Passées les portes de la cité, l’abondance de vert. La joie de rouler la fenêtre baissée, les yeux séchés par le vent, sur ce qui ressemble à la route de l’été. Des images de vacances. Quand j’étais enfant et P. à mon âge, le catamaran sur l’étang, le soleil, des couleurs du Roussillon essentiellement, ce monde de lumière transperçant une fois l’an la routine, les engueulades beaucoup. Sur le Tornado qui trace sur la mer vent de le dos, P. me gueule dessus d'arrêter d'avoir peur parce qu'on ne risque rien. Je ne sais pas pourquoi j’y vais. On ne s'est pas parlé pendant toutes ces années. Ces derniers temps, c'était bien plus apaisé, je me préservais encore de toute conversation qui nous aurait impliqué l’un et l’autre trop intimement ou politiquement.
Pas de musique, juste le souffle enivrant de mon bolide de fortune. Une voiture qu’il m’avait prêté pour un voyage que je n’ai jamais fait, et voiture que je ne lui ai jamais rendu. Je sors et longe la forêt sur la départementale. Un monde paisible bien loin de notre remake septique de Paris brule-t-il. Un petit bourg, des pavillons aux jardins carrés, un type tond son gazon en slip, une maman et sa fille traversent e rond point main dans la main. Si ce n’était pour les quelques camionnettes qui s'hasardent dans la rue principale, le village aux façades blanches est figé quelque part vers -30 avant CV (Corona Virus).
Je les retrouve d'abord au téléphone, on ne pourra pas tous le voir en même temps. J’en profite pour appeler L. C’est grâce à elle que je suis là : Fais ce que tu ne regretteras pas. Le docteur m’annonce que tout c’est dégradé très vite qu’il y a un cap a passer désormais et de l’inconnu. Je comprends aussi qu’il est encore conscient, mais que dans quelques heures quoiqu’il arrive il ne le sera probablement plus. C’est ce qui justifie notre visite alors que depuis des semaines elles sont interdites. On m’équipe de la tête au pied, combinaison de plastique, j’enfile enfin mon premier masque officiel et j'entre enfin dans la chambre. Interdiction de m’approcher de son visage. Je ne l’ai pas vu depuis des mois, plusieurs transferts des interdictions et surtout mon manque de courage jusqu’à cet appel aujourd’hui. Amaigri, le souffle lent, quelques mouvements de main compensent des volontés de mots, des approbations ou bougonnements à l’identité sonore intacte. Je le devine surpris de me voir, ou plutôt de voir mes yeux dans l’interstice du sac plastique géant dans lequel je suis emballé. Moi qui ai passé ma vie à essayer de me différencier de lui, sur le lit avec le visage creusé il me ressemble plus que jamais. On me laisse. Je n’ai jamais imaginé vivre ce moment. Je ne sais pas ce que je dis et ce que j’aurais envie d’entendre si j’étais à sa place maintenant, est-ce que je me parle à moi ou à lui ? Je me lance :
(...)
Je pense au lui dans mon enfance s’il regardait cette scène en spectateur depuis son bateau et à ses moqueries évidentes. Certains personnes vivent les évènements et les regardent alors qu’ils les vivent. Ça m’amuse et je sais qu’il y pense aussi un peu parce qu’on a ça en commun. Je serre la main de celui a qui je n’ai jamais fait la bise et que je n’ai jamais appelé Papa. Il a de la force dans les bras, et ce regard assuré qu'il a toujours eu, le regard de celui qui ne doute jamais. Un souffle précis s’invite dans le silence. Il me demande :
"- Ça va ?"
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