Jean-Philippe est un pote sympa. Durant 48 h, il a gracieusement nourri un écosystème journalistique en léthargie estivale, générant articles, bandeaux publicitaires et pognon. Du Figaro au Gorafi, vous n’avez pas pu la rater si vous passiez quelques minutes sur internet hier : la photo de la photo du petit Grégory (mort assassiné en 1984) utilisée dans une publicité pour la crèche du Festival de Jazz de Montreux, c’était la sienne. Le scoop, c'est grâce à lui.
Dans ce billet, il revient sur le buzz dont il est à l'origine et sur ce que lui inspire l'énième épisode de ce que devient l’information sur le web : du pute-à-clicking.
Je lui laisse la plume.
(La photo originale de @koramarok)
" “Le petit Grégory sur une publicité pour le festival de Montreux” (LePoint.fr), “Le visage du petit Grégory dans une publicité” (LeFigaro.fr), “L'incroyable gaffe du Montreux Jazz Festival qui utilise une photo du petit Grégory Villemin dans une pub !” (JeanMarcMorandini.com) etc...
Autant de papiers parus sur le web ces deux derniers jours sur une histoire partie d’un tweet et d’une photo dont je suis l’auteur. Et je regarde, mi-médusé, mi-agacé, le développement de cette affaire. Au-delà du fait-divers, il y aurait bien des questions à se poser concernant cette news. Prendre un peu de hauteur, changer l’angle et dépasser le buzz.
1 / L’historique où des journalistes à l’affût sur Twitter
Tout part d’un tweet public envoyé à Guy Birenbaum à mon retour du festival de Montreux. Sachant qu’il tenait une chronique sur les réseaux sociaux, ce genre d'EPIC FAIL pouvait l'intéresser. Il m’a tout de suite demandé des preuves ou du moins des précisions (il sera un des seuls). Nos messages sont publics, et comme sa portée dans la twittosphère est plutôt conséquente, ça a immédiatement fait boule de neige. Entre le moment où j’ai posté ma photo sur Twitter et la publication des premiers articles, il s’est passé trois heures. Je n’ai été contacté QUE par Maxime Bourdier du Huffington Post, afin de faire son article. Et le soir par France 3 Lorraine pour une interview par téléphone où je certifie l’authenticité du document (ainsi que France 3 national).
2 / L’utilisation de la photo
L’émoi suscité par l’utilisation de cette image est immense, car l’affaire du Petit Gregory est encore dans toutes les mémoires (ou enfin presque). Mais, ne peut-on pas considérer que le simple fait de télécharger une image sur le net et utiliser sans autorisation la photo d’un gosse est, en soi, un gros problème ? Et plus largement, utiliser une photo sans se demander s’il y a des droits d’auteurs, sans la sourcer, n’est-ce pas aussi un FAIL ? Bizarrement, les médias n’en parlent pas. Et pour cause. Ils font pareil. L’origine de la photo du magazine de Montreux est par exemple non précisée dans l’article du Point.fr, au profit d’un “DR” (droit réservé : en gros, on ne cite pas le nom et on serre les fesses pour que personne ne réclame les droits) commode. Mieux, certains journalistes sur place qui n’avaient rien vu ont profité de l’info piochée sur Twitter pour refaire une photo de la photo, mais la leur cette fois [NDLR : que je leur pique tiens].
(ci-dessus d’intrépides journalistes de terrain particulièrement bien informés.)
Sur le site du Figaro.fr ou de Morandini, c’est encore mieux, il n’y a aucune indication [NDLR : et Morandini attribue l'info à France Tv]. Forcément, une photo faite par un amateur, twitto de surcroît, pourquoi la sourcer hein ? Pourtant, c’est quasi la seule à leur disposition pour illustrer le sujet, une seule autre étant parue sur le site de l’antenne FN de Boulogne Billancourt le dimanche, soit deux jours avant la mienne, comme l’indique le blog Big Browser du Monde.fr.
Une éventuelle demande préalable avant utilisation ? Pareil, faut pas y compter. La photo est partout, mais je n’ai au final que 6 demandes officielles pour son utilisation dans des papiers. Entendons-nous bien : je me contrefous que cette photo, prise en 2 secondes avec mon smart-phone, soit reprise comme illustration, mais bordel, ça ne choque personne que l’on pique une photo amateur sur le net pour illustrer un sujet sur le vol amateur de photo sur le net (thèse avancée par le festival) ? Ce point intéresse peu vu que l’unique angle d’attaque est le FAIL + Gregory avec en visée un buzz à fort potentiel de click, pour un investissement quasi nul des rédactions.
3 / En rester au Buzz du Fail
Le Festival de Montreux explique la bourde par le fait qu’une stagiaire étrangère a réalisé la pub. Pas un journaliste pour demander comment se fait-il qu’un festival si renommé, si prestigieux, ait recours à des stagiaires pour réaliser son journal interne ? N’a-t-il pas les moyens de se payer de vrais pros pour réaliser un document forcément en flux tendu, plutôt que de pressurer des stagiaires inexpérimentés et corvéables à merci ? Avec les prix pratiqués [Pour info, le concert de Prince, c’était 140 euros en fosse et près de 250 au balcon], ne peuvent-ils pas dégager un budget com’ qui tienne la route et qui permette d’acheter une photo à 10 euros sur Fotolia ? Le recours aux stagiaires et aux bénévoles, c’est dans quelle proportion ? Ne serait-ce pas des fois un des effets collatéraux de la sous-traitance à outrance? Quid aussi de la chaîne de validation ? [NDLR : les parents de Grégory portent plainte contre le festival au moment de la publication]. Parce qu’à un moment, le stagiaire est face à un maître de stage censé superviser son boulot non ? Non. Pas une question à ce sujet. Est-ce à croire que les rédactions reprenant le buzz, pratiquent parfois de la même façon, spécialement l'été ?
@koramarok - 18.07.2013"
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Mes conclusions:
JP sera peu remercié comme source de l’info. Le graphiste pas réembauché par le festival. Les rédactions qui font désormais leur marché sur Twitter se sont jetés sur l’os sans parfois vérifier l'info, et sans aucune analyse allant plus loin que le simple FAIL. Evidemment tout ceci sera oublié dans deux jours pour mieux recommencer le surlendemain.
Mon conseil :
Si jamais vous diffusez un document à fort potentiel de buzz, ne le faites jamais sans l’éditorialiser au préalable et donner VOTRE point de vue (et pas en un tweet ou un statut Facebook).