28 décembre 2009

[video] Le grand débat lâche

par
Retour en vidéo sur le carton d'invitation à librement exprimer sa haine de l'autre, délivré à l'approche des élections par un gouvernement camouflant sa désastreuse politique anti-sociale derrière un patriotisme de façade.



Rappel aux électeurs UMP : Il n’y a pas de déficit de patriotisme mais un manque de citoyenneté. Le patriotisme est publicitaire, la citoyenneté c’est l’expérience du quotidien.

Rappel à ceux qui se sentent visés à juste titre par ce faux débat : l'intégration est un concept de dominant. Il n'est jamais posé, ni lancé selon les termes de celui censé s'intégrer mais bien selon le calendrier et les critères de celui qui tolère. Celui qui vous parle d'intégration, n'exprime fondamentalement que la peur de ce que vous êtes, ou de ce qu'il pense que vous incarnez.

Nous reparlerons d'identité nationale lorsqu'il n y aura plus un seul citoyen mourant de froid au pays des lumières éteintes.

Le pearltrees : "A qui profite le débat ?" par Reversus.

A qui profite le débat ?

* * *

Dans la série que disaient les blogs politiques à l’époque, je suis tombé par hasard sur ce texte d'Henri Calet, chroniqueur au journal "combat", écrit en février 1945.

La France sort dans la douleur de cette guerre qui selon certains (dont on se demande encore comment ils ont pu accéder à de telles responsabilités en énonçant de telles sottises) aurait pu être évitée avec un beau débat à la Besson.

Guerre, invasion, identité, France idéalisée du passé, différence, haine et natalité, nature humaine avec ou sans guerre : Calet répond avant leur naissance à André Valentin et Christian Estrosi.


« Dans un article récent traitant de la naturalisation des étrangers en France, nous écrivions qu’il est urgent de nous en agréger un grand nombre pour pallier un peu le dépeuplement de la nation. Et nous nous référions à des statistiques de désastre. Nous y revenons aujourd’hui.

Avant, on voudrait accuser de réception de quelques lettres de lecteurs assidus, comme ils disent, et anonymes. Un monsieur me traite de « sale juif ». Bon. Ailleurs, déclarations xénophobes et antisémitiques, le tout sur un refrain chauvin. La France aux Français ! s’écrie une dame.

On espérait ne pas devoir réentendre ce vocabulaire. Ni cette propagande raciste et hitlerienne qui s’inscrit nuitamment sur les murs. La leçon de haine de quatre ans a été bien apprise.

Un autre monsieur s’indigne contre une « racaille ». Il dit en terminant qu’il débute dans le billet anonyme. On ne l’aurait pas cru : il s’y prend fort bien. Du premier coup, il a trouvé le style nauséeux qui convient. Et, là dessus, il signe, comme nous l’aurions fait à sa place : Un C… de Français. Mme Dubois, qui ne donne pas son adresse, parle également de « racaille ». Ces gens s’instruisent dans un même dictionnaire. Plus loin, elle s’emporte contre « la lie qui s’empare des emplois et des logements ». Mme Dubois est très véhémente : « A bas les étrangers s’exclame t-elle, à bas les Juifs, ce sont ceux-là qui font le marché noir. »


Pour Mme Dubois il reste évidemment encore beaucoup trop d’étrangers et de Juifs. Probable qu’on n’en a pas assez pendu, qu’on n’en a pas assez brûlé ni assez fusillé. Mme Dubois se débarbouille au sang frais tous les matins. Des mises au jour des nouveaux charniers avec des photographies à l’appui, il lui en faut dans son journal. Pour conclure, elle déclare : « J’espère qu’après la guerre il y aura un compte à régler avec les étrangers. » On voudrait pouvoir lui promettre d’importants pogromes, une Saint-Barthélemy, des Vêpres siciliennes ou des Matines brugeoises… Mme Dubois, on vous trouve, un peu ignoble sans vous avoir jamais vue.

Sortons de ce monde obscur. Et respirons.


Nous redisons qu’un apport étranger nous est immédiatement nécessaire. Que les naturalisations doivent se faire avec prudence, nous ne l’avions pas précisé. Mais on sait qu’il existe un appareil administratif qui passe pour sévère.


Depuis des années la courbe démographique ne cesse de descendre. Voici des chiffres : la fécondité et la mortalité demeurant au niveau de 1935, la population de la France serait en 1985 de 29 millions et demi d’habitants, parmi lesquels plus de 11 Millions de vieillards. Or, depuis 1935, il y a eu la guerre ; on s’en souvient , il y a les privations actuelles. Et il y a aussi la longue absence de 2 millions et demi d’hommes.


Les causes directes sont connues : diminution du nombre des mariages, infécondité, avortements (on en compte 400.000 pour 600.000 naissances), divorces.

On ne tient pas pour très efficaces les diverses mesures prises jusque ici : allocations, réductions d’impôts, etc… La courbe baissera encore, on peut le craindre.


Dans les pays de dictature, on a poussé les couples dans les alcôves. Pour obtenir des régiments tout neufs. Cette contrainte ne nous satisfait pas. Ni dans ses moyens ni dans ses fins.


Ici même on a connu un gouvernement qui avait pris pour devise : Travail, Famille, Patrie. Pendant quatre ans, il a été distribué des médailles et des honneurs aux familles nombreuses. Dans le même temps, on raflait les hommes valides pour les remettre à l’occupant. Ils sont encore en Allemagne, aux travaux forcés. Voilà pour le travail et la famille. Quant à la patrie, personne n’a oublié ce qu’il en a été fait.


Question vitale, sans doute. Recommandons aux spécialistes de s’appliquer à y trouver remède. Mais on croit que la cause véritable de la dénatalité se trouve dans l’insécurité de l’avenir. On ne dit rien des jours présents. Pour le moment l’ont tue. Mais après ?


On peut penser qu’il y aurait davantage d’enfants en France si l’on n’avait pas dû en faire un tel grand massacre tous les vingt ans. On peut penser également qu’on verrait ici plus d’enfants si le sort matériel de tous était mieux assuré. Si l’on pouvait regarder grandir un enfant sans avoir d’inquiétude et qu’on pût ne plus lui prédire : « Quand tu seras grand, tu seras chômeur, d’abord, puis tu seras un héros. »


Si l’on vivait heureusement en France, et ailleurs, il semble que les enfants naîtraient tout seuls, comme des fleurs sous un ciel tranquille.


En somme, dans le futur, le problème se poserait ainsi : faire des canons ou faire des enfants. »


Henri Calet, chroniqueur,
in « Combat » numéro du 28 février 1945

Texte publié chez Grasset en 1956 dans le recueil contre l’oubli.

[update : perle, lien 28.12.09 21.30]

20 décembre 2009

Arditi et la tirade d'anti net

par

Les Médias traditionnels sont-ils contaminés par internet ?

Je plaide coupable. Alors que je suis sur le chemin d'un sommeil réparateur, tenté par un tweet que Guy Birenbaum envoie depuis les coulisses vers 22 heures, je me fade l'énième débat du genre vendredi soir sur France2.

Et pas de raison que je garde ça pour moi.

Dans la série c'est pas parce que j'ai rien à dire sur internet que je vais fermer ma gueule à la télé, le dernier numéro de "vous aurez le dernier mot" (le premier et tous les autres aussi) de Franz-Olivier Giesbert a frappé un grand coup (dans le vide).

Invité d'honneur (de leçons) : Le comédien Pierre Arditi.

L'acteur en connaît un rayon dans la casso-technologie. Au sujet d'internet, il a déjà fait parlé de lui pour avoir participé à la lettre des artistes de gôche envoyée au PS en mai dernier. La pompeuse missive reprochait à l'opposition de retarder le vote de la loi "Création et Internet".

C'est vrai quoi... flûte enfin ! Avec un gouvernement, une assemblée et un sénat à droite, que de temps perdu avec ces procédures démocratiques !

23h30. Tous les éléments sont réunis pour que l'acteur, piégé dans le paradoxe de Seguela[1], se lâche sur la bête immonde.

1 / L'ÉMISSION :
Alibi culturel à forme de talk-show bordéleux, tiraillé entre la variétoche à clappements compulsifs et l'émission de fond, ratant haut la main l'un et l'autre.

2 / LE REPORTAGE INTRODUISANT LE DÉBAT :
Un résumé des dernières polémiques dites du net : L'auvergnat de Brice, Rachida qui fait la maligne et le bon goût mulsumano-vestimentaire de Nadine. Le journaliste en charge de la traditionnelle propagande anti-réseau oublie de préciser que les séquences incriminées proviennent pour la plupart de la télé. Dans le cas de la casquette et du verlan, l'intéressée s'est justifiée en publiant, sur internet, la séquence dans son intégralité.

3 / LES INVITES (configuration souricière standard) :

- Les "têtes dans le mur" :
Laurent Joffrin dit barbichu et Élizabeth Levy aka tort moi jamais jouant une partie pas facile : casser du net tout en casant de la pub pour leurs sites respectifs. Internet c'est caca sauf causeur et libé.

- Le penseur qui la joue plus fine que finkie :
Guy Sorman, éditeur et essayiste, recentrera un débat qu'il qualifie d'entre deux mondes pour en appuyer l'ineptie.

- Le sacrifié :
Guy Birenbaum dit mister buzz du lip dub. Éditeur, journaliste et blogueur. Suspect de s'intéresser d'un peu trop près à ce nouveau monde de l'information. Sélectionné pour en prendre plein la tête.
Détail (mode théorie du complot on, crédibilité 8/20) : Le volume de son micro est moins fort que les autres.

-
Le sage
(c'est ainsi qu'il est présenté) :
Ils sont une poignée en France à se laisser ouvrir aussi longuement les portes du direct. Avec le sage, la 2 joue sur du velours : Aisance du discours, provocation policée, ce qu'il faut de culture, un poil d’indignation sans risquer de niquer la promotion ni de compromettre les multiples productions et tournages à venir impliquant les deux parties.
Arditi n'y connaît rien au net et avoue avoir envoyé son premier courriel le matin même ! Pas grave, c'est de la télé, on s'en fout de la crédibilité, ce qui compte c'est la notoriété ! Bernard Tapie vient bien de nous expliquer pendant une heure le métier d'acteur.

4 / L'ANIMATEUR :
Franz-Olivier Giesbert dit FOG le brumeux. Ex-directeur du Figaro désormais au Point. Et pourquoi pas Serge Dassault pour un animer un débat sur la revalorisation du Smic ?

Le débat va donc bon train : Internet, machinerie du diable pour adolescents trépanés générant de la fausse information.

Elizabeth Lévy nous gratifie d'un audacieux : « - Les gens ne sortiraient pas toutes ces vidéos, si ils savaient qu’elles ne seraient pas publiées. ».

FOG ramène le débat sur les appels au meurtre contre Berlusconi observés sur facebook. Bah oui, pas con : pas d'internet, pas d'assassinat politique. Kennedy, Yitzhak Rabin et Léon Trotsky votent pour.

La dame de causeur revient dans les cordes enchaînant un direct sur la polémique Polanski, tout en faisant bien de préciser qu'elle « ne veut pas rentrer sur le fond » pour fustiger les blogueurs qui auraient influencé la volte-face des soutiens pipaule au réalisateur emprisonné. Ces salopiauds ne respectent rien ! Faudrait les enfermer dans un chalet à Gstaad tiens !

Guy Sorman oppose l'exemple de Copenhague : les louanges unanimes accompagnant le sommet dans les médias autorisés contrastant avec les analyses moins optimistes exposées sur les blogs.

FOG s'insurge :
" - Mais enfin, Claude Allègre est invité permanent sur toutes les chaines !"

Et de nous fournir ainsi un bel exemple de l'obsolescence télévisuelle version 2009, le rapport démocratique s'y établissant de la sorte :
- Internet et le débat : c’est la multiplication des opinions.
- La télé et le débat : c’est la réduction de l'opposition à une tête, si possible toujours la même.


Au tour du sage.


D'entrée, Arditi use du principe qui dans la tête des savants est censé calmer les cons : Sortir une citation. Le locuteur aligne ainsi implicitement son discours à venir à la hauteur de la référence célèbre qu'il vient d'exposer :

PIERRE ARDITI
"- Vous parlez de l’ancien monde et du nouveau monde. J’ai envie de reprendre une phrase de Paul Valéry qui dit « la nouveauté d’une chose, n'est pas forcément une qualité intrinsèque de cette chose. »

La classe.

Applaudissements du public. C'est bon les gueux ? Vous avez pris votre torgnole de culture ? Vous emballez pas trop, la suite est pas vraiment du même niveau.

PIERRE ARDITI la voix mêlant suavité et arrogance[2]
" - ...je ne suis pas sur qu'il faille abandonner des choses auxquelles je tiens. L'éthique journalistique j'y tiens. Je ne suis pas un client du net. [...]. Ça n’est pas forcement un monde auquel j’adhère....

GUY BIRENBAUM discrète tentative
"- Bah...vous le connaissez pas.'

PIERRE ARDITI
" - je le connais un peu parce que je vois ce qui vient de là.
"
[Aucun exemple donné]
"- ...Y a quand même quelque chose là dedans bien que je ne le pratique pas vraiment, qui est assez étonnant. Déjà y a cette histoire d’anonymat et ensuite c’est formidable que les gens s’expriment… après tout pourquoi pas... "
[Sympa man, les gens te remercient.]
"- ...Mais y a là dedans de nouveau quelque chose qui rejoint ce que Guy Debord appelle « la société du spectacle... »
[Dis donc : t'as pas un peu oublié qui tu es et d'où tu parles ?]
"- ...Y a quelque chose là dedans qui moi me dérange...."
[Comment dire.... t'es juste inexistant sur le net.]
"...On est face à des commentaires qui n’en sont pas, à des idées si petites ou si raccourcies qu’elles réduisent le propos à néant..."
[Alors que ton propos formidablement étayé, fruit d'une grande connaissance, lui, me bluffe par sa pertinence.]
"...Et aujourd’hui on finit par prendre Stéphane Guillon pour Jacques Julliard ou Luc Ferry..."
[Nous rappelons à notre aimable clientèle que Stéphane Guillon officie à la radio.]

"...Et ça, ça me pose un problème parce qu’un jour on finira par prendre un spot publicitaire pour une tragédie de Racine..."
[J'imagine que c'est une dédicace à l'ami Séguela, autre pourfendeur du net, qui nous vendait déjà à longueur d'émissions TV dans les années 80, la publicité comme un art qui allait supplanter tous les autres.]
"...donc ce monde là ne me concerne pas encore."

La dernière phrase est recouverte par des applaudissements encouragés par la chauffeuse de salle.

FOG flatteur over généreux
"- Le sage fait un tabac, il retourne la salle."

PIERRE ARDITI galvanisé par l'ambiance électrique du meeting anti-net.
"- Je ne suis pas contre. Je préfère lire Le monde, Libé, Le Figaro..."
[On voit ce que ça donne.]


Objection de Sorman qui, comparé au festival de portenawak en cours de projection, passe maintenant pour un ardent progressiste.

PIERRE ARDITI
" - le web...Je peux ne pas être en accord avec une partie de ce qui s’y passe."
[Laquelle ? Parce que là on a toujours aucun biscuit factuel à se mettre sous la dent.]


Objection d'Elizabeth Levy sentant qu'avec un Arditi à la culture, causeur finira par faire partie de la purge.

ELIZABETH LEVY
"- On ne peut pas dire ça. Ça ne veut rien dire internet ceci, internet cela…internet c’est d'abord des tuyaux..."

PIERRE ARDITI
- "Ça c’est vous qui le dites ! Y a des gens qui prennent ça pas seulement pour des tuyaux. Ils prennent ça aussi pour une forme de pensée..."
[A cet instant, je comprends tout. Arditi ne parle pas d'internet mais de lui.]
"...Y a des moments où cette forme de pensée m'inquiète."
[Consulte. Faut pas prendre ses dégoûts pour une réalité.]

FOG trop gentil, passe le plat, enfin la pelle, à Pierre :
"- Je voudrais prolonger ce que vient de dire Pierre Arditi sur internet, c’est à dire "réceptacle des ragots, du cul, du sensationnalisme..."
[Merci Franz-O. On saisissait encore mal le point de vue de Pierrot le flou.]

FOG nous cite maintenant la phrase incontournable de toute conversation télévisée au sujet du net qui se respecte, le célèbre "tout à l'égout de la démocratie" de Denis Olivennes, résumant à elle seule la fracture fondamentale séparant les anciens des modernes.

GUY BIRENBAUM mode dégoûté de la vie, stade 4
"- Pfff...Ce sont des raccourcis tellement faciles…."

LAURENT JOFFRIN sort du coma pour la promo
" - Y a un effet pervers sur internet. On met sur le même plan des informations ou des éléments de savoir qui sont produits avec des règles, avec d’autres qui sont des informations sauvages produites sans aucunes règles et ça c’est dangereux."

GUY SORMAN confiant
" - Ça va bouger…"

LAURENT JOFFRIN bougon
" - Oui peut être mais ça bouge surtout dans le mauvais sens. [...] Une image chipée par un téléphone portable ça n'est pas la même chose qu'un reportage qui a été fait par quelqu'un de compétent par un journaliste qui a vérifié, qui met les choses en contexte, qui applique des règles de bons sens pour donner une honnêteté intellectuelle à ce qu’il fait... "
[FOG l'épaule dans sa démonstration.]
"... Quand on balance des images sans décrypter, c'est pas sérieux, ça alimente la rumeur."
[Bien dit et c'est l'objet de ce billet[3] : décrypter des clichés basés sur une connaissance limitée du sujet, sans exemples ni vérification, et balancés en toute décontraction à un demi million de téléspectateurs .]

ELIZABETH LEVY
" - Ce qu’il y a avec internet, c’est une volonté de contrôle de la société par elle-même."
[Elizabeth comprend très bien ce qui se passe. C'est juste que la concurrence : Ça l'énerve.]

" - ... on rentre dans un monde où tout ce qu’on pourra dire pour être retenu contre nous. Si bien qu’a la fin plus personne ne dira rien."
[Elizabeth pourrait peut-être faire confiance à ses auditeurs et à ses lecteurs pour multiplier les sources et faire le tri, non ?]
"- Et ça vient de la société, c’est pas la technologie qui crée ça."

Birenbaum en appelle à la collaboration et à la bonne entente entre les professionnels de l’information, les blogueurs et les internautes.

GUY BIRENBAUM
"- C’est dans le participatif que l’on va trouver une voie médiane qui va nous permettre de travailler les uns avec les autres. Mais certainement pas en étant front contre front… Il faut arrêter de caricaturer. [...] Moi des rumeurs et des ragots, j’en entends ailleurs que sur internet…"

LAURENT JOFFRIN
" - Y a une idée fausse selon laquelle …"

FOG trépigne et le coupe tout joyeux, fier d'avoir bon
" - Tout le monde est journaliste !"

LAURENT JOFFRIN imperturbable
" - Non, non... c'est l'idée selon laquelle sur internet on serait libre alors que dans les médias dit traditionnels on ne le serait pas . C’est totalement faux. Si vous regardez les informations qui ont vraiment gêné les pouvoirs, elles sont pratiquement toutes sorties dans la presse traditionnelle..."

Ce que confirme la une du Parisien le lendemain :


Laurent Joffrin n'a pas tort. Pour bien informer, il faut enquêter : Il faut du temps donc de l'argent. Les blogueurs, eux font de l'analyse, souvent à chaud, ce qui demande d'autres qualités. D'autant qu'eux ne touchent pas 600 millions d’euros de l’état pour boucler les laborieuses fins de mois en kiosque.

Sorman tente de raisonner le plateau des mille vacheries, établissant un parallèle avec l'apparition de la presse au XVIIe siècle qui obtiendra progressivement sa légitimité par le seul choix du public.

GUY SORMAN
"- On va vivre ensemble. "

Arditi fulmine, Joffrin veut une loi.

Mais... mince c'est déjà la fin du débat qui s'achève là où il a commencé : sur vos applaudissements.

Emportons-nous et imaginons une conclusion à la Sorman :

L'ancien monde
de l'information pyramidale est terrorisé par le mode de communication en réseau.

L'ancien monde
sait que sa survie et sa notoriété dépendent en grande partie de son adaptation à ce nouveau fonctionnement.

Ceux peinant à s'adapter multiplient donc leur présence dans les débats sur le sujet, non pour disséquer les raisons de leur extinction mais pour justifier aux autres et SE justifier à eux le flicage et autres législations punitives engagées pour tenter de la retarder.

Quelle connerie la guerre !


Vous trouverez le débat
sur ce lien.


[1] Paradoxe de Seguela : Consiste à aller à la télé dire des énormités, et buzzer sur le net histoire que la télé vous invite à nouveau pour dire du mal du web.

[2] Ce n'est pas pour rien que notre homme a doublé la voix de Superman dans la VF (version 1978)

[3] Autre que de générer du
Google ranking à Arditi.

18 décembre 2009

[video] Karachigate : au coeur de la corruption

par

Curieux.

Certains noms de ville, Kaboul ou Copenhague rendent prolixe, voire didactique, notre monarque. D'autres, La Courneuve ou Karachi, le plongent dans la confusion, le mépris ou le mutisme.

Notre président serait-il embarrassé par l'attentat de Karachi du 8 mai 2002 qui a coûté la vie à 14 personnes dont 11 ouvriers de la Direction des chantiers navals (DCN) de Cherbourg ?

Par l'intermédiaire de leur avocat, Olivier Morice, 6 familles de victimes affirment que oui.


C'est peu d'écrire que les familles n'ont toujours pas avalé la fiévreuse réaction du monarque le 19 juin 2009 lors d'une conférence de presse à Bruxelles.

[Rappel : Sortant du sentier balisé de ce type d'exercice[1], un journaliste de l'AFP demandait au président ses impressions sur les révélations des magistrats Yves Jannier et Marc Trévidic : Des commissions et retro-commissions non versées dans l'affaire de la vente de 3 sous-marins au Pakistan en 1994 seraient à l'origine de l'attentat de Karachi, commandité en représailles contre La France par les services secrets pakistanais (et non Al-Qaida comme supposé pendant des années).]

Six mois après, la conférence de presse du 17 décembre 2009 organisée par les parties civiles est un tournant dans cette affaire que certains appellent Karachigate.

Les éléments réunis par le juge d'instruction et la presse sont plus que troublants et permettent à l'avocat d'ouvrir un "second front judiciaire" (en plus de l'information pour assassinat) avec un dépôt de plainte lundi dernier pour "entrave à la justice, corruption, faux témoignage et extorsion" (voir vidéo en fin d'article).

Entrave à la justice : L'oubli par le parquet de transmettre des pièces de l'enquête menée au pôle financier sur la vente des sous-marins Agosta au premier juge en charge, notamment les rapports "Nautilus" commandés par la DCN à Claude Thévenet (ancien de la DST) juste après l'attentat.
Ces rapports décrivent que "l'annulation des commissions avait été décrétée en 1995, à la suite de l'alternance politique en France, et visait à assécher les réseaux de financement occultes de l'Association pour la réforme d'Edouard Balladur". L'auteur des notes devait "rechercher sur qui rejaillit la responsabilité de l'attentat.

Faux témoignage, extorsion et tentative d'extorsion en bande organisée : Jean-Marie Boivin, ancien consultant de DCN puis gérant de sociétés off-shore au Luxembourg et en Suisse, a nié les montages révélés dans les rapports "Nautilus". Il aurait également adressé plusieurs courriers au président Chirac, à la DCN, menaçant de faire des révélations si le reste des commissions n'était pas réglé.

Corruption active et passive : Le moteur de l'embrouille. L'argent soit l'ensemble des commissions versées en marge des contrats Agosta. Cette plainte vise plusieurs sociétés off-shore servant au transit des commissions (Heine, Eurolux, Mercor Finance et la Sofema) mais aussi l'Association pour la réforme, club politique créé en 1995 par Edouard Balladur...

Seulement... qui mouille Edouard Balladur entre 1994 et 1995 éclabousse forcément celui qui était alors Ministre du Budget dans son gouvernement, son porte-parole et le directeur de sa campagne.

Vous le connaissez.


Pour Maître Morice : le futur président est "au cœur de la corruption dans cette affaire." Suite au scud, la réaction de l'Élysée est immédiate (voir doc ci-dessous) via un communiqué lapidaire et menaçant qualifiant les propos de "diffamation".

(cliquez pour agrandir)

Les familles, et La France au passage, attendent plus de précisions de la part de celui qui a toujours quelque chose à dire. Huit ans après la douleur des familles reste intacte, renforcée même : s'y sont greffés la colère et la détermination.

Interview de Magali Drouet, fille d'une des victimes :


Olivier Morice s'explique [2] :


[1] baptisé dans la blogosphère chemin de croix de Joffrin.

[2] Intégralité de la conférence de presse ici

photo et vidéo : sebmusset.net

[Update link : 26.12.09 / 00.00]

16 décembre 2009

La guerre du travail

par

"Travail" et "chômage", c'est comme "progrès" et "UMP" : Des marques déposées et censées ne pas aller l'une sans l'autre.

D'où une montée de l'angoisse populaire alors que les chiffres du chômage (et de l'emploi précaire son corollaire) explosent et que le gouvernement prit en flagrant délit de ratage de progrès en minimise la portée derrière des catégories cache-misère.

Challenges
, magazine de droite néo-conne catapultant le Fig Mag au rayon livre d'images pour gauchistes, publie dans un récent numéro un article titré "le grand soir attendra" et reproduisant un extrait de la note conjoncture de l'association de DRH Entreprise et personnel (en collaboration avec l'institut Supérieur du Travail) qui infirme celle alarmiste de 2008 :

" L'insurrection sociale promise par certains à fait pschiit." (sic)

Le rapport se félicite de la collaboration active des organisations syndicales dans la gestion de la crise en 2009. A l'instar du gouvernement, le rapport est confiant : Il n'y aura pas de grands mouvements sociaux à redouter en 2010 tant que les français seront inquiets pour leur emploi.

La pulsion de révolte du travailleur moderne est donc liée à son sentiment de sécurité. Logique libérale : Plus la victime est brimée, abusée, déprimée, moins elle se révolte.

L'espace de deux générations, le travailleur français, ce héros social qui avait tant obtenu au fil des luttes, s'est métamorphosé en salarié anonyme, isolé, stressé et suicidaire, collaborateur de bourreau par peur de perdre un petit confort générique à obsolescence accélérée, réduit à vénérer sur facebook son frère d'armes qui, lui, a eu l'audace de braquer le fourgon de son employeur.

Un bref retour en arrière s'impose pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent ce renversement des valeurs au profit des exploiteurs.

* * *

Il y quarante ans dans une galaxie lointaine avec une croissance très, très éloignée de la nôtre.

Depuis 1936, dans le prolongement de la seconde guerre, la condition du travailleur n’a de cesse de s’améliorer. Retraite, congés payés, remboursement des soins, salaire minimum : question travail, l'avenir lui apparait si ce n’est radieux au moins sécurisé.

Le mot chômage est alors quasi inconnu : il touche une frange marginale de la société surnommée "ceux qui le veulent bien". Retenez bien cette vision des choses par la classe dominante relayée par la classe moyenne qui émerge à cette époque : elle va vous (des)servir pour la suite.

1967. C'est dans un esprit d'optimisation des ressources humaines que le secrétaire d'état aux affaires sociales chargé de l'emploi, un certain Jacques Chirac, crée l'Agence Nationale pour l'Emploi.

La France compte alors 400.000 chômeurs soit 2% de la population active.

1973. Premier choc pétrolier. Les travailleurs ne le savent pas encore mais c'est la fin des belles années.

1975. Le chômage dépasse la barre des 3% de la population active française. Il est toujours caché sous le tapis d’une reprise constamment repoussée (ça aussi notez, on va s'en resservir). Croissance molle, forte inflation : Pour pallier aux conséquences sociales d'une crise marketée comme exotique ("En France, on a pas de pétrole mais on a des idées"), l'ANPE publie enfin des offres d'emploi dans ses agences. (notez qu'il aura fallu huit ans, ce qui en dit long sur la volonté de voir les problèmes en face.)

1976. Le capitalisme entame son changement de régime. Alors que la classe moyenne de cadres et d’employés (en résumé : les enfants du baby-boom), ayant bénéficié de la dynamique des deux décennies précédentes dans des proportions jusque là inédites, s'en soucie peu, la notion de chômage s'insinue chez ceux qui ont raté le train : les plus jeunes.

1979-1980 : En Angleterre puis aux États-Unis, alors en plein marasme économique, avec les élections de Thatcher et Ronald Reagan, l'impulsion néolibérale de sortie de crise, façon Chicago Boys est initiée. Les deux leaders sont résolus à péter les cloisons de l’architecture sociale selon les schémas d'agrandissement du capital. Concrètement : Les heures de la politique de relance par l’investissement public au bénéfice du citoyen sont comptées et celles du travailleur le seront de moins en moins.

Dans ces pays les politiques publiques privilégieront les entreprises. Depuis les étages supérieurs de la société en direction des maillons intermédiaires et faibles, l'idée se propage qu'en favorisant les riches, on enrichit ceux d'en dessous (là aussi notez cette vérité et commencez à vous enduire de vaseline).

En Angleterre, la dame de fer mate violement les syndicats, favorise la dérégulation salariale et endort la classe ouvrière en lui permettant d’accéder à la propriété (à crédit) de ses anciens logements sociaux. Règle d'or de l'arnaque : Faire croire aux pauvres qu'ils seront riches un jour, ça marche toujours.[1]

Retour en France.

1980 : Déjà six ans de droite et le chômage français a doublé pour dépasser le million et atteindre les 5 % de la population active.


Explosion de l’intérim, du chômage longue durée, des laissés pour compte : C'est le début du grand décalage entre le politique et une catégorie de travailleurs inadaptés qui ont perdu leur emploi, c'est ballot. Le haut et le bas de l'échelle se retrouvent dans une gêne commune par rapport à ce curieux contrat social qui s'éternise : Le chômage est considéré par la classe supérieure comme une indigence, il est vécu par ceux qui l'expérimentent comme une maladie honteuse.

La génération favorisée malgré elle des enfants du baby-boom appelons-là génération Johnny, s'est constituée un matelas de sécurité via un accès rapide à prix raisonnable à la propriété. Elle voit mécaniquement sa situation renforcée. Pour les plus jeunes, faire une carrière comme papa, avec entreprise unique et un salaire en hausse constante, devient une gageure.

1981. Avec l'arrivée de la gauche au pouvoir, ce nouvel ordre mondial favorisant le capital est inversé avec détermination. Le travailleur retrouve des couleurs : Cinquième semaine de congés payés, revalorisation du smic et augmentation des prestations sociales, semaine de 39 heures et retraite à 60 ans.

Les déficits publics se creusent, le dollar monte : ce coup-ci La France est victime de la reprise des autres et de la concurrence d’une économie se mondialisant. Le chômage dépasse les 7% en 1982. La guigne.

Deux ans de ce régime viennent à bout des illusions. C’est le tournant de la rigueur. La gauche va montrer qu'elle sait faire aussi bien que ses copains de classe de l'ENA, c'est à dire une politique de droite.

A partir de 1983, misant sur une europe forte dont l'unification se précise, la France revient dans la dream-team idéologique des pays dominants. Le démantèlement de pans complets de l’industrie s'accompagne d'une violente augmentation du chômage (800.000 nouveaux chômeurs en 1984). C’est le boom de la sous-traitance. L’ouvrier est une espèce condamnée. Ça sent le pâté pour les autres salariés dont les salaires n’augmentent plus aussi vite que dix ans plus tôt, quand ils ne sont pas gelés.

Commence un processus d’à peine dix ans au terme duquel l’état aura rendu les clefs de sa gouvernance aux groupes, aux multinationales, bref au marché.

A partir des années 80, le travail qui tombait bien juteux de l’arbre de la croissance devient une obsession populaire. Le chômage entre en compte dans la gestion du travailleur. Il devient un moyen de pression, une menace distillée chez les plus fragiles (ouvriers peu qualifiés, vieux et jeunes salariés) permettant aux entreprises d'infléchir les conditions d'exploitation à leur avantage.

Pour ceux entrants alors dans la vie active, se généralisent de nouveaux rites d'humiliation et de formatage qu'ils ne remettront pas en question : Passage obligé du CV, apparition de l’ahurissante lettre de motivation et multiples entretiens débouchant 99 fois sur 100 sur du on vous rappellera.


Parallèlement à la terreur du chômage, se développe cette curieuse idée que le travail ça se mérite alors que, théoriquement, le travail ça se paye.

Les candidats à un poste patientent par paquets de 1000 devant la porte du patron. Vont-ils travailler ? Trouver une signification ? Pouvoir payer le loyer ? Sont-ils des hommes ? Autant de métaphysiques interrogations qu'ils estiment réglées par un emploi salarié. La nature du salariat évolue également ces années là, s'orientant massivement vers les services et les emplois dépersonnalisés sans signification claire. On ne désire pas tant un travail que trouver un job, n'importe lequel (cette résignation des ambitions a son importance).

Une partie des salariés de la génération Johnny, entrée sur le marché de l'activité entre 1960 et 75, passe entre les gouttes de la conjoncture et c'est à peine si elle perçoit les bouleversements en cours. Elle n'en subira, éventuellement, les premières conséquences que 10 ans à 20 ans plus tard. Pour le moment, elle se laisse même séduire par ces icônes de la gagne[2] qui envahissent alors le petit écran.

Dans l'ombre, sur les cendres des faillites et des restructurations d'entreprises, des empires financiers se constituent en quelques années, là où il y a encore peu cela aurait pris trois générations. Personne ne bronche, pas les médias, encore moins les politiques.

1985. Le chômage atteint les 9%. Coluche crée les Restos du Cœurs. L’opération coup de pouce est prévue pour durer un hiver. Ce sera la première initiative d'une longue série de divertissements caritatifs permettant à l’état de se dégager de ce qui devrait 1 / être sa mission 2 / le couvrir de honte, 3 / révolter le peuple. Là non plus. Rien ne sera remis en cause. La chanson enregistrée pour l'occasion sera numéro un au Top 15 pendant des semaines.

Sur fond de crise sociale continue, le patronat introduit dans le débat le principe de flexibilité comme solution imparable pour remédier au chômage. Les syndicats et la parti communiste ont encore de beaux restes, ce progrès ne passe pas sur le terrain. Malgré la débandade post-30 glorieuses, La France reste attachée à ses acquis sociaux.

En revanche, le principe fait triquer l’électorat favorisé.

Mars 1986 : La droite gagne les élections législatives. Cohabitation, l'initiateur de l'ANPE devient premier ministre. Assouplissement des horaires, fin des autorisations administratives de licenciement, démembrement du statut salarial : Priorité à la compétitivité des entreprises au détriment du travailleur. L’état finance des emplois lance-pierre à durée limitée, à temps partiel, à droits réduits (TUC, CES et autres carambouilles). Ces aides sociales empêchent dans un premier temps le salarié de plonger dans la misère mais renforcent de l'intérieur le dumping social.

Durant la cohabitation, malgré les mesures prises par la droite, le chômage reste à 9%.

1988, Retour aux pleins pouvoirs de François Mitterrand. L’air du temps est à la célébration de la république, des grandes causes, de l'Europe en marche et de la chute d'un communisme définitivement ringardisé par KO technique. Le capitalisme devient l’unique idéologie. Reste à savoir ce que l'on met dedans. En quinze ans, le capitalisme a changé de nature : il est pour une large partie devenu actionnarial. Il ne s'agit plus tant de produire que de dégager toujours plus de marge.

L’actionnaire qui se risquait à contribuer à l'édification de l'entreprise, et en deuxième temps touchait des dividendes, exige désormais une garantie de revenus que l’entreprise ne pourra lui verser qu’en augmentant la productivité, c'est à dire en pressant le salarié tant qu'il est rentable et s'en débarrassant lorsque qu'il le considère comme du poids mort. La machine infernale fonctionne au paradoxe : Les salariés boursicoteurs, via fonds de pension, fonds mutualisés et assurances vie, sont virtuellement les acteurs de l'atomisation progressive de leurs conditions sociales et les fossoyeurs de celles de leurs enfants.

Jusqu’au plus bas de l’échelle, le chacun pour soi se renforce ces années là. L'idéologie patronale est partagée par de plus en plus de salariés : Ils sont une entrave à la bonne conduite du progrès, ils ne font jamais assez bien et, surtout, ils coûtent trop chers. D'autant, qu'à l'autre bout du monde, une main d'œuvre meilleur marché prend la relève. (celle là vous n'avez pas fini d'en entendre parler).

Menaces du chômage de masse et de la délocalisation brandies par le patronat : Économiquement, le salarié a perdu la partie, idéologiquement c’est le maillon faible, psychologiquement, tiraillé entre cette réalité dont il perçoit plus ou moins l'impasse et les discours à base de rêve et de gagne servis en cœur par le patronat et des politiques qui ont respectivement besoin de soldats et d'électeurs, il poursuit une décente aux enfers frisant avec la schizophrénie.

Le service public, tradition et spécificité française, n'est pas encore absorbé par cette force dépressionnaire. La jalousie commence à poindre chez les salariés du privé se sentant lésés et en péril (ce ressentiment n'aura de cesse d'être exploité par les partisans de la réforme). Chez les plus jeunes, on veut désormais devenir fonctionnaire, rare secteur garantissant un emploi pérenne et une rémunération stable.

1992, deuxième cohabitation. Edouard Balladur accroît la flexibilité, l’annualisation du temps de travail et généralise le temps partiel. Des mesures censées aider les petites entreprises et profiter aux salariés mais bénéficiant d'abord aux grandes enseignes et que les employés en bas de l'échelle subissent. Pour eux : C’est le début des emplois du temps pourris et des abus de la part d'un patronat décontracté. La pénibilité du travail fait son retour en toute discrétion médiatique. Balladur rallonge la durée de cotisations et diminue les pensions de retraite. Il tente le CIP (permettant, dans un monde idéal de droite, de payer les jeunes en dessous du SMIC) mais les étudiants font plier le gouvernement (vous noterez qu'ils ne sont pas salariés, détail important).

La philosophie du moment des "anciens" vis à vis de leurs enfants reste mieux vaut un job de merde que pas de boulot suivi du sempiternel faut faire ses preuves auxquels ils croient dur comme fer mais que le nouveau rapport de force ne corrobore pas. Le chômage explose les 10%.

Durant les dernieres années du deuxième septennat de Mitterrand, l'écart s'accentue : une partie de la France du travail a entamé sa grande bascule vers la pauvreté ou / et l’esclavagisme tandis que l’autre vit dans un monde relativement préservé. A la grande surprise des journalistes de l’époque (aussi à la pointe qu'aujourd'hui rapport que ce sont les mêmes), Jacques Chirac axe sa campagne présidentielle sur le thème de la fracture sociale. Il est élu.

1995. Persuadé que la partie est définitivement jouée pour le capital, l'homme à la pomme fait immédiatement l’inverse de ce qu’il avait annoncé. Le plan Juppé prévoyant d'aligner le temps de cotisations des fonctionnaires et les régimes spéciaux selon les critères du privé entraîne une forte mobilisation des fonctionnaires, dernier bastion salarial possédant encore un sentiment d’identité, un fort taux de syndicalisation et une solidarité interprofessionnelle.

Bien que victorieux ce mouvement massif aura une conséquence fâcheuse : l'exacerbation du divorce entre salariés du privé et du public, et l’impression chez chacun d'entre eux qu’il ne faut plus trop espérer grand chose de l'état pour les retraites.

Les esprits se privatisent. Les salariés épousent massivement les argumentaires patronaux. Se substituant à l'augmentation normale des rémunérations, la logique de la prime fait son nid dans les entreprises. Apparaissent des méthodes de management plus musclées (impératifs de vente, objectifs, indice de rentabilité, taux de transformations). Les salariés chanceux se mettent également à penser revenus complémentaires : investissement dans la pierre, assurances vie, investissement en bourse. Le ver de la spéculation est dans le fuit du salarié.

Tandis que la génération Johnny s'enrichit encore plus grâce à la montée de l’immobilier, en silence la partie basse de la classe moyenne (victime de cette montée des prix) se précarise méchamment. Les enseignes discount (mal vues par l’opinion au début des années 90) s’installent dans les régions les plus décimées, loin de l'attention des médias (à l'époque c'est mal vu d'économiser).

En 1997, 50% des chômeurs ne touchent que 600 euros.

Les jeunes, les plus touchés, se cramponnent encore aux grilles d'analyses et aux codes d'évolution de leurs parents. Grâce à une législation ad hoc, ce désir du jeune 3615 kinenveu permet aux entreprises de rester compétitives. Le stagiaire volontaire à salaire de misère, exonéré de charges et tout frais payés par papa, fait le bonheur des petites et des grandes compagnies. Beaucoup lui doivent leur survie. Il faudra attendre une dizaine d'années pour que ce statut soit médiatiquement considéré pour ce qu'il est : De l'exploitation pure et simple de crédules (là aussi notez, le principe va devenir redondant.)

Durant cette décennie du glissement libéral est plus que jamais véhiculée l'idée que seul le travail salarié permet l’épanouissement (consumériste cela va de soit).

1997 : Re-cohabitation avec la gauche. Lionel Jospin fait le pari des 35 heures concédant un peu sur la flexibilité et allégeant les charges.

Le salarié reprend l'avantage. Il va travailler moins et gagner plus. La réforme qui aurait fait hurler de joie 20 ans plus tôt n'est pas vécue comme une avancée, en tous les cas n'est pas marketée en tant que telle, ce qui en dit long sur le niveau d'asservissement libéral des esprits.

Le patronat est furibard et réplique en radicalisant ses positions via une nouvelle formation : Le Medef. On passe des patrons de la vieille époque aux tueurs de la gestion décomplexée du bétail salarié. La philosophie est simple : Il faut bosser tous les jours, les salariés sont des feignants, les chômeurs des parasites. Elle deviendra le mantra de l'opposition.

2000 : Pour la première fois depuis 15 ans le chômage baisse de 10 à 8%. Les grosses entreprises s’arrangent à la perfection des 35 heures que les salariés les mieux payés plébiscitent. Elles auront pourtant un effet pervers : Contribuer à augmenter la pression sur les salariés pour ne pas perdre en compétitivité.

Dans ces années, à la peur commune de ne pas ou ne plus avoir un travail, s'ajoute pour beaucoup le stress d'en avoir un.
Le salarié courbe l'échine. En deux décennies, le travail est passé d'un droit à une religion puis à un Graal pour devenir une peine. Individualisation et consentement au sacrifice au nom de la consommation et de l'endettement : pas étonnant dans ces conditions que le syndicalisme aux directions proche de la baronnie ne passionne pas les foules cathodiques.

La bulle internet craque. C'est le premier gros dérapage du capitalisme financier ne connaissant désormais qu'un impératif : dégager du +15% à l'année. Des sommes monstrueuses sont investis dans des secteurs avec peu d'employés tandis que des entreprises bénéficiaires licencient. Malgré les beaux discours du Medef, en haut (spéculateurs) comme en bas (apparition des travailleurs pauvres) de la pyramide des revenus, l'argent ne semble plus en rapport direct avec l'activité du salarié.

La gauche s’endort sur ses lauriers et déserte le social. Hausse des loyers en partie due à la spéculation des CSP+, chômage des jeunes en pointe, généralisation des emplois précaires et sous-emploi des diplômés : La baisse du niveau de vie d'une génération à l'autre s'accélère ces années là (mais chut, il ne faut pas en parler nous sommes dans un riche et grand pays. La pauvreté n'est pas possible pour nos enfants.)

La génération johnny commence à partir à la retraite au moment où les déficits publics explosent. La vieille génération, idéologiquement et numériquement en position de force, n'a aucune raison de descendre de cette vague positive sur laquelle elle surfe depuis 30 ans. Comme elle dispose déjà d'une bonne partie du pognon, qu'elle vote massivement (alors que les jeunes pas) , sa voix compte double. Sont crées pour elle de nouveaux emplois d'assistance. Hors du travail, la génération des ainés va de plus en plus fortement peser sur la condition salariale des cadets. Ce qui commence à provoquer des tensions, les jeunes étant bien plus savants et diplômés que leurs parents. Logique : Étudier et rêver d'un bon poste grâce à leurs diplômes, lis n'ont que ça à faire depuis des années.

De 2001 à 2002, une succession de chocs (11 septembre, passage à l’euro, réélection rocambolesque de Chirac) bastonne l'opinion. Les prix augmentent pour tout le monde sauf chez les politiques, dans les médias et auprès des analystes financiers qui continuent à promouvoir de l’union européenne aveugle comme dernier renfort à la mondialisation. Tout ce qui ne détruit pas rend plus fort. La crise post-11 septembre acère les ambitions.

La droite (donc Le Medef) est de retour aux commandes : Retour sur les 35 heures, augmentation des heures supplémentaires et diminution de leur rémunération, tentative encore ratée d'instaurer un sous-salariat pour les jeunes. Apparition de la notion en trompe l’œil du travailler plus pour gagner plus. « Il faut s’adapter » est la phrase clef des dominants. Le CDI, ce mode d'exploitation rêvé des salariés, est le modèle cauchemardesque, à annihiler en priorité pour les entreprises.

2004. Le chômage baisse aux alentours de 8% (ce qui tient a des raisons démographiques et au fait que l'on commence à dissimuler les vrais chiffres via une catégorisation restrictive). Les salaires ne décollent pas pour autant.

Les magasins discount se multiplient au grand jour d'internet aux centres villes (faute de tunes, c'est devenu idéologiquement cool de dépenser moins). La baisse des produits high-tech permet de tromper les chiffres de la consommation et la carotte de l'enrichissement via l'acquisition par le crédit immobilier permet de faire passer la grosse et amère pilule de l'appauvrissement et de la pénibilité croissante des conditions de travail (là aussi, constatons l'extension de la logique du capital jusqu'aux strates les plus fragiles de la société). La chasse aux petits prix devient un sport national. Le commerce en ligne (à effectifs réduits à presque zéro donc moins cher) et l'automatisation de certains postes se généralisent (avec effet boomerang désastreux sur les emplois.)

Le salarié fait encore peu la connexion entre la politique gouvernementale, ses modes de consommation et ses conditions de travail. Il ne pense plus qu’en terme de pognon. Le salarié est d'abord un consommateur et la conquête des droits du second prévalent sur la défense de ceux du premier.

En 2006, le pouvoir d'achat devient son obsession
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C'est par cet axe financier et une question sans réponse (du pouvoir d'achat personne n'en a jamais assez) que les neo-cons auxquels La France résistait tant bien que mal depuis un quart de siècle s'emparent démocratiquement du pouvoir, via cet homme qu'on nomme monarque, afin d'entamer la dernière étape de leur libération de classe : La liquidation de l'état providence.

Les médias, le monde de l'entreprise et toutes les assemblées à ses pieds, le monarque dispose d'une fenêtre de tir exceptionnelle. Il a les coudées franches pour fondre le pays dans une pure logique d'entreprise.

Via un cocktail de mesures incitatives, législatives sous un martèlement idéologique continu, les droits du salarié doivent être dissous tandis que les avantages des rentiers et des entreprises eux s'accumuleront sans justificatifs de retour.

Pensant à raison la résistance du salarié quasi nulle après vingt ans de liquéfaction de sa capacité analytique par brossage bancaire dans le sens du poil de son désir d'embourgeoisement, société du spectacle (et du contre-feu) en 24/24, le tout couplé à une terreur continue du chômage allant des jeunes jusqu'aux quinquas (se retrouvant au passage en compétition), le gouvernement n'a plus qu'à brasser désirs, peurs et rêves pour se jouer du travailleur-esclavo-consommateur.

2008-2009. La crise financière puis économique casse les mythes de croissance éternelle (nécessaire pour tenir la baraque aux illusions). Le système financier passe à deux doigts de l'effondrement. Tandis que l’économie réelle s’enlise dans la récession pour certains pays, décolle poussivement pour d’autres et que tous s’enfoncent dans un chômage aux proportions cataclysmiques, se met en place un ordre encore plus violent et inégalitaire qu’avant.

Plus endetté que jamais et sous la pression des institutions financières qu'il a contribué à sauver ne révisant aucunement son logiciel néo-libéral et favorisant la solidarité de classe avec les riches, l'état (des riches), pour cause de dette publique intolérable, coupe progressivement les dépenses, fusionne les services, supprime des postes de fonctionnaires, démantèle plus ou moins discrètement le service public. Autant de biens qui donnaient à La France, et donc aux salariés, cette identité sociale qui leurs permettaient d'être moins impactés que d'autres par la crise.

Pour le salarié domestiqué , les aménagements et les francs coups de boutoir s'accumulent dans un relatif silence médiatique essentiellement du à l'écume quotidienne des polémiques pipolo-présidentielles : "rupture conventionnelle" du CDI, heures TEPA, RSA, statut d'auto-entrepreneur, taxation des indemnités des accidentés du travail, travail le dimanche pas partout mais presque quand même et une foultitude d'autres mesures du même acabit souvent plus idéologiques qu'économiquement pertinentes (les moyens justifiant ici la fin) convergeant dans ce seul but : La modelage d'un code du travail au bénéfice exclusif des possédants.

Pour le mauvais chômeur, c'est plus que jamais la faute à pas de chance : Il est toujours considéré avec aussi peu d'égards par son gouvernement et la génération Johnny. On lui fusionne l'ANPE avec les Assedics. S'en suit un chaos dans les versements de ses indemnités qu'il doit gérer en appelant un numéro surtaxé (rien ne se perd, tout se récupère). Le monarque court à grandes enjambées vers son modèle anglo-saxon : Le tiers-monde s'installe dans les villes (mais ça on ne vous le montrait jamais dans les séries américaines).

Pas grave, c'est le prix de la modernité. Et puis... loin du cœur, loin des yeux.


2009 : Le taux de chômage dépasse les 9% de la population active (2.5 millions). En cumulant les diverses catégories : on atteint plus de 4 millions. 1 jeune sur 4 est sans emploi.

En haut de la pyramide, malgré quelques inquiétudes passagères, ça se gave toujours, voire plus. La prochaine étape est la vidange intégrale des derniers revenus des pauvres.

Côté salarié : 10% des actifs (près de 2 millions de travailleurs) vivent sous le seuil de pauvreté. Certains sautent littéralement par les fenêtres, les réductions et fusions de postes progressent autant que les rémunérations stagnent ou régressent. Le travail signifie désormais beaucoup de choses : dépassement de soi, stress, terreur, pauvreté, peur, mort... mais clairement plus bonheur, sécurité, famille, enrichissement et tranquillité.

2010 : Dans une économie atone, le salarié devient le dernier des dindons. Pas assez payé de son point de vue, trop cher du point de vue de sa direction : son business plan va dans le mur. Les salariés considérés depuis trente ans comme une charge sont ouvertement une gêne. Et pis ailleurs, il coute moins cher. Ce système atteint sa limite comptable mais, au sommet comme à la base, par peur ou par profit, personne n'est disposé à en changer. Si l'on ne paye plus les salariés et que ceux-ci disparaissent, qui va acheter les produits ?

Et bien d'autres salariés-consommateurs, ailleurs, le temps que, animés des mêmes rêves, ils s'enrichissent tandis qu'ici ils s'appauvrissent.

La survie du salarié ici bas ne dépend donc pas de sa faculté d'adaptation (on voit où cette adaptation l'a mené) mais bien de sa capacité de rébellion. Problème : Il ne semble pas, lui non plus, avoir réajusté sa grille de lecture et d'ambitions, et poursuit pour le moment sa collaboration passive.

Ce qui nous ramène au constat de la note conjoncture de l'association Entreprise et Personnel : Rien ne va bouger et à la conclusion implicite de challenges : OK alors on continue comme avant. Continuer en langage libéral veut dire accélérer.

Sur le champ de la bataille du travail, les bas revenus endoctrinés, petits couples à salaires serrés et conditions de travail stressantes, propriétaires et endettés, sont la chair à canon de ce Verdun du pognon. Qu'ils le sachent : d'une façon ou d'une autre, les hostilités ne s'arrêteront que faute de participants.

Dans ce survol des années de baise :

- Constatons que, dans l'étau des choses, salariés et chômeurs forme un couple à la vie à la mort, que, crise ou pas, ce lien se renforce avec les années.

- Constatons que le travailleur et le chômeur sont trahis depuis quarante ans mais restent tiraillés entre le legs idéologique et social d'un passé prospère (relayé par une génération qui en a bien croqué et domine encore le discours) et le rêve américain (largement irréel) d'un épanouissement personnel à portée de consommation, à condition d'être courageux au turbin. Deux visions contredites par leur réalité : Les acquis sont mis en kit, le courage au travail n'est pas récompensé, les médiocres sont promus, les moins malléables sont saqués et de richesses ce système ne leur en fait que perdre. Ils deviennent des rebuts (jugés en tant que tels même par eux puisque la vision commune de la valeur humaine liée à l'accumulation de biens et au travail salarié n'a pas évolué) : chômeurs, sur-endettés, déprimés dont le destin est d'être planqués sous le tapis (en attendant pire) par leurs élus.

- Constatons que, à quelques rares exceptions, ces élus ont globalement accompagné, parfois dégagé le terrain à cette dynamique du chômage de masse. L'autre partie de l'effort gouvernemental consistant aujourd'hui à camoufler ce retour au moyen-âge social en agitant de la modernité, du poids de la dette et des réformes à faire parce qu'elles sont faites ailleurs. Alors qu'ailleurs, c'est encore pire.

Devant l'échec répété de ce modèle (avec ondes de chocs de plus en plus rudes), face aux inégalités, au malheur et la violence qu'il favorise et puisque l'état crée la monnaie, que la monnaie dirige le monde, il serait peut-être temps de revoir nos modes de fonctionnement et de changer de poste d'observation.

Hypothèse : Dissocier, en partie, l'argent et le travail. Pourquoi, ne toucherions-nous pas, tous, salariés ou non, un revenu minimum garanti par l'état, nous permettant de nous nourrir, de moins stresser pour nous loger, de nous soigner et de s'instruire correctement ? Une fois ce revenu de vie en poche : Que ceux qui veulent gagner plus travaillent plus.

Nous basant sur l'histoire d'une humanité plutôt volontaire de ce point de vue, parions sans risque que nous serons majoritaires à faire ce choix mais que, dans ces conditions plus apaisantes, la concurrence sera moins rude.

Dissocier le travail et l'argent et décomplexer le rapport à l'inactivité, les plus riches de ce monde l'ont compris à titre personnel depuis bien longtemps[3] !


[1] Thatcher tombera en 1990 allant trop loin dans sa logique, Thatcher tombera principalement à cause de la poll tax véritable impôt sur la pauvreté.

[2] Bernard Tapie, est célébré pour sa sensationnelle réussite est le plus camelot d'entre eux. Vautours de ces périodes, ils ont racheté à la casse avec les subsides de l’état des entreprises en difficulté, licenciés massivement et revendus les entreprises ainsi "optimisées" pour ne garder que la crème des marques.

[3] Parions même que cette philosophie s'est particulièrement développée chez eux durant la période exposée.

* * *

Illustration : Jean-Michel Folon, affiche du film F comme Fairbanks de Maurice Dugowson (1976) avec Patrick Dewaere (à voir en complément de cet article)

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