30 mars 2020

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#confinement jour 17 : Le pic d'inutilité

R. me réveille à l’aube pour que nous sortions courir. Emmitouflés et à moitié endormis, nous improvisons un jogging à basse tension dans les rues aux rideaux de fers baissés. Esquiver les fraiches rafales du nord, viser la moindre rue dans l’axe du soleil.

Passage par la rue de C. qui nous salue du balcon. Les fenêtres de vie laissent échapper les échos des nécros sur la chaine d’info. Comme à chacun de mes passages matinaux, le voisin du dessus ouvre ses volets pour nous scruter. A. a une bonne foulée, R. est à la peine, mais cette sortie après deux jours d'enfermement nous fait le plus grand bien.

Le SDF, et son histoire rangée dans une succession de cartons, occupe toujours le coin de cette rue que je prends tous les matins pour aller travailler. En ce dimanche figé, il est à lui seul l’humanité.

Nous ne croisons dans le périmètre autorisé que deux policiers sans masque à l’angle de la rue anciennement commerçante. La faible présence policière constatée ici contraste totalement les contrôles sauvages et sans respect dans certains quartiers et villes de banlieue dont je lis les rapports sur les réseaux sociaux.

A bien y regarder, il y a ici moins de présence policière qu’en temps normal. Le peuple se confine, s’auto-discipline et se police tout seul. Nous devenons chinois. Je me rappelle les deux derniers mois sur le chemin du travail (dans le quartier chinois parisien) avec une baisse continue de la densité démographique. Le quartier chinois se vidait progressivement. J’ai d’abord mis ça sur le compte d’une vague phobie des parisiens alors qu’il s’agissait plus vraisemblablement d’un auto-confinement préventif des résidents bien au fait de la réalité de la crise sanitaire par-delà la muraille de la com.

Nous avons bien fait de profiter du soleil, la grisaille d’un long dimanche plombe une capitale qui passe à l’heure d’été dans l’indifférence générale.

Nous préparons notre traditionnel flan du dimanche. C’est à la fois délicieux et nourrissant, une vraie pâtisserie de crise. Je découvre un second dessin animé de Myasaki, Ponyo sur la falaise, c’est le programme parfait pour la période. Du rêve et de la couleur sans mièvrerie, et un sous-texte écologique de chaque instant. Je m’entraine à jouer le Perfect Day de Lou Reed au piano. On se plaignait de ne jamais avoir le temps de faire ceci ou de réaliser cela. D. m’envoie un message pour me supplier de ne pas sortir de chez moi. Il y a trois semaines on prenait des pots entassés en terrasse en relativisant, dans les meilleurs des cas, les drames de nos voisins qui l'avaient bien cherché. Trois semaines après, du fond de nos cellules, on se relaye par SMS la propagande d'état. Nous continuerons à sortir. Comment faire autrement ou sinon se suicider pour ne pas avoir à mourrir ?

Au téléphone, L. est en colère "contre tout ça", l'absurdité, l'impossibilité de nous retrouver pour une simple histoire de mauvaise anticipation, d’amateurisme collectif et d’incompétence au sommet. Canaliser la colère et la retourner sur l’action, agir, écrire, dessiner, aider mais aider au plus juste sans être chaperonné ou homologué par l’état soucieux désormais de surcontrôler d’une main ceux et celles qu’il a lâchés de l’autre. Certitude ancrée que rien ne pourra faire taire cette colère après, chaque jour de confinement nous confirmant un peu plus qu’ils ne sont plus rien, que nous avons les cartes entre les mains, que nous n’avons que trop contribué en spectateur-votant à l’info-feuilleton du pouvoir.

Ce moment est la plus cinglante démonstration de leur inutilité, voire pire. Le pouvoir n’est intéressé que par le pouvoir, le peuple il s’en lave les mains. On va obéir, que faire d'autre ? On va obéir, oui, mais combien de temps encore ?

Hasard ou pas, je la lisais hier, Annie Ernaux ce matin sur France interhttps://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-30-mars-2020








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