16 juin 2025

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Vers une société "vigilante" à la française ?

Ce texte est la reprise de ma chronique dans l'épisode 3 du podcast Jamais Trop Pas Assez, à l'écoute ici.

 -> Introduction de la chronique avec la musique de fanfare du film Rocky

Je sais ce que cette musique t’évoque Louis Marie ! Les bras musclés de notre leader suprême tapant dans son sac de training, cliché en noir et blanc magnifié sous l’œil de Soazig de La Moissonnière, la Leni Riefenstahl de l’Élysée. Une photo garantie sans hormones, sans drogue, sans recours au trucage par intelligence artificielle !

Mais c’est un piège. Non, il ne s’agit pas de notre Jupiter en séance de CrossFit. Il s’agit simplement de la fanfare musicale du film Rocky, signée Bill Conti. 

Tu te souviens de Rocky ? L’histoire de ce fils d’immigré italien, ouvrier au chômage, qui poursuit son rêve américain et, à la force des poings, trouve sa dignité sur le ring, mais aussi l’amour et la célébrité. Ne sois pas impatient Louis Marie, tu verras qu’à la fin de cette chronique, on peut tout de même établir un lien entre Rocky Balboa et Emmanuel Macron. 

Revenons à Rocky
Né sous les années de gauche de Carter, Rocky (1976) est le premier film d’une franchise qui rendra célèbre son interprète principal, Sylvester Stallone, lequel prendra son envol sous les années Reagan. C’est aussi le seul film de la série signé John G. Avildsen. Ce que tu ne sais peut-être pas, c’est qu’Avildsen concluait avec Rocky sa trilogie sociale sur l’Amérique du début des années 70. Les deux autres films, plus sombres, sont Save the Tiger (1972), avec Jack Lemmon — variation en temps réel sur un cadre lambda qui s’interroge sur le sens de la vie dans un New York déshumanisé —, et un premier film choc nommé Joe, c'est aussi l'amérique (1970). C’est ce dernier qui m’intéresse ici. 

Joe est un film d’auteur passé inaperçu en France, mais qui connut un large succès aux États-Unis, où il est aujourd’hui élevé au rang de film générationnel, aux côtés de Easy Rider ou de La Fièvre du samedi soir entre lesquels il s’intercale. Le film raconte l’histoire d’un cadre dans la publicité, Bill, un Mad Men un peu terne, centriste. Bill veut venger sa fille, hospitalisée après une overdose provoquée par la came dégueulasse de son amant-dealer. (On vous le rappelle : dites merde aux dealers)
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Par colère, et presque par accident, Bill tue ce jeune dealer, ce sale peunke. Il culpabilise un peu, puis se rend compte que personne ne pleure ce déchet.
Et là, il rencontre un autre paumé, Joe, un ouvrier bien à droite, enragé contre tout : les politiques, son salaire de merde, son déclassement. Rien ne les rapproche, a priori, sauf un secret : Joe devine tout de suite le meurtre. Les deux partent alors dans une virée d’épuration de la racaille beatnik dans les rues d’un New York qui, à l’orée des années 1970, ressemblait à ce qu’est devenue la Porte de la Chapelle en 2025. Je ne vous raconte pas la fin (il y a un twist délicieux dans le dernier plan).
 

Ce film est à l’origine d’un genre : le Vigilante movie

Les vigilante movies ont pour point commun de mettre en scène des personnages simples — hommes du peuple, ouvriers ou cadres (dans Joe, on a les deux) — qui, confrontés à des agressions violentes, face au laxisme de la justice et à l’inaction de l’État, décident de faire justice eux-mêmes. Le plus connu est Le Justicier dans la ville (Death Wish) avec Charles Bronson, sorti en 1974.
 Mais on peut citer aussi Justice sauvage de Phil Karlson (1975), Rolling Thunder de John Flynn (1977), Cobra de George Cosmatos avec Stallone (1986), ou encore Taxi Driver de Martin Scorsese (1976), avec Robert De Niro.
Sans oublier le dépouillé Vigilante de William Lustig (1982), mon petit favori. 

On peut voir dans le Vigilante movie la transposition urbaine d’un genre alors en déclin : le western.
Mais ici, les enjeux de conquête de territoire sont renouvelés : il ne s’agit plus de conquérir un territoire, mais de le défendre, ainsi que les siens, face aux « barbares ». Comme l’écrit Quentin Tarantino dans son livre Cinema Speculations, le genre des vigilantes s’adressait à une certaine Amérique — celle de « la majorité silencieuse » chère à Richard Nixon —, ces Américains qui, en regardant par la vitre de leur voiture, en lisant les journaux, ou en regardant les infos du soir, ne reconnaissaient plus leur pays.
 Ils cherchaient leur Amérique, mais ne la trouvaient plus nulle part. 

Le Vigilante movie, c’est aussi un contrecoup à la vague hippie et aux idéaux pacifistes de la fin des années 60.
 Dans une Amérique des années 70 où les crimes impunis se multiplient, où la délinquance liée à la drogue explose, où la désindustrialisation s’accélère et la confiance dans les institutions s’effondre, ces films traduisent un besoin de justice directe, brutale, instinctive. 

Bref, un climat qui, par certains aspects, ressemble à celui que nous vivons aujourd’hui en France. 

Car, tu l’auras noté, il y a depuis quelques temps une montée du climat anxiogène dans les rues de notre beau pays
Moi même, pourtant homme bien bâti et formé aux techniques de combat par dissimulation derrière mon exemplaire des Inrockuptibles (spécial vasectomie), je ne m’aventure plus dans certains quartiers de ce trou à merde géant qu’est devenu Paris. J’ai renoncé à prendre ses transports en commun du tiers-monde où tu peux faire pousser sur les voies parce qu’un sans papier vit mal son burn-out sociétal, ou prendre un coup de canif pour refus de don de cigarette ou, comme ça, juste parce que t’es blanc (et non, personne n’est parfait). 
Ce n’est pas mieux en surface, pas loin d’ici, un gang de gentils garçons pourtant bien identifiés par la mairie comme « individus à problème » (en langage municipal ça veut dire : dont il faut subventionner les familles), ces charmants individus donc ont tué à la machette Elias, adolescent de 15 ans, pour récupérer son smartphone. 
Plus haut, dans le onzième, arrondissement pas siècle, c’est une tentative d’enlèvement de la fille d’un ponte de la crypto monnaie par un gang de racailles qui a été filmé sous tous les angles. La tentative succédait à un autre enlèvement quelques jours plus tôt, lui suivi de mutilations et d’actes de barbarie. 
Ailleurs en France ce sont ces écoliers, ces joggeuses qui sont tuées, ces enseignants décapités, cette surveillante récemment, poignardée dans un collège. Il y a évidemment les incivilités quotidiennes, là c’est un festival où que tu ailles. Rodéos urbains, trottinettes dans les trains, crachats… 

Cette montée en flèche des incivilités et de la violence survient dans une apathie générale médiatique et politique, assez curieuse. Exemple récent, la déclaration de Macron dans le Parisien au sujet de cette épidémie de morts violentes. Je cite notre héros, dans son globish déconnecté : « Certains préfèrent, pendant ce temps-là, brainwasher (lavage de cerveau) sur l’invasion du pays et les derniers faits-divers ». Cette déclaration survient quelques heures après le bouleversant témoignage du père de Benoit, adolescent poignardé à Dax pour une simple histoire de casquette volée à la suite de la victoire du PSG. 

D’un côté la colère et la réaction logique d’un père dont je n’ose même pas imaginer la douleur, de l’autre la froideur et le cynisme d’un Macron dont on rappelle qu’il n’a pas d’enfant, vu qu’il en est un lui même un et qu’il évolue dans un environnement sous cloche et hyper sécurisé. 

On peut citer aussi Elisabeth Borne dans une interview au Parisien. Pour celle qui passe d’un portefeuille de ministre à l’autre au gré des revers électoraux de Macron, il est important de « privilégier la réflexion » par rapport à la « surenchère de mesures éculées », après « chaque actualité dramatique ». « On ne doit ni légiférer à chaud, ni dans l’émotion ». C’est bien Elizabeth, toute la rédaction du Bondy Blog t’applaudit. Maintenant tu n’as plus qu’aller dire ça aux familles de Samuel Paty et Dominique Bernard. 

Pour ces gens, c’est simple. Il n’y a pas de violence, pas de danger, pas d’insécurité. Pour eux même l’insécurité est une abstraction, c’est un concept populacier. Alors c’est vrai, l’insécurité n’est pas une réalité : c’est un sentiment. Comme le sentiment amoureux. Il n’en est pas moins vrai que quand tu es amoureux, tu es amoureux et que cela colore ta vie. Un sentiment est une déduction des sens. La montée de la violence est une perception, le manque de réaction des autorités face à ce qui est ta réalité est une autre perception. C’est ce décalage entre deux perceptions qui crée de la colère chez l’individu. La sentiment qu’il a que la prochaine fois ce sera lui ou ses enfants, ce sentiment jamais Macron ne l’aura. Il n’est ni parent ni du peuple. 

Face à ce déni, les gens rationnels disposant de deux yeux et d’un pragmatisme standard sont poussés à réagir. Si cette montée de la sauvagerie française se poursuit, l’auto défense se généralisera. Note que dans les deux affaires d’enlèvement liés à la crypto monnaie, l’une a été résolue grâce à la vigilance des riverains, l’autre a été déjouée par l’intervention de quelques riverains qui ont physiquement, au risque de leur vie, pris les choses en main. 
Pour l’instant, vue l’exponentielle des crimes et délits, je vais être honnête je trouve les Français étonnement passifs. D’ailleurs ils sont incités à ne rien faire. Regardons ce tweet éloquent du Ministère de l’Intérieur au sujet de la montée des homejacking : 

Le homejacking désigne un vol commis au sein du domicile en présence des habitants. En cas d'intrusion dans votre domicile : Contactez immédiatement le 17
Ne prenez aucun risque. 5 ans d’emprisonnement 75000 euros d’amande.  

Sans que l'on sache si c’est toi ou le voyou que le Ministère cherche à intimider. En vérité : si l'on s’introduit chez toi pour t’agresser et te torturer toi et tes enfants, et que tu saisis l’arme de ton agresseur pour l'éliminer, tu risques concrètement plus de prison que lui. Si l’Etat veut bien que tu t’euthanasies faute de soin, il ne ne veut pas que tu te mêles de défendre ta vie. L’ordre c’est lui. Si tu commences à gérer les agresseurs par les armes, il sait qu’il sera vite dans le viseur. Le pouvoir garde en mémoire nos épisodes révolutionnaires. 

De la violence il y en a toujours eu, mais une comme cela, larvée, faisant partie du décor, et niée, même moquée, au plus haut sommet de l’Etat, jamais. Il n’y a aucune volonté de régler ce problème majeur, parce qu’il a tout simplement un refus même d’admettre cette réalité

Regarde la sécurité routière : Au début des années 70, on tournait à 15000 morts par an sur les routes. On était dans un laxisme total par rapport à la sécurité en voiture. Fallait par froisser notre industrie. Et pourtant, après une le fois le problème identifié et surtout traité, le pays a chuté à moins de 2000 morts aujourd’hui. Cela reste énorme mais la baisse est sensible. Quand le pouvoir veut, il peut. 

Mais quelles sont les raisons de cette violence au quotidien ?

Qui a dit l’immigration massive récente ? Je t’arrête Louis Marie, les statistiques ethniques étant interdites nous ne pouvons en débattre. Rien de mieux pour s’empêcher de trouver une solution que de casser les outils pour évaluer objectivement la situation. 

Non, je pointe en premier, le laxisme judiciaire. La plupart des crimes ont des auteurs qui étaient déjà fichés, condamnés sans peine. On a des mecs qui ont des casiers longs comme le bras et qui n’ont pas fait l’ombre d’une journée de prison. De l’incivilité au crime, il n’y a qu’une succession de renoncement à punir de la part d’une justice comme dire… globalement de gauche et hors sol, pardon pour le pléonasme. Dans cet esprit, on citera le premier président de la Cour de cassation, l’un des plus hauts magistrats de France, qui alerte dans Mediapart, sur l’inquiétant développement d’un « populisme anti-judiciaire ». Ah oui ça c’est vraiment le grand danger du moment dis donc… 

Je pointe ensuite la responsabilité des parents. L’abandon parental c’est à peu près le peu commun des raclures qui pourrissent notre quotidien. Et qu’on arrête de lancer l’excuse de pauvreté, de discrimination, de parent isolé ou de relégation sociale. Etre pauvre n’est pas un sauf conduit pour avoir le droit d’agir comme une pourriture. 

Je pointe enfin l’aveuglement du politique. Evidemment pour le « pouvoir », reconnaitre une montée hors de contrôle, c’est reconnaitre son impuissance. On parle de régalien. Si l’Etat ne peut pas assurer l’ordre, c’en est fini de l’Etat en fait. 

Alors que faire ? 

Malheureusement tant qu’il n’y aura pas des enfants d’élus ou de célébrités largement impactés, il n’y aura rien pas réellement de fortes mesures prises en haut. En attendant cet hypothétique sursaut républicain, et les prochaines victimes, je ne veux pas faire mon Joe, mais ne restez pas les bras croisés. Apprenez à vous défendre, apprenez à vos enfants à se défendre ou à l’inverse à esquiver, adopter les parades sémantiques pour désamorcer les situations ou à l’inverse assommer le premier… 
C’est un peu plus urgent que les cours d’initiation à l’écriture inclusive. 

Ce n’est pas du pessimisme, c’est du pragmatisme. Je pensais l’inverse il y a 10 ans, mais depuis ce pays a fait une dégringolade de 150 ans en terme de civilisation. 

 Et qui a t-on à la tête de l’état depuis 10 ans ? 

 Rocky, bien évidemment. 

 -> Reprise en sortie de la musique de fanfare de Rocky.

(illustration : Joe, John G.Avildsen 1970)


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