31 mars 2020

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#confinement jour 18

J’ai pourtant une bonne endurance dans le domaine, adolescent j’ai passé des étés entièrement seul dans une grande bâtisse loin de tout, j’ai expérimenté les joies de la retraite isolée dans un coin paumé les deux premières années de ma trentaine, j’évite le plus souvent les rassemblements de plus de trois personnes et je ne parle pas de la majeure partie de mes journées des deux dernières décennies qui ressemblent à s’y méprendre, quelques sorties pour courir en moins, à cette période de confinement. Mais ici tout à une autre saveur : celle de l’attestation, de la dérogation, de l’autorisation, du flicage, de la peur, la peur  des autres et celle construite heure après heure jour après jour en nous par nous.

Ce rythme réduit de trois jours de garde alternée est salvateur. J’ai sous-estimé la dureté de vivre, en continu avec ses enfants. Je dis "enfants", je pourrais écrire femme, homme, ami, parent n’importe quel individu. La solitude de groupe imposé est un châtiment subtil. L’enfer c’est les autres Jean-Paul a dit. Toute relation à proximité permanente d’un être pourtant adoré atteindra inévitablement un niveau d’insupportabilité. 

Au-delà du virus, cette période aura des dégâts psychologiques sur nous tous, on n’a pas fini de payer notre aveuglement. Les effets secondaires sur l’économie et notre psychisme causeront bien plus de morts que la maladie elle-même, c’est écrit mais c’est moins vendeur. A partir de combien de morts estime-t-on envisageable de ne pas se massacrer intimement de la sorte ? D’autant qu’à l’issue de la période de confinement (lointaine issue), on évoque une possibilité de prolongement « à la carte » après les tests personnalisés (encore plus lointaine issue). Certains auront des semaines de rab’ en stade aménagé ou hôtel particulier en guise de vacances, avec option mort par asphyxie.

Le temps est néanmoins parfait pour rester confiné. Soleil pour la bonne humeur et fraicheur pour décourager d’aller à l’extérieur. Depuis la chaise longue, j’observe les allers et venus de moins en moins fréquents dans le quartier. Peu ou plus d’enfants, ou alors en bas âge. Où sont les adolescents ? Enfermés depuis des jours ? Quel carnage ! Je fixe une bonne demi heure, hypnotisé, ce toit en tôles. Je sors par bribes de ma transe en BTP grâce aux claquements métalliques et aléatoires d’une barrière en fer sous la bise. Je reste là,  inconfortablement bercé par les frottements rêches des papiers gras qui tourbillonnent sur le pavé. La capitale appartient aux canards et aux papiers gras. L’astre de feu range sa superbe derrière les barres d'immeubles. Les ombres s’allongent et s’évanouissent dans le gris. La fin du jour dissous les échos déjà lointains d’un résidu d'agitation honteuse. Il n’y a plus de légèreté. J'ai un peu froid. La dix huitième journée s’achève. Le confinement va recommencer.



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