2 décembre 2010

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Froid comme la pierre



Les flocons "paralysent" la France.  Couverture blanche immaculée vers 20h recouvrant les dossiers qui tachent et les infos qui fâchent. 17 minutes mercredi au JT du service public, avec duplex satellite devant la tour Eiffel à 250 mètres du studio (au bas mot 2000 euros la minute) pour te dire le temps qu'il fait. En France, on n'a pas de soleil l'hiver, mais on des journalistes d'investigation pour approfondir les causes et les conséquences de ce scandale.  

Décembre, c'est également la saison télévisée du clodo qui crève[1] avec sa cohorte de portraits de sans-logis refusant l'aumône de notre hébergement d'urgence. Quel scandale, ils veulent nous gâcher noël ou quoi ?

Mercredi soir, dans cette même parade télévisée de l'analyse pertinente et de la question décapante[2]

LA JOURNALISTE au SANS-TOIT par -10°.
- Vous avez froid ?

Mais pourquoi j'te parle de ça moi ? Ce n'est pas du tout mon sujet. Je voulais disserter sur ton inaltérable foi en l'accession à la propriété à crédit

Tu vois... 

Aucun rapport. 

Tellement pas.

Parfois, à la rubrique "éxotisme" du JT, s'échappe la ritournelle des peuples d'Europe auxquels les gouvernements déclarent la guerre en interne au nom de la paix pour la zone euro. Le blizzard des plans de rigueur, au nom de l'énième sauvetage bancaire, s'abat sur les pays pour, parait-il, "mieux les relever".

Les éditocrates cire-mocassins et les témoins de Jehovah du marché te cajolent au jingle-bells de "nos fondamentaux sont sains".  Jusqu'ici tout va bien. Biffe ta christmas-list tranquille, La France ne risque rien. Bon, tu n'es pas dupe. Tu sens bien que ça va mal tourner

C'est une des raisons pour laquelle tu as acheté à crédit, 10X son prix d'il y a 15 ans, cet appartement au salpêtre, mal isolé avec ruisseaux d'eaux usées sous le plancher à punaises, coincé entre deux voisins que tu détestes. Quand tout s'effondrera, toi au moins t'auras un toit


De retour dans ton palace des traites après ta pérégrination quotidienne au centre-co où tu t'es battu pour décrocher avec ta carte de crédit la moins dans le rouge de quoi bouffer pour le mois, tu grognes :  

- Ces SDF devant l'immeuble, ça donne le mauvais exemple aux enfants et, pis, ça va finir par faire baisser la côte du quartier  !" 

Encore 22 ans à payer, faut que ça continue à grimper. Pour l'instant ça va. L'argus se tient vu qu'ils sont beaucoup de revenus moyens (enfin... si passer à 1'heure à l'hyper pour départager quel paquet de coquillettes grèvera le moins ton budget scelle ton appartenance aux "revenus moyens" tels que tu les concevais en rentrant dans la vie active) à acheter comme toi. D'ici 3 ans, en revendant, tu comptes acheter plus grand. Moins craignos aussi. Parce que là, ce vis-a-vis avec un resto du coeur, pfff, comment dire...

Capitaine proprio à crédit, tu continues ta croisière idéologique sur les eaux calmes de l'émancipation à bas taux.  Bon, t'as vaguement entendu qu'aux Etats-Unis, en Irlande ou en Espagne, la criseTM a été précédée d'une bulle de la pierre. 

Figure-toi que les banques prêtaient à des gens qui comptaient rembourser avec la valeur qu'allait prendre leur bien...
Stupide hein ?

Mais n'allons pas blasphémer contre tes croyances. Dieu est mort et, en période de stagnation des salaires, de chômage de masse, d'augmentation des taxes, dans un pays où 65% des ménages français peuvent prétendre à un logement social, vive le patrimoine privé virtuel avec endettement aveugle à intérêts remboursables en priorité.

D'ailleurs, maintenant que tu t'y intéresses : s'il y a criseTM, c'est la faute aux "banksters". Point barre. Toi, tes ambitions sont nobles : acheter sans argent et revendre plus cher. Gagner plus sans rien faire avec ton logement en alignant au mieux le tiers du pognon pour acheter plus grand : rien à voir avec la spéculation des méchants banquiers.  Toi tu spécules avec ce qu'elles te prêtent, pas plus. 

C'est pas comme si se loger était un besoin fondamental, spécialement quand il fait - 10°, un genre de matière première vitale, et que la hausse des prix, en partie entrainée par ta terreur irrationnelle médiatiquement conditionnée de ne pas être proprio excluait, par ricochet, du logement de plus en plus de gens un peu moins bien placés dans l'échelle sociale (ou qui, hier encore, y occupaient la même place que toi, la tête enflée des mêmes certitudes publicitaires.) 

Je sais, tu vas me répondre avec ce bon sens de l'occident aux valeurs tourneboulées  :

- "Oui mais j'ai pas pu faire autrement. Avec mes revenus, personne ne voulait me louer. Et il faut bien que j'habite quelque part."

Comment t'en vouloir ? Effectivement, tout est fait en amont pour dégager les "revenus moyens"  du circuit de la location. Le préteur fait son métier. Prendre ton pognon sans que t'y réfléchisses trop en te bombardant de messages à la con.

Pire, l'administrateur du désastre qui te sert de gouvernement savonne la planche,  ne moralisant pas plus l'immobilier que le "capitalisme".  Si peu pour le logement social ou rien pour la réquisition des 2 millions de logements inoccupés et autres millions de m2 bureaux vides pour les 8.5 millions de mal-logés. Au contraire, il concocte des lois pour accélérer les expulsions. Rien pour encadrer les exubérantes conditions d'accès à la location ou plafonner les loyers.  Rien contre la sévère dégradation des conditions de vie des français non propriétaires qui vont bientôt devoir vendre un rein pour se loger. Rien non plus contre la spéculation immobilière des classes moyennes aisées ou (et les deux sont liés) le gigantesque mouvement touristique métamorphosant à vue d'œil la capitale en gigantesque hôtel à 150 euros la journée. (On comprend mieux ainsi les tarifs affichés au mois pour le moindre studio).

Il y a deux mois, j'ai interrogé Benoist Apparu, secrétaire d'Etat au logement, sur la pied-a-terrisation de Paris (dans ce cas précis, soyons honnêtes, la gauche est au moins aussi coupable)

(clique pour agrandir)

Tu noteras qu'à la différence du Rom, le touriste est invité à "s'imprégner de la vie de la cité". Dans un 25m2 pour 400 euros le week-end (moins cher qu'un palace) avec clodo en bas de l'immeuble (comme sur les cartes postales d'antan) : ça lui fera des souvenirs "so french". 

Mais je m'emporte.

Tout est donc fait pour que 1 / tu veuilles devenir propriétaire 2 /  tu le deviennes à crédit. Dans le domaine de ton endettement personnel, pas de "plan de rigueur" qui tienne. Chacun cherche son créancier.

Une grosse partie de l'électorat de droite étant propriétaire (mais pas à crédit), parfois de plusieurs logements (et oui la vie est dure pour tout le monde faut bien encaisser des loyers quand le travail ne rapporte pas) : cela implique que la valeur de leur patrimoine se maintienne un minimum. Si l'Etat se met à donner des logements aux pauvres et louer à tarif modéré aux "revenus moyens", la côte va baisser et la classe moyenne supérieure[3] n'encaissera plus autant de loyers.

Règle de base : pour soutenir la valeur immo, il faut toujours plus de croyants. 

Pour éviter de taper dans le hardware des lois à appliquer[4] pour contrer la violence des situations de mal-logement (actions radicales qui chiffonneraient l'électorat thuné et les préteurs), l'Etat compte sur l'asservissement du plus grand nombre d'entre toi à la logique de l'accession à la propriété (en deux décennies) comme garantie de ta sécurité individuelle. 

Il assure ainsi que les drames du sous-habitât et des loyers délirants perdurent, laissant gonfler un peu plus la bulle immobilière qui t'éclatera à la tête (et à celle des autres qui n'ont rien demandé par la même occasion).  

Ça ne devrait pas tarder. Dans un pays où le prix du mètre carré se déconnecte des réalités salariales de la majorité : les fondations de l'édifice sont en carton-pâte.

Oui je suis un peu old fashion à ce sujet : la folie financière commence aussi en bas, lorsque celui qui gagne 1 veut posséder 2 en croyant pouvoir payer 3, certain que cette acquisition vaudra 4. 

Si je ne suis pas fan du banquier[5], je n'oublie pas qu'il n'est rien sans ta complicité et ta soumission aux dogmes ambiants. Celui de "la propriété à tout prix" est, non seulement, d'une philosophie discutable mais d'un processus économique stupide[6] dont l'actualité, des secousses de Wall Street au type qui tombe au coin de ta rue, nous rappelle régulièrement les ravages. 

Du méchant bankster à ton innocent crédit[7] en passant par les files d'attentes des restos du cœur que tu observes  effrayé depuis ton patio en papier crépon : tout est lié.


[1] Il meurt aussi le reste de l'année mais on n'en parle pas, le marronnier ayant moins de cachet l'été.

[2] Il y a pire que TF1 : celui qui veut imiter TF1.

[3] Ah non, ne comptez pas sur moi pour dire qu'il s'agit là essentiellement d'enfants du baby boom qui ont  remboursé leurs baraques dès 1978 et qui viennent d'hériter, sans frais de succession, de celle(s) de leur(s)  parent(s). Pas de conflit de générations ici.

[4] suggestions d'action gouvernementale et municipale... 
- Une véritable action en matière de logements sociaux: c'est à dire construire  au lieu de vendre,  stopper les pièges marketing qui cachent le démantèlement minutieux du logement social.  
Supprimer les aides aux régions et communes ne respectant pas le minimum de 20% de logements sociaux.
- forte taxation des multi-propriétaires des biens inoccupés (existe déjà mais anecdotique) avec calcul à l'année.
Violent ?  C'est la situation actuelle qui est d'une violence sans nom (contre le peuple avec l'instrumentalisation idéologique d'une autre partie du peuple).

[5]  Pour l'endetté, la vraie révolution n'est pas de vider son compte mais de ne plus honorer ses dettes.

[6] Au passage, ça carbonise la consommation (à moins que celle-ci soit aussi à crédit, après tout plus on des fous) et ça augmente tes frais (charges foncières, frais de transport - et oui, pour avoir plus grand t'achètes plus loin -).
  
[7] "Celui en short qui veut s'offrir un costard entendant que les salopettes c'était moche, terminera par payer chaque mois 3X le prix d'un caleçon pour ne pas perdre son slip troué."
Nextcitus, philosophe hellène de la pierre, -2344 avant Century 21.

illustration : snoopy.com, LeMonde.fr, comic coverage, WB.

5 comments:

BA a dit…

Jeudi 2 décembre 2010 :

Record battu !

Sarkozy au plus bas de sa popularité à 24 % pour TNS-Sofres.

La cote de popularité de Nicolas Sarkozy tombe à 24 % de bonnes opinions en décembre selon un sondage TNS-Sofres pour le Figaro-magazine, son score le plus bas dans ce baromètre depuis son élection en 2007.

http://www.latribune.fr/depeches/reuters/sarkozy-au-plus-bas-de-sa-popularite-a-24-pour-tns-sofres.html

Anonyme a dit…

Globalement d accord avec l article. L accession a la propriete est une catastrophe economique car elle genere un maximum de dette et scotche les gens ou ils ont achete.

C est d ailleurs pour ca qu un proprietaire reste plus longtemps au chomage qu un locataire. Le second peut facilement demenager s il trouve un nouveau travail, pas le premier

Par contre, je suis en desaccord avec toi Seb quand tu parles des demande delirantes des proprietaires pour la location. La solution n est pas de faire une enieme loi (ca c est un reflexe sarkozyste : un probleme = une loi).
Il suffit de faire comme dans les autres pays: tu ne paye pas-> dehors. Si le proprietaire est sur d etre payé il na aucune raison de demander des tas de garanties
Je vis maintenant a l etranger. C est surprenant pour un francais. Quand tu loues quelque chose, on ne te demande pas 36 justificatifs et que tes parents soient caution.
Tu signes un contrat, tu payes une caution d un montant similaire a celui que tu paierais en france et c est tout !

nicocerise a dit…

Oui, c'est tristement vrai. Et une fois que l'on est proprio a s'ennuyer dans son canapé. On allume Nostalgie et on est heureux de chanter la bohème

Et si l'humble garni qui nous servait de nid
Ne payait pas de mine, c'est là qu'on s'est connu
Moi qui criait famine et toi qui posait nue
La bohème, la bohème, ça voulait dire on est heureux

Pathétique destin du proprio.

BA a dit…

Karachi : François Léotard pense que l'attentat est dû à l'arrêt du versement des commissions.

http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/12/03/karachi-francois-leotard-pense-que-l-attentat-est-du-a-l-arret-du-versement-des-commissions_1448419_823448.html

Anonyme a dit…

En parlant des guerre des génération qu'évoque parfois Sébastien Musset, je ne sais pas si ce lien a été posté : http://explicationretraites.wordpress.com

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