bagnole ont une cinglante démonstration. Même le nez derrière nos écharpes, on fait clairement la différence avec ce que l’on respirait il y a encore quelques jours.

On croise un joli chat dans la rue qui miaule vers nous et se frotte à nos jambes, je retiens A.

- Ne le caresse pas.

Au retour, j’achète des pommes dans l’épicerie désertée. On se parle de loin, on se désinfecte les mains, on paye sans contact.

Nous les partageons à la fin du souper alors que le soleil rouge rase les toits.

Après cette journée chaotique et claquemurée, en mâchant la pomme fondante, nous avons tous les trois au même moment la même réaction :

- Qu’est-ce que c’est bon !




18 mars 2020

#confinement jour 5

par
A quelques heures du confinement officiel, R. compte les passages dans la rue des gens avec et sans masque.

Le ratio protégé/non protégé est encore très, très faible. A huit heures devant la supérette, curieux spectacle de quelques personnes qui s’agglutinent en respectant encore timidement les consignes de sécurité. Pas de file, juste un éparpillement « allégé » devant le seul accès du magasin. Au fil de la journée, la file se forme avec un espace raisonnable entre chaque consommateur cueilleur à carte bleue.

N’ayant rien compris au discours de Macron, je regarde les consignes de Castaner. On dirait le remake d’un film apocalyptique de Roland Emmerich avec Michel Galabru dans le rôle principal. Ceci écrit il est plus concret que le patron de la start-up nation dont le virus a d’ores et déjà eu la peau. Il est donc question d’un papier à imprimer pour faire pisser son cleps (je regrette soudain de ne pas en avoir).

Je lève les pieds sur le footing et les sorties « inutiles » moi qui fais presque chaque jour entre 5 et 10 kilomètres à pied. Je vais en rester au ravitaillement une ou deux fois par semaine et éventuellement quelques marches autour du block tôt le matin. Je suis surtout catastrophé pour les enfants qui vont devoir rester cloitrés 99,9% du temps. Ça n’a pour l’instant pas l’air de les troubler. Business as usual.

Côté scolaire nous avançons mieux. La matinée se cale sur les leçons et les devoirs fournis par divers moyens par les professeurs tandis que je travaille de mon côté. On glisse immobile doucement dans le dur. Quatorze jours, peut-être le double, le triple. Et pour quel résultat ?

On en est là avec nos doutes, nos envies de renouer contact, de retisser les liens que l’on a laissé se distendre. Un mot, un commentaire, une voix peut sauver des minutes, et les minutes font des vies. Nous sommes trois naufragés d’intérieur qui se découvrent à partir de mardi midi avec eux comme seule perspective. On rit, on lit à voix haute l’un contre l’autre du Marcel Aymé dans la chaise longue, on fait du sport, beaucoup, c’est incroyable tout ce que l’on peut faire dans un salon une fois les meubles enlevés. On compte la nourriture, les mots à apprendre en anglais, le vocabulaire de la poésie, les billes dans le jeu d’Awalé, le nombre de jours qui nous séparent de mai et les week-end qui disparaissent.

Douceur de la proximité oubliée avec les enfants comme aux premières années. Quelques colères entre soeurs, qui s’attirent et se déchirent sans cesse déjà en temps normal. C’est par la musique que paradoxalement nous nous isolons le mieux chacun à nos postes, l’écran des réseaux pour moi, la partie de carte imaginaire pour A. et les messages aux copines pour R. Nous prenons le rayon de soleil de la journée à la fenêtre une petite heure, en écoutant le champ des oiseaux. Un air apparemment pur nous caresse les joues. Le soleil gagne du terrain lentement, trop lentement. Il fait encore froid. Mars est le plus traitre des mois. On danse dans le salon sur des vieux disques à l’heure de l’apéro à l’eau.

"Let the sunshine in !"

L. est de l'autre côté de la ville. Je crois qu’elle gère mieux que moi l’angoisse plus ou moins larvée de chaque instant. Nous y serons confrontés ensemble dans notre coin, à tour de rôle en silence, avec nos petits rites et en nous aimant. Chacun sur notre rive, avec nos enfants, sans trop rêver, en prenant soin de profiter de chaque instant.

Je crois que suis entrain de progressivement reprendre mon premier blog. Il s’appelait les jours et l’ennui.

17 mars 2020

#confinement jour 4

par
Malgré mon endurance à la solitude, j’appréhende comme tout le monde les semaines à venir. Je serai isolé une semaine sur deux (si nous arrivons à assurer l’alternance de la garde des filles), je ne vais probablement pas revoir L. avant… avant je ne sais pas. On va y arriver, mais j’avoue que je suis un peu à sec d’euphorie à l’instant présent. La première journée d’école à la maison m’accapare plus que je ne le pensais. Heureusement, les filles sont presque plus attachées que moi au respect des horaires, (d'autant qu'il faut manager AUSSI les cours, les récrés, la cantine, les ateliers et l'étude).

Vu les comportements du week-end, nous allons vers le couvre-feu. Ce sera dur, et surtout compliqué à faire respecter à l’intérieur d’immeubles comme le mien. Je me retiens toute la journée de faire des stocks de nourriture, vu ce que je vois par la fenêtre. J’ai de quoi tenir quelques jours. La supérette du quartier est depuis quelques jours l’épicentre de mon attention avec ses allers et venues sans aucune protection, sans distance de sécurité, avec des caissières sans masques, des types qui prennent des risques pour acheter UNE baguette, ou alors remplissent trois caddies complets de packs d’eau (MAIS PUTAIN POURQUOI FAIRE ?). Je ne peux même pas leur en vouloir, nous faisons société. Si nous allions tous à la même vitesse de compréhension, d’acceptation ou juste d’attention à soi et à autrui, ça se saurait et Paris serait un territoire d’harmonie. Je constate déjà dans quel état de désordre je suis moi-même au bout de trois jours. On bricole comme on peut avec ce qu’on est et ce qu’on a.

D'ici là Il va falloir avoir des nerfs en titane. SI ça se passe bien, il faudra s'adapter à la sérénité forcée, retrouver cet état que j'avais lorsque j'habitais dans ma petite maison au bord de la mer il y a longtemps. Sans le jardin ni le soleil, avec juste le contentement du télé-travail fait, la joie d’être là à écrire, le plaisir de lire et vous lire, l'immense bonheur d'écouter de la musique, beaucoup de musique, et accueillir satisfait mon ennui quand il s'invite.

- T’inquiètes pas Papa, ça va aller.

Après des heures de tergiversations stériles, et quelques larmes, je sors au milieu de la rue avec les filles, visages emmitouflées jusqu’aux yeux comme moi. Nous marchons juste pour marcher en prenant soin systématique de nous écarter de tout individu, connu ou pas, ce qui est paradoxalement encore plus compliqué que dimanche et conduit à des situations ubuesques. Avec ma double écharpe, je ressemble à un taliban. On me regarde encore de travers avec un je-ne-sais-quoi de culpabilisation parce que précisément je me protège et les protège. Ça va changer. Les mêmes dans deux semaines nous engueuleront parce qu’on sera à moins de deux mètres d’eux dans la file d’attente du carrefour market, officine parisienne standard d’alimentation de proximité d’une contenance sanitaire de 3 personnes maximum en simultané. (durée prévue des courses : 6 heures)

Nous regardons en famille le journal de Macron du soir. Le gros problème de son allocution est qu’il ne s’adresse qu’à ceux qui ont bien compris la dramatique équation, et fait la morale aux autres (ce qui ne sert à rien) alors qu’il est très loin d’avoir le cul propre dans ce fiasco. Un pays qui n’est pas capable d’assurer des masques, du gel et des gants en quantité suffisante au premier jour du stade 3 d’un virus identifié depuis des mois a un sérieux problème d’industrie et de management.

Il ne prononce pas le mot « confinement ». On n’a le droit de voir personne mais on a le droit d’avoir des « initiatives avec ses voisins ». Une balade avec sa gamine : non. Une partouze en live stream gratuit de Jacquie et Michel : oui. Je ne doute pas que d’ici quelques jours, tout cela va se durcir encore plus. Je m’attendais à ce qu’on essaye un peu plus de dictature dès maintenant.

J’ai peur pour ceux que j’aime et celle que j’aime, mes filles, mes amis, mes parents, j'ai peur pour ceux et celles qui prennent concrètement des risques pour un salaire dérisoire pour nous sauver, j’ai peur pour ces gens que je ne connais pas, pour ceux avec qui je me suis engueulé. En attendant je vais bien fermer ma gueule et obéir aux consignes. Et je n’oublierai rien quand tout ça sera terminé.
Je pense à nous tous quand l’on se retrouvera. Nos rires, nos pleurs, nos étreintes et nos engueulades. Je pense à ce monde nouveau qui nous attend après cette merde. Si l’on ne change pas de cap économique, social, industriel, bref humain et philosophique après ce bordel planétaire, alors oui je ne donne plus cher de notre espèce.

2020 c’est soit la pire saison de Black Mirror, soit l’an 01.

En attendant, distance et hygiène mes braves.


16 mars 2020

#Confinement (ou presque) jour 3

par
C’est le pire qui pouvait arriver : un premier joli dimanche de printemps

Autorisation générale d’aller voter donnée par un pouvoir qui n’est pas foutu après trois mois d’alerte de faire fabriquer et livrer des masques à sa population et aux médecins (à noter que le premier ministre de la France est lui-même candidat à la mairie du Havre. On ne sait jamais : si d’aventure il s’ennuyait avec les évènements du moment).

La première belle journée de l’année, douce et bleue, après trois mois de pluie. Je me torture toute la matinée après 48h enfermé, mais je ne peux m’empêcher de sortir les filles en leur ressassant toutes les précautions d’usage : les mains dans les poches, rester à trois mètres de tout individu. Nous improvisons un parcours au milieu de la chaussée qui compose avec les rayons du soleil et l’évitement systématique de ceux qui nous regardent encore les yeux ronds. Nous nous retranchons dans les allées tranquilles du cimetière Montparnasse, loin de la tension. La tombe de Jacques Chirac est un inattendu sanctuaire ou nous oublions le virus quelques instants.

Nous croisons de loin quelques silhouettes solitaires et un couple d’allemands assis sur un banc avec valises et masques. Ils attendent probablement la navette pour l’aéroport. A leur visage fixe, je vois que eux ont très bien compris la situation.

De ce que je capture sur les réseaux sociaux, à l’image de l’insouciance des rues autour, les parisiens s’entassent dans les rues marchandes et les parcs, ne changeant rien à l’égoïsme total qui les caractérisent. Des buvettes sont même encore ouvertes malgré l’interdiction. J’avoue que j’ai toujours mal compris ce penchant local pour l’entassement bruyant. Alors en période de pandémie...

Paris ne panique pas encore. Paris est une fête. J’ai l’impression de vivre dans mon mur Facebook s’il y a dix jours. Je me souviens aussi du journal de Paul Léautaud relatant la vie paisible du quartier (le même) au printemps 1940 alors que l’été et les nazis approchent de Paris. Balek total de parisiens pédants perdus dans les polémiques du moment et qui n’y croient pas vraiment tant qu’ils n’ont pas vu la couleur d’un tank. Puis soudain, c’est l’hystérie générale et, en 24h, Paris se vidait (temporairement, les Parisiens revenants petit à petit puisqu’il suffisait de ne pas être juif pour se croire immunisé).

Nous ne ressortirons plus de la journée et probablement de la semaine, nous n’avons croisé personne à moins de trois mètres avec notre randonnée à courbes et angles droits. Le danger vient par surprise de notre propre immeuble. Des types fument dans les parties communes « pour ne pas enfumer leur appartement ».

Espérons que le couvre-feu qui ne manquera pas d’advenir dans de brefs délais vu notre déni et notre impossibilité collective à respecter les règles, renforcera à la fois nos défenses humaines et notre souci de l’autre.

Je mets donc à faire mon footing en appartement, je deviens professeur de maths et de solfège (si on m’avait dit ça il y a encore quatre jours) et j’entame une première semaine de télé-travail en m’estimant heureux de pouvoir attraper un rayon de soleil en fin de journée en me penchant par le balcon : c’est un luxe à Paris.

Les plus grands souvenirs de 2020 vont bientôt tenir à pas grand-chose.

15 mars 2020

#Confinement jour 2

par
Le vrai danger c’est la proximité. Depuis le départ. Des que tu as ça en conscience tu peux sortir mais TOUJOURS rester à distance. Au moment où j’écris je vois encore par la fenêtre des groupes dans la rue (jeunes, vieux) qui se parlent à 30 cms les uns des autres.

La question des élections c’est certes contradictoire mais les mecs naviguent au jour le jour comme souvent (y a qu’à voir les consignes opposées dans l’éducation nationale ce week end, c’est délirant). Ce qui était encore valable hier peut être et sera contredit demain.

Improvisation de l’exécutif + administration kafkaïenne + situation qui évolue d’heure en heure + incivisme + oubli des règles de bases de l’hygiène, le tout sur fond de coupes budgétaires : oui on peut aller vers une catastrophe mais ce ne sera pas seulement la faute d’untel ou unetelle, on a tous collectivement pris ça à la légère, moi le premier.

Conseil : apprenez à bricoler des masques parce que vous allez encore les attendre longtemps.


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