30 novembre 2010

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Monarchie et mensonges #3 : L'auto-entreprise


"L'auto-entrepreneur [...] s'il n'encaisse rien, il ne paye rien. 
C'est du bon sens."
Le Monarque, 14 mai 2009, à l'Elysée devant des auto-entrepreneurs (3.20 sur cette vidéo).

Ami auto-entrepreneur, la dernière trouvaille fiscale de ton gouvernement, soucieux de cueillir large pour cause de poches trouées, signe, je l'espère, la fin de tes illusions 1 / sur la bienveillance des types en charge de ce genre d'arnaques  2 / sur ce statut bâtard conçu pour compresser encore un peu les salaires et modeler ton cerveau à l'individualisme tout terrain sur fond de de désespérance et de désir d'entreprendre.

Je te rappelle les 4 phases, assez révélatrices des méthodes du pouvoir en place : 

Décembre 2008
Phase I : une bonne accroche marketing.

Deux mois plutôt, krach boum à la bourse. L'état major sait que "la crise"TM va faire mal en Europe. Ça fait désordre surtout lorsque l'on a promis aux gens qu'ils allaient gagner plus en travaillant. Il faut vite pondre un bidule marketing pour occuper les masses et noyer dans le parfum "fleur d'émancipation" les catastropiques chiffres à venir. 

Hervé Novelli, alors secrétaire d'Etat en charge du commerce et des PME, lance "l'auto-entreprise", un truc qui était pensé pour compléter les revenus des retraités, mais te permettra toi, le jeune au chômage, de jouer au patron sans avancer les fonds en créant en 10 minutes une entreprise sur internet. Tu sautes sur ta chaise : "- Ouais super top cool, y a pas de charges car les charges c'est le mal !". Et oui, tu ne cotises ni pour le chômage, ni pour ta retraite. La grosse régression sociale dont tu es la victime directe passe comme dans du beurre. Te faire miroiter d'être le prochain Bernard Tapie en créant un site internet avec le logo "République française" et au passage te faire basculer avec ton plein consentement dans l'exploitation pure et simple : même eux n'avaient pas imaginé que cela fonctionnerait aussi bien. 

Extrait 1 : "la grande armée des auto-entrepreneurs"

La mesure trouve un large écho et  permet aux PME de mettre en concurrence d'anciens salariés devenus "auto-entrepreneurs" à base de "je t'engage si tu dégages". Elle facilite la "légalisation" de l'activité au noir, notamment sur les chantiers de décoration et les services aux particuliers thunés (gros vivier électoral UMP qui, pour satisfaire son besoin de se sentir riche, a besoin d'un petit personnel docile et pas trop cher).

A l'époque, faut surtout pas te rappeler que tu as déjà investi beaucoup financièrement (c'est bien, ça booste la consommation, d'autant que tu ne récupères pas la TVA) et moralement dans cette histoire, qu'il n'y aura aucun filet de sécurité pour toi : tu le prends mal.

Juin 2009
Phase II : tout le monde y va, venez !
C'est la parade de l'auto-entreprise : déclarations enchanteresses du Monarque "des symboles de résistance et d'optimisme", "un phénomène de société" et dans la foulée : kits, salons, formations dispendieuses reprenant les mêmes arguments et les mêmes éléments de langage.  

Exemple, c'est con mais j'aime bien la musique...

Au troisième trimestre 2009, sur les 263.400 personnes qui ont adhéré au régime de l'auto-entrepreneur depuis son lancement cette année-là, seuls 59.000 (17%) ont déclaré avoir encaissé un chiffre d'affaires, que le revenu moyen pour les autres est de moins de 1200 euros et que par définition, personne ne sait combien d'heures de travail furent accumulées pour cela et quels furent les frais engagés. "La liberté d'entreprendre" n'a pas de prix et 56% des créateurs d'auto-entreprise sont des demandeurs d'emploi, voila qui va encore contribuer à baisser les tarifs.

Janvier 2010
Phase III : nier l'évidence.
Un an d'auto-entreprenariat. Côté gouvernement : 



Le gouvernement se félicite : En 2009, "le nombre de créations d'entreprises a atteint le niveau record de 580.193, soit 75.0% de plus qu'en 2008.". Sondage Opinion way of the president à l'appui : "83% des auto-entrepreneurs sont satisfaits de leur statut" alors que la plupart d'entre eux ne gagnent rien ! Le gouvernement en oublierait presque la récession, le chômage qui pète les compteurs et que les faillites d'entreprises sont à +17% (53.000) cette année-là

Courant 2010, les chiffres sont encore pires. Sur les 45% d'auto-entrepreneurs ayant déclaré un chiffre d'affaire, le gain net est de 775 euros mensuels. Réparti entre les auto-entrepreneurs : cela fait 500 euros par mois. Le seuil de pauvreté est à 910. 


Novembre 2010
Phase IV : tonte et liquidation du cheptel.
Bon, le nombre de création d'AE baisse, et tout le monde commence à saisir la nature du cache-misère. Il s'agit maintenant de récupérer les derniers sous. Tandis qu'à Pôle emploi les annonces imposant d'avoir le statut d'auto-entrepreneur se multiplient, certains auto-entrepreneurs n'ayant généré aucun chiffre d'affaires reçoivent une feuille surprise des impôts leur demandant de régler la CET "cotisation économique territoriale", nouvelle version de la taxe professionnelle. Un truc qui peut aller de 200 à 2000 euros

" - Bouhou, on m'avait dit que je ne paierais pas d’impôts !"

Bienvenue dans le ultra-libéralisme pur jus, apprenti entrepreneur. Un état qui te coupe de tout, te fait croire aux vertus de l'individualisme forcené, te délaisse en chemin mais ne t'oublie jamais dès lors qu'il s'agit de te racketer. 

Côté formations, les factures sont payées. Côté particuliers thunés, les travaux de décoration sont terminés, la maison a encore gagné 10% à l'argus du spéculateur. Et avec tous ces auto-entrepreneurs a disposition, ça a été plutôt une bonne affaire pour tous... sauf pour toi. 

Face à la grogne des lésés, Hervé Novelli déclare à L'expansion :

"- Je ne laisserai pas tomber les auto-entrepreneurs qui se retrouvent dans cette situation inconfortable."

Problème. Novelli, encensé par Le Monarque un an plus tôta été débarqué de son poste de secrétaire d'Etat chargé aux PME quelques jours avant l'arrivée des feuilles d'imposition et n'a donc plus aucune "responsabilité" dans la magouille. 

C'est désormais Frédéric Lefebvre qui occupe son poste. Tu sais celui qui voulait faire travailler les malades.

Va-t-il t'aider à décrocher un micro crédit à taux préférentiel pour "t'épauler dans l'accomplissement de ton parcours de contribuable" ?

La suite dans un prochain épisode de "Monarchie et Mensonges".



[Update : 16h40.] Fréderic Lefebvre déclare à l'assemblée nationale que les auto-entrepreneurs ne réalisant pas de chiffre d'affaires ne paieraient "évidemment pas" la contribution foncière remplaçant la taxe professionnelle. C'est noté.


Illustration typo : Seb Lester. 

13 comments:

Unknown a dit…

« Le président : Je ne suis pas fol »
J’ai l’impression que tu commences à bien distinguer entre ta puissance et ta volonté de puissance… pour le moment les deux sont réduites à néant…
Et avec ton récent remaniement, tu n’as fait qu’aggraver la disproportion… genre style… Petite reine à la traîne qui rappelle les vieux de la vieille pour paraître moins à l’antenne…
Mais ton peuple ne te suivra pas, parce que ce ne sont pas des friandises qu’ils réclament de toi, mais : du pain, du vin et du Boursin ! Le peuple ne t’acceptera plus tel que tu es apparu, humble alors qu’il t’a connu superbe, mesuré après lui avoir inspiré la démesure, sage après avoir été la folle du logis.

http://www.tueursnet.com/index.php?journal=Causette

Unknown a dit…

Et ceux qui réalisent 100 € de CA ils vont la payer ???

C'est quoi la règle de cette CFE ? C'est je t'encule, si je veux ?

Anonyme a dit…

Sur le papier ça parait intéressant. Créer une activité salariale sans risque financier. Pas de CA pas de charge!

Mais au final tout le monde est perdant. Les artisans qui voient là une concurrence déloyale et les auto-entreprenants qui sont comme le gars à qui on a mis la casquette du Tour de France sur la tête et qui ne sait pas monter sur un vélo.

http://www.dailymotion.com/video/xbxwvg_les-joies-de-la-vie-des-auto-entrep_fun

fer a dit…

Il y a dans le dernier discours Mélenchon en clôture de l'AG de son parti, un passage excellent sur les "auto-entrepreneursé et la précarité... A écouter sur dailymotion, c'est vers la 40e-50e minute, je crois.

LeGrosConnard a dit…

Dear Seb,
Je suis lecteur assidu, et je n'ai pas l'habitude de la ramener.
Je suis de la gauche de gauche, et j'abhorre le Nain.
Mais sur ce sujet que je connais, je suis obligé de dire des choses, juste issues mon expérience.

D'abord, les gens qui se plaignent de la CFE (Ex TP) sont des crétins, parce que c'était expliqué en toutes lettres dans tous les textes que seuls les AE qui demandaient à bénéficier de l'impôt libératoire en étaient exemptés pour trois ans. Mais encore fallait-il : un, prendre le temps de se renseigner avant de foncer tête baisser dans ce qui est quand même une création d'entreprise ; deux, avoir le droit de bénéficier de cet impôt libératoire (conditions de ressources à n-2)

Ensuite, contrairement à ce que tu dis dans l'article, l'AE cotise à la retraite.
Voir ici : http://www.auto-entrepreneur.fr/retraite.php

Enfin, j'aimerais juste soulever un lièvre pour tous les AE qui ont choisi l'impôt libératoire, et les inviter à se rapprocher rapidement de leur percepteur pour se faire expliquer le mode de calcul de leur IR pour l'année prochaine. Après, on parle.

Peace

Anonyme a dit…

Merveilleux (parce que limpide) et terrible (parce que très juste) billet.
Il y a aussi RSI, la mutuelle des indépendants, qui s'arrange pour te couler te pompant tout ce qu'elle peut (ex : artisans), et si tu en sors, retrouvant un régime général, tu mets environ Huit mois et demi (et là je suis gentil...) à retrouver une éventuelle CMU (entretemps, tu n'as qu'un seul droit, celui de crever sans le moindre soin)

Fillon et compagnie vont "s'attaquer" au problème de la sécu (les assurés sociaux) dès janvier.
Je sens qu'on va rire jaune, bientôt (à cause des dents pas soignées...)
Bravo pour ton livre Seb, pour Noël j'y songe.

Anonyme a dit…

C'est tout à fait ça. Ce système de merde apparaît dans mon entourage... Autoaliénation-revolving, c'est comme ça qu'il faudrait appeler ce monstrueux hybride.

Je me souviens de tes analyses sur l'autoentreprise d'il y a quelques temps ; et en effet, le salariat connaît une mutation tout à fait perverse et bien dans l'esprit du temps. Les catégories bien délimitées de la société commerciale d'une part, et du salariat d'autre part, sont vouées à se confondre sous le double effet conjugué de la sous-traitance généralisée et du développement de l'autoentreprise.

Cela permet d'élaguer les "mauvais" aspects du salariat : paiement des cotisations sociales, congés payés, etc... Bref, tous les acquis liés au "statut". En revanche, l'aspect essentiel, à savoir le lien de subordination avec le donneur d'ordre est conservé et même amplifié. Mais tout ceci de façon totalement "consentante", bien entendu !

C'est une immense régression : l'objectif étant d'en revenir au consensualisme du XIXème siècle et aux conceptions archaïques du contrat comme produit équilibré d'une rencontre entre deux ou plusieurs volontés parfaitement autonomes et égales. On appellera ça comme on veut : égalité bourgeoise, renard libre dans le poulailler libre, peu importe.

On rappellera que ce modèle consensualiste a été peu à peu transformé grâce au rapport de force, notamment en droit du travail, mais également en droit de la consommation (de façon bien moins évidente certes, car c'est quelque chose de plus récent et d'historiquement moins "saisi" par les mouvements sociaux et les syndicats, l'aspect "consommation" ayant été - à tort - délaissé par rapport à l'aspect "production" ; il faut dire aussi que de larges pans de l'activité économique étaient encore il y a peu intégrés dans la sphère publique, et la question de la relation "usager-service public" ne se posait dès lors pas de la même façon que la relation "client-entreprise").

Il y aurait donc beaucoup de choses à creuser sur ce thème. En effet, face à ce nouvel avatar du libéralisme fou, on ne peut pas se contenter de prôner un retour au salariat à l'ancienne ou au service public à papa ; sorte de combat d'arrière-garde qui ne mène à rien, comme la nostalgie des "30 glorieuses".

En revanche, vu les circonstances, des analyses qu'on croyait "dépassées" démontrent qu'elles n'ont pas perdu de leur pertinence. On y voit désormais plus clair, maintenant que les pare-feu étatiques et les "stabilisateurs" de la protection sociale sont en train de sauter.

En définitive, l'objectif n'a jamais changé ; il est le même qu'il y a 150 ans : disparition du salariat, qu'il soit "classique" ou "auto", et partant, disparition de la société commerciale, qu'elle soit "industrielle" ou "2.0".

Anonyme a dit…

C'est tout à fait ça. Ce système de merde se développe dans mon entourage... Dans un style proche, j’ai moi-même contribué au dumping social dans notre pays, ayant été quelques temps pigiste sous-payé sans carte de presse et cotisant, comme bon nombre, à l’AGESSA en lieu et place du régime général… Autoaliénation-revolving, c'est comme ça qu'il faudrait appeler ce monstrueux hybride.

Je me souviens de tes analyses sur l'autoentreprise d'il y a quelques temps ; et en effet, le salariat est encore aux débuts d’une mutation tout à fait perverse et bien dans l'esprit du temps. Les catégories clairement délimitées de la société commerciale d'une part, et du salariat d'autre part, sont vouées à se confondre de plus en plus sous le double effet conjugué de la sous-traitance généralisée et du développement de l'autoentreprise.

Cela permet d'élaguer les "mauvais" aspects du salariat : paiement des cotisations sociales, congés payés, etc... Bref, tous les acquis liés au "statut". En revanche, l'aspect essentiel, à savoir le lien de subordination avec le donneur d'ordre est conservé et même amplifié. Mais tout ceci de façon totalement "consentante", bien entendu !

C'est une immense régression : l'objectif étant d'en revenir au consensualisme du XIXème siècle et aux conceptions archaïques du contrat comme produit équilibré d'une rencontre entre deux ou plusieurs volontés parfaitement autonomes et égales. On appellera ça comme on veut : égalité bourgeoise, renard libre dans le poulailler libre, peu importe.

Anonyme a dit…

(...) On rappellera que ce modèle consensualiste a été peu à peu transformé grâce au rapport de force, notamment en droit du travail, mais également en droit de la consommation (de façon bien moins évidente certes, car c'est quelque chose de plus récent et d'historiquement moins "saisi" par les mouvements sociaux et les syndicats, l'aspect "consommation" ayant été - à tort - délaissé par rapport à l'aspect "production" ; il faut dire aussi que de larges pans de l'activité économique étaient encore il y a peu intégrés dans la sphère publique, et la question de la relation "usager-service public" ne se posait dès lors pas de la même façon que la relation "client-entreprise").

Il y aurait donc beaucoup de choses à creuser sur ce thème. En effet, face à ce nouvel avatar du libéralisme fou, on ne peut pas se contenter de prôner un retour au salariat à l'ancienne ou au service public à papa ; sorte de combat d'arrière-garde qui ne mène à rien, comme la nostalgie des "30 glorieuses".

En revanche, vu les circonstances, des analyses qu'on croyait "dépassées" démontrent qu'elles n'ont pas perdu de leur pertinence. On y voit désormais plus clair, maintenant que les pare-feu étatiques et les "stabilisateurs automatiques" de la protection sociale sont en train de sauter. En définitive, l'objectif n'a jamais changé ; il est le même qu'il y a 150 ans : disparition du salariat, qu'il soit "classique" ou "auto", et partant, disparition de la société commerciale, qu'elle soit "industrielle" ou "2.0".

Mike a dit…

J'ai beau être d'accord sur certains points d'ordre philosophiques, il me semble que quand même qu'il faille arrêter de vouloir le beurre, l'argent du beurre et le cul de la crémière, surtout là ou nous sommes réellement des privilégiées, Bourgeois a souhait, et/ou le prolétaire s'achète un écran plat 1000cm au lieu d'un bon casse-dalle. Jetez si facilement le bébé avec l'eau du bain, cela s'appelle du populisme non ?

Anonyme a dit…

La musique que tu aimes bien sur la 2nde video, c'est la BO de "the Bourne identity", non ?
--
Laurent

Anonyme a dit…

Pas mal de choses à redire,

- comme le dit Peace plus haut, les AE qui se plaignent n'ont pas lu le texte de définition de l'AE. Tant pis pour eux.
- d'ailleurs l'AE n'est qu'un habillage pro-MEDEF du régime micro-social qui existait auparavant. Il est évident que le mot "auto" dans AE et la campagne de pub ont été mis en place pour que les patrons en usent et en abusent.
- en gros, l'AE a repris le concept du régime micro-social à savoir cotisations = pourcentage direct du chiffre d'affaire. Et donc zéro chiffre d'affaire = zéro cotisations, contrairement au régime général des indépendants où l'on paye de gros forfaits (plusieurs milliers d'euros) les deux premières années.
- je me demande bien pourquoi ceux qui font seulement quelques centaines d'euros de chiffre d'affaire ont créé une activité. Ca n'a pas de sens. Je fais 40 000 euros par an (et zéro dépense) en ce qui me concerne. Pour moi, ce statut est complètement naturel.
- l'exploitation patronale de l'AE peut et doit être limité. C'est une utilisation détournée du régime micro-social qui n'était là que pour mieux répartir les cotisations.


-stef

Seb Musset a dit…

@stef oui, c'est assez dingue, j'ai effectivement remarqué que c'était inscrit, noir sur blanc, dès le départ.

Un élément que j'ai oublié sur l'initiation de cette chose : il s'agissait aussi de remettre la main sur une partie du commerce des particuliers sur E-bay, en pleine expansion à l'époque.

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