Episode 3 : A new hope.
Dans le sud, the deep south, de France. Juillet 2011
PIERRE
"- Plonge Jacques, elle est vachement bonne !"
Tel un patron de l'UMP pataugeant dans le bassin olympique d'un intermédiaire occulte en ventes d'armes à 100% défiscalisé, et tandis que Juliette au jardin servait des rafraîchissements à la petite assemblée des trentenaires discutant cuisine au wok et teintes de parquets, Pierre bronzait en Ray-Ban sur son matelas Spirou au milieu de la piscine à filtration par algues : pacha par intérim de ce résidentiel bonheur avec vu sur le lotissement provençal filant vers la vallée, servi sur un plateau d'argent par ses beaux-parents retraités, partis pour la septième fois en un semestre dans quelque contrée à météo clémente certifiée sur catalogue.
Pierre et Juliette tablaient sur cette absence parentale pour prolonger l'illusion du standing dans les consciences conditionnées par une décennie de coaching télévisé de leurs invités. Il s'agissait d'autres jeunes propriétaires endettés, donc tout aussi émancipés, ne s’exilant en vacances que là "où c'était gratuit" via les nationales sans péages grâce à leurs pleins d'essence dilués à l'huile de friture. Ses parents partis, la responsable du call-center en assurance pouvait presque convaincre les amis que la bastide de 220m2 avec piscine, petit bain à prout et jardin paysager, sculpté par du larbin 2.0 nommé auto-entrepreneur, était sienne.
Pour les curieux de ces choses-là et Jacques en était, les coulisses de cette représentation, façon "les après-midis de l'ambassadeur", donnée par un petit couple surjouant sa clinquante félicité sous l'azur et la mélopée des cigales, s’obscurcissaient de milles et une nuances allant de la mytho au mesquin.
Serti dans son sofa marin, chaloupant au gré de la chaude brise et sirotant à la paille Mac Donald dans son boc Geneviève Lethu un smoothie bio dont Juliette se vantait de s'être procurée le matin même au marché de Manosque l'ingrédient principal, des Mangues de Madagascar (en tapant dans le budget "bouffe de la gamine" se limitant désormais à deux saveurs de Pringles NDLR), Jacques se remémorait les derniers rebondissements de l'épopée foncière de la famille Fachoune où les rêves à crédit des plus jeunes épousaient à la perfection les réalités à rente de leurs aînés, chacun vivant dans la terreur de tout perdre.
Depuis quelques années, l’effondrement économique français se rehaussait artificiellement pour les esprits séniles grâce aux dithyrambes illuminés des pompeux incompétents se succédant à Bercy[1]. Pour leurs enfants sous-payés, l’accès facile aux crédits arrosés de subventions gouvernementales à la bulle immobilière suffisait à mater toute velléité de rébellion. L'oxymorique "mouvement de la pierre" donnait un semblant de dynamisme économique au pays, une impression de richesse aux endettés tout en garantissant la valorisation maximale de leurs biens à ceux qui avaient fini de les payer depuis longtemps et étaient concrètement les seuls à tirer de conséquentes plus-values.
Le délire de l'immobilier tricolore était tel que, contre toute attente, dans cette croulante et caniculaire zone périurbaine où la seule filière d'avenir pour les jeunes était d'aider à mourir les vieux encore solvables, l'immonde T4 du couple acheté trois fois trop cher trois ans plus tôt avait trouvé acquéreur sous la forme d'un autre couple de primoaccédants pétézedeurs plus, encore plus jeune aux revenus encore plus faibles. Ce dernier point, énième épisode de la fuite en hauteur des prix de la pierre dans une économie à la vitalité statistique déconnectée de l'activité réelle, informera le lecteur sur les fondamentaux en patafix du secteur. Une fois les frais de notaire réglés (grâce à un premier prêt demandé aux parents de Pierre) et malgré la zéro-value de la transaction de l'appartement pourtant acheté afin de "faire la culbute", Pierre et Juliette sautèrent à pieds joints sur cette "superbe opportunité" doublée d'une "affaire en or" (selon les parents de la jeune mariée) : acheter le terrain à bâtir jouxtant la villa des parents. 120.000 euros pour un coin de terre brulée sans vue, enclavé entre quatre propriétés et dont le seul accès implique de traverser le jardin des vendeurs. Jacques n'en dit rien sous peine de passer pour un affreux casseur de coït, mais le terrain, berceau à bouyguer de leur futur palace en placoplâtre dont la cession à six chiffres permettrait aux rentiers de beurrer les épinards d'une retraite déjà bien grasse, était tout simplement invendable à d'autres poires que leurs enfants. Il valait zéro. A vrai dire, il valait même pire.
En revanche, les seniors Fachoune faisaient là une fort bonne affaire : cette présence à domicile, assortie d'un crédit de 20 ans minimum pour leur descendance, signifiait qu'ils se dotaient d'un gardiennage et d'une assistance de fin de vie à prix ultra compétitif avec un cadeau d'entrée de 120.000 euros. Pour le même tarif, tant qu'à faire, les seniors de l'arnaque s'offraient le luxe de persuader leurs enfants que la transaction était "une faveur familiale" dont il serait chrétien qu'ils se montrent redevables un jour.
Peu importe, malgré une dette triple C à pas 30 ans, Pierre et Juliette réalisaient le rêve d'une vie : le mas dans le sud avé la piscine. Même s'il n'était pas construit, même s'ils ne pouvaient pas se le payer, même avec son vis-à-vis sur la chambre à coucher des darons à qui, par ailleurs, appartenait la piscine en question.
En attendant la laborieuse érection de cette jouissance à cloisons, ce chantier qui serait l'objet d'un roman photo sur YouTube avec slides en étoile et bande-son du Seigneur des Anneaux, histoire d'économiser sur les frais à venir (les devis divers concluants que, pour terminer la maison, ils devraient tôt ou tard vendre un rein de la gamine à quelque vioque botoxée de la côte), les Grimaldi fauchés du lotissement des Acacias se vantant à longueur de statuts facebook de s'être affranchis à 24 ans des crasseuses contingences de ces ringards de locataires retournaient quatre ans plus tard vivre... chez leurs parents. Enfin... dans le garage succinctement aménagé avec clic-clac à blattes, TSF et frigidaire d'époque. Nos jeunes héros du revolving remisèrent vaisselier, bibelots désign, sofas éléphantesques et leurs trois camions de preuves matérielles de non-pauvreté au garde-meuble, climatisé et vidéoprotégé, de chez storapachero à 300 unités le mois. Dernier facteur n'étant pas sans impact sur la comptabilité conjugale. Peu importait le côté ascétique et sans fenêtre de leur nouveau nid d'amour, ce serait l'histoire de deux années pas plus (comme disent tout ceux qui commencent un chantier. NDLR).
PIERRE
Chez Pierre et Juliette, on vivait les yeux plus gros qu'un ventre que l'on remplissait de bouffe discount ou périmée pour équilibrer le canot de survie balancé dans l'océan des échéances mensuelles.
Les parents de Juliette, eux, s'en souciaient peu. Les apparences de la descendance étaient sauves, et le couple de seniors dans sa dernière ligne droite de l'hédonisme ne pensait que capitalisation, DHEA, barbelés anti-bougnoule et vie pépère.
Depuis deux mois donc, malgré leur réinterprétation châtelaine et pousse-au-crime du bonheur Pépito-Banga de Jade Forêt et Arnaud Lagardère, après avoir léguées leurs dernières potentialités de remboursement à leurs aînés encaissant en un jour de sieste ce qu'eux dépensaient en quatre de stress, Pierre et Juliette vivaient désormais dans la mezzanine du garage, encore en partie consacrée aux emballages d'electromenager, juste au-dessus de l'Audi Q5 de Papa. Il fallait y voir la preuve d'une certaine reconnaissance.
FACHOUNE SENIOR
" - Au moins, ce sera votre coin à vous. Vous aurez votre indépendance !"
Jacques ne sût pas si pour cela, Pierre et Juliette devaient également régler un loyer, la moindre conversation engagée sur l'immobilier tournant dans la minute sous les regards envieux des disciples de la secte Damido au descriptif de la future maison du bonheur, là-bas au fond du jardin à gauche après le local à poubelle.
JULIETTE
" - Mais non Pierre, les canettes de Coca, ça va dans la poubelle verte. Mais quel empoté celui-là !"
JULIETTE
" - Mais non Pierre, les canettes de Coca, ça va dans la poubelle verte. Mais quel empoté celui-là !"
Néanmoins, au troisième service de macarons de chez Lacarie, à l'aveu qu'ils visèrent un peu juste côté financement du chantier, Juliette sermonna vertement son partenaire de paye au sujet de son manque d'insistance à demander à ses parents à lui de les aider à rembourser ses parents à elle.
PIERRE
" - M'enfin love, tu sais bien que Papa est d'accord, mais il me fait le prêt à 7%."
Il va sans dire que savourant son macaron, Jacques ne put s’empêcher de trouver la situation cocasse. Tandis que Juliette traitait son homme avec moins de considération qu'un tapis de sol en promo chez Mondiale quéquette, l'observateur se ravisa. De la bêtise formatée et éternellement non sanctionnée d'une génération d'escroqués consentants aux rêves en tube, bénéficiant d'aberrantes béquilles fiscales pour financer des biens que selon la logique conjoncturelle ils ne devraient pas pouvoir s'offrir, résultait en partie son mal logement à lui. Jacques ne jouait pas le "jeu" des illusions les rendant fiers.
Bien sûr viendrait cet apocalyptique époque où l'illusion craquerait et la réalité mathématique s'imposerait, dépouillée des travestissements et fantasmes que les parasites du secteur et leurs complices rêveurs s'acharnaient à lui donner depuis dix ans. A la question : "dans combien de temps le marché privé de l'immobilier apparaîtrait-il tel qu'il est : une foire de jeunes dupés sans pognon bénéficiant à une vieille France rentière qui, elle, ne sait plus quoi en faire ?" Jacques trancha qu'il faudrait probablement attendre que les seconds soient décédés et les premiers définitivement ruinés. Lapant ce délicieux sorbet pèche-nougatine-banane, assis sur le plongeoir à faire des ronds dans l'eau, l'exclu paria que les deux époques coïncideraient.
D'ici là, il faudrait retenir son souffle, frayer son chemin dans l'injonction de bonheur immédiat des idiots dominants et, au passage, se resservir un godet de sangria.
Bientôt, de lourds nuages d'orage s’agglomérèrent à l'horizon du panorama bétonné. A la sortie du bain de son mari, consciente d'avoir "un peu abusé", Juliette se pencha affectueusement vers sa moitié de crédit. Il fallait en prendre soin.
JULIETTE
" - Oui c'est dur love, mais il vaut mieux faire une petite chose de riche qu'un grand truc de pauvre."
[1] Madame Foldingue et Harry Potter sous Tranksen
Illustrations : Roy Lichtenstein
14 comments:
Salut Seb, ces personnes sont issues de ton imagination, ou bien connais-tu des gens si bêtes?
excellent, comme d'hab
Juste un petit détail: en Provence on ne dit pas 'pavillon' mais plutôt 'villa' ou mieux, pour la gamme au-dessus 'mas' ou 'bastide'.
Tellement plus classe...
Je note et corrige.
Toujours aussi bon à lire!
Tout simplement excellent.
France : les derniers chiffres du chômage viennent d'être diffusés.
Catégories A, B, C, D, E :
Chômage en juin 2010 : 4 816 600 inscrits à Pôle Emploi.
Chômage en mai 2011 : 4 944 100 inscrits à Pôle Emploi.
Chômage en juin 2011 : 4 979 800 inscrits à Pôle Emploi.
Variation sur un mois : augmentation de 35 700 chômeurs.
Variation sur un an : augmentation de 163 200 chômeurs.
C’est à la page 15 :
http://www.travail-emploi-sante.gouv.fr/IMG/pdf/PI-Mensuelle-nz95.pdf
Déclaration de Christine Lagarde le 13 mai 2011 :
"Tous les clignotants sont au vert."
http://www.boursier.com/actualites/economie/pour-christine-lagarde-tous-les-clignotants-sont-au-vert-8544.html?sitemap
Bonjour,
ahhh l'immobilier acheté à prix d'or à nos aînés, c'est tout un poème. Un de mes sujets de fâcherie préféré aussi : comment faire comprendre que je n'en ai pas après les vieux en général mais juste après ceux, qui, non contents d'avoir bénéficié de conditions de vie inédites, continuent à se payer sur la bête (imposition des retraites particulière, énorme appart en centre ville pendant que l'actif se tape 1h de trajet etc. et surtout revente au prix de 25 ans de travail de l'investissement immobilier qu'ils ont pu faire en plus de l'achat des résidences principale et secondaire ....).
J'ai lu les 2 autres textes précédant ce billet. J'en ai plein autour de moi des gens qui, après avoir goûté une vie de confort avec les parents médecin/dentiste/cadre, deviennent tout fou quand ils se rendent compte qu'ils ne pourront jamais atteindre le niveau de vie des parents. Ma seule interrogation c'est, comment, après avoir vécu dans un confort que je ne peux qu'imaginer, ils peuvent accepter de s'endetter sur 25 ans pour un studio dans une ville de 1ère couronne ou pour un 70 m2 avec passage obligé par le RER dégueu et tout ça tout en mangeant des pâtes, en limitant les vacances et surtout en s'aliénant au travail, sans se laisser la moindre chance à soi-même de s'en sortir. Et bien sûr, là où les parents ne s'endettaient que sur UN salaire sur15/20 ans pour acheter, eux s'endette sur 20/25 ans sur DEUX salaires .. quand je le soulève, ça n'interloque jamais personne ...
E.K
je suis quand même inquiète pour la gamine.
c'est pas des mômes élevés aux pringles qui vont nous faire le revenu garanti, hein.
nan mais on ne pense pas assez à nourrir décemment leurs jeunes cerveaux, quoi.
"suffisait à mater toute velléité de rébellion", t'as touché un truc là, je pense...
> comment, après avoir vécu dans un confort que je ne peux qu'imaginer, ils peuvent accepter de s'endetter sur 25 ans
C'est en gros mon cas. J'ai les boules et je ronge mon frein en attendant le Grand Soir de la justice inter-générationnelle (entre autre justice...).
J'ajoute que je me reconnais dans le portrait peu flatteur que Seb Musset dresse de Pierre... à la différence que mes enfants de mangent pas de chips ! ;)
"J'en ai plein autour de moi des gens qui, après avoir goûté une vie de confort avec les parents médecin/dentiste/cadre, deviennent tout fou quand ils se rendent compte qu'ils ne pourront jamais atteindre le niveau de vie des parents"
--> Mes parents étaient instits. Ils ont acheté NEUF un F4 de 100m² à leurs débuts, en petite couronne (avec deux salaires de miséreux).
Ma femme et moi gagnons mieux notre vie proportionellement, nous ne pourrions même pas nous payer leur appart qui est devenu "de l'ancien."
Juste pour dire que 2 cadres ne peuvent même pas calquer leur niveau de confort sur celui d' instits débutants des années 80.
Alors les dentistes ou autres je n'en parle même pas...
Le Grand soir de la justice intergénérationnelle n'aura pas lieu :cette génération vote, pas la nôtre .... il n'y a pas de raisons que les politiques s'intéresse à une masse qui ne fait pas partie de sa clientèle électorale.
pour la différence de vie entre parent et enfant, je confirme qu'il n'est même pas besoin d'être fille de cadre/profession libérale. Mes parents sont issus de cette classe ouvrière avec peu d'instruction et de qualification qui a dû se convertir à des métiers tertiaires sans qualification pour vivre. Ma mère un SMIC et mon père avec deux boulots 1 1/2 SMIC. Ils ont pu se payer SANS CREDIT une ruine au fin fond d'un bled paumé sans emplois autour, je crois autour de 120 000 francs. Après une rénovation pour environ 40/50 000 € sur plusieurs années (alors qu'une maison en bon état valait à cette époque 40 000 €), la maison est maintenant grande et habitable. Mes parents l'ont fait estimé à 160 000 € en prenant l'estimation basse ...... c'est-à-dire que moi, cadre (j'ai le titre mais pas le salaire bien entendu), je ne pourrais pas acheter cette baraque sans charme, largement bricolée, au milieu de nulle part, achetée cash et rénovée en quelques années par deux smicards. Je l'aime cette maison car c'est celle de mes parents mais une maison de ce type ne vaut pas que je m'endette sur 25 ans d'endettement à 33% et en plus avec un apport nécessaire (on fait comment pour se constituer un apport quand tout est cher ?). Et le problème c'est que mes parents, si ils devaient la vendre s'accrocheraient à ce prix en étant convaincu que cette baraque vaut ce prix (ils auraient torts de se priver si des tarés/manipulés par TF1-Bouygues-M6-"Question Maison" sont capables de l'acheter à ce prix). Lorsque je leur dis que deux SMICards ne peuvent pas se la payer sauf à s'aliéner à leur banquier pour 2 ou 3 décennies, ils s'en foutent. L'immobilier a transformé des gens les moins arnaqueurs, les plus charmants possibles, en cupides proprio. Et bien sûr ils me conseillent d'acheter ... soit une maison au milieu de nulle part soit une studette en IDF ... ils ne comprennent pas (ou ne veulent pas comprendre qu'on ne vit pas la même vie que eux à leur âge).
Mon expérience perso c'est dans le cadre de la classe moyenne "inférieure" vs cadre moyen ; je ne peux qu'observer mes amis pour ce que ça donne dans les classes moyennes aisées et ISF.... et c'est encore pire pour eux car ils savent qu'une autre vie est possible mais qu'elle est confisquée par une minorité qui elle, vote, et a eu le bon goût de vivre sa vie d'adulte à partie des années 60.
E.K
@E.K > Très bonne synthèse. Tu ne veux pas faire chroniqueur ici ? Je partage malheureusement ce constat. Mon seul reconfort :je vois se passer ici, exactement ce que j'ai vu il y a quinze ans en Californie. Et là-bas les certitudes et "les bonnes affaires" ont vraiment changé depuis.
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