Ils étaient à la mode en 2007. Et même en 2005, quand les Français étaient pour le "non" au référendum sur le traité européen, les éditocrates, eux, sont restés, jusqu'à la dernière ligne droite, incontournables et VRP du oui.
Aujourd'hui, les éditocrates seraient plus alternatifs. Les commentateurs, éditorialistes et rédac'chef ne jurent plus que par les "plateaux de télévision et de radio" (le nouveau format du café du commerce, mais version club privilège), multipliant les tribunes sur tout et n'importe quoi, du halal à l'autolib. Entre toutes ces apparitions médiatiques à ressasser du matin au soir les mêmes analyses, c'est à se demander quand ils trouvent le temps d'écrire dans les journaux dont ils sont les colonnes publicitaires ?
En 2012, la TNT a démultiplié la surface d'exposition de l'éditocratie. La TNT est un outil adéquat pour une campagne, explique Christophe Barbier, membre du comité de l'écharpe rouge omnisciente:
"En 2007, il y avait un espace médiatique vacant sur la TNT, on y a donc vu l'émergence de quelques journalistes ou chroniqueurs politiques dits influents. Depuis, le format de l'éditocrate monosupport est obsolescent."
Des éditocrates dépassés par les super éditocrates.
Au moment des élections de 2007, Eric Zemmour ne comptait qu'une poignée de chroniques en France. Aujourd'hui, le mal aimé en fait 372 par an et dispose de sa propre émission. De l'autre côté, aussi bien l'explosion de la parlotte radio entre gueux comme de la causerie télévisée pour l'aristocratie de l'opinion change tout.
Alain Duhamel, alias Alain Duhamel, éditocrate depuis 1970 et auteur de Mais pourquoi vous quittez le plateau Monsieur Clavel? Je vous jure qu'on n'a pas censuré votre reportage, ed.ORTF, estime que les éditocrates multi-médias lui font concurrence:
"Les chaines TNT ont démocratisé ce que je faisais, à savoir de l'éditorial bien lié: porter aux spectateurs quelque chose de mou, soporifique et en même temps conforme à ce qu'attend de moi le pouvoir. Aujourd'hui, avec les chaines d'information continue et la libre antenne, on le fait de manière beaucoup plus fréquente, répétitive et donc efficace."
Vers la "guérilla du matraquage" ?
La fin de l'éditocrate monosupport correspond à un changement de la soumission éditoriale dans les médias qui deviennent plus rapide, plus réactifs, mais aussi (sous un prétendu "politiquement incorrect" mais toujours de droite et un simili "débat contradictoire" entre gars du même avis) bien plus lisses. Eric Brunet, un des journalistes "en vue" depuis 2007 (et éminent membre de l'AS, Amicale Sarkozyste, honteusement sous représentée dans le débat politique depuis 5 ans):
"La télé et la radio ne véhiculent pas nécessairement une information, mais permettent l'émergence d'un système de trolling sans fin et de matraquage, bref de conditionnement, de resserrement du débat entre deux options préalablement définies par nos soins. Avec la répétition du procédé (en se gardant bien de poser une seule question sur Karachi ou Bettencourt si l'on a le président en face de soit durant 3 heures), mathématiquement cela génère de l'ennui, de la démobilisation. Et la démobilisation au moment des élections, c'est essentiel pour celui qui veut garder le pouvoir et ne rien changer. Parler des thématiques qui intéressent les Français à la télé ou à la radio, ça servirait à quelque chose, et là je dis danger. De plus, ennuyer les spectateurs avec nos interminables débats politiques bidons et nos questions qui ne passionnent personne nous offre un sujet de tribune supplémentaire où nous livrons nos savantes conclusions sur le "pourquoi que les Français y trouvent la campagne ennuyeuse?" Pas bête hein?"
(Il arrive à l'éditocrate d'avoir un regret quant au manque d'ambition du peuple.)
Pour Jean-Michel Aphatie, animateur du think tank Todd est un con, l'avancée du débat politique n'est pas adaptée à la nécessaire superficialité qu'impose le traitement télé-radio pour les trépanés:
"D'un point de vue formel, éclairer en plateau télé les citoyens sur les enjeux clés de leur présent ou de leur futur proche, ou de celui de leurs enfants, c'est fadasse. Et pire, les annonceurs ne sont pas contents. Parler réquisition des logements vides sur Canal Bouygues ou débattre de l'éducation pour tous entre deux jingles Acadomia, c'est pas top pour le temps de cerveau disponible."
(Un commentaire éclairé sur la prestation présidentielle du 31/01, dont on constate avec le recul le pouvoir de réenchantement et la connexion avec l'opinion.)
2012. Le web a fini par arriver dans les médias.
A partir de 2007, de nombreux médias ont commencé à loucher sur Internet et nombre d'émissions de récupération à prix cassé de contenus ont été lancées. Les journalistes se sont intéressés aux blogueurs, aux réseaux sociaux et à la parole citoyenne (tellement plus économique pour la compta). Le "participatif" sélectionné, casté, retaillé, moqué parfois, est même devenu une habitude sur les ondes. Qui n'a pas désormais son observateur de la parole du web pour donner aux analystes nécrosés dans leur jurassique glose depuis trois décennies une touche du geek cool ? Dans les années 80, on foutait des filles aux seins nus partout à la télé, maintenant on met des experts du web.
Des médias, en fait, de plus en plus étanches et bien verrouillés.
Eric Mettout, cofondateur de PolitiqueSalarialePourLesBlogueursNiet :
"En 2007, les blogs s'appuyaient sur les médias pour leur apprendre la vie. Mais il y a eu un gros travail de remédiation chez les blogueurs (enfin pas chez tous) qui sont désormais informés, compétents et ont bien capté la supercherie. Du coup, bien con est le blogueur encore persuadé qu'il sera un jour considéré comme un professionnel, producteur d'analyse pertinente. Pourquoi ? Car il n'est pas payé. A la différence du nouvel éditocrate qui, lui, coûte de plus en plus cher rapport qu'il passe à la télé du matin au soir. T'as compris l'astuche? Le blogueur n'est pas payé parce qu'il n'est pas pro, et il ne sera jamais pro parce qu'il n'est pas payé! Et pourtant, pas un billet de blog avec un peu d'originalité ou un buzz provenant du net qui n'est pas repris sous le même angle ou usé jusqu'à la corde dans les médias."
(...tandis que dans les salons de l'Elysée, le journalisme d'investigation retrouve ses lettres de noblesse)
Les médias sont devenus participatifs.
Avant 2007, difficile pour le spectateur lambda d'accéder directement aux blogs. Entre-temps, presque tous les blogs se sont vus proposer des contributions extérieures et non rémunérées, "même qu'on a lancé tranquille des sites dont le business model est entièrement basé là-dessus, hi hi", rappelle Frédéric Taddéi.
"En 2007, internet on n'en avait rien à péter. Aujourd'hui c'est pareil, sauf qu'on a enfin compris comment en faire du blé." Précise Anne Sinclair.
Pour Seb Musset, auteur de ces lignes et expert en lui-même, l'éditocrate, le buzz et la "libre antenne" ont cannibalisé les médias traditionnels et le travail de journaliste:
"En 2007, les journalistes avaient encore le monopole du journalisme sur l'information ; puis ils ont “tué” cet espace en acceptant d'héberger la parole du profane, de l'internaute, bref de l'inculte. Le journaliste expert a disparu, sa parole est assommée par l'éditocratie du haut, noyée par le bas sous les torrents d'expression du tiers-état ou pire encore, par le blogueur en servage qui se prend pour Sainte-Beuve dès qu'il voit son billet charcuté et republié."
"L'éditocrate n'est plus une espèce alternative"
A l'instar d'un débat politique télévisé mené par un Pujadas ou Calvi, c'est une image sombre des médias qui se dessine: les éditocrates multisupports occupent toute la place, et la pensée alternative a du mal à se faire entendre.
Les éditocrates traditionnels reprennent la main sous une autre forme.
Les grands médias se sont remis à vivre au rythme des polémiques pourrites et des non-sujets décrétés grandes causes nationales par le candidat-président:
"En 2012, la parole de l'éditocrate est le bras armé de l'agenda de l'homme politique. Les “prime time” [rassemblement de spectateurs, ndlr.] à journalistes en caoutchouc se font en parallèle sur huit chaines à la fois: pour être sur d'être entendu plus que pour la construction d'idées." Rajoute Musset
Il estime que pour capter l'intérêt des électeurs, les éditocrates et les médias traditionnels, qu'ils soient proches du pouvoir ou/et à la recherche de la petite phrase ou du scoop sur les alliances de second tour six mois avant le premier, ne sont pas forcément les mieux calibrés pour le débat:
"Malgré l'explosion des plateformes, l'écosystème des "sachants" et des "manants" s'est reconstruit, les blogueurs sont toujours aussi fauchés tandis que l'éditocrate se fait du 2 SMIC par semaine. L'alternative dans les médias existe toujours, mais elle est reléguée de manière plus profonde, sur abonnement, dans quelques kiosques interlopes ou en troisième partie de soirée. Pour être informé sur l'actualité du moment, autant relire un vieux Placid et Muzo. Ce sera toujours plus efficace que du Franz-Olivier Giesbert."
Vers une privatisation de l'opinion ?
On pourrait penser que l'explosion des chaînes et des journaux pourrait faciliter le débat politique, mais c'est loin d'être évident :
"On a assisté à la disparition de la figure visible de l'éditorialiste à papa, avec sa chronique hebdo. Place aux jeunes vieux. Plus que jamais déconnecté, mais au bord de l'érection dès qu'il est dans la cour de l'Elysée, le nouvel éditocrate est désormais fier de lui lorsqu'il il laisse passer des "off" du président (qu'il croit sincèrement accidentels) auprès de millions de spectateurs. Il est l'attaché de presse des puissants, se lovant dans leurs dispositifs idéologiques et rhétoriques, sans même que l'on n'ait à le forcer tant il a intégré que l'ordre de sa fiche de paye et donc du monde de l'autre côté de l'écran vont ainsi. Il y a une pulvérisation en règle de toute parole non conforme. Auparavant, il y avait une confrontation plus forte entre le chroniqueur pauvre et le chroniqueur riche; maintenant, il y a une fluidité moins forte du débat: les deux sont riches et vont se taper la cloche ensemble après la représentation. Mais le spectacle n'est jamais vraiment fini: il est aussi rediffusé toute la nuit."
RIP, l'éditocrate: le super éditocrate l'a remplacé.
* * *
NB : ce billet, publié sur le HuffingPouf, est une variation basée sur un article de Martin Urtensinger: RIP. Le blog politique en état de mort clinique publié sur Rue 89 (racheté par le nouvel observateur, ndlr)
5 comments:
Bien analysé avec une dose adéquate d'ironie. Juste peu long, cependant.
Je crois qu'il aurait été nécessaire de recadrer l'analyse vers des effets de structure plus mis en avant.
Le PAF se concentre toujours plus capitalistiquement, semble-t-il. Les chaînes de la TNT sont propriétés, par deux ou par trois, de groupes financiers et/ou multimédias. L'éditorialiste, le super éditorialiste, le multicartes et l'amateur sont sinon définis, du moins englués dans cette prison d'intérêts capitaux - aux deux sens du terme - qui génèrent des valeurs, des stratégies et des hommes politiques ou de médias pour les mettre en modes et en controverses soigneusement dévitalisées ou hystérisées, selon l'effet que l'on veut communiquer, propager.
Les marques de Lagardère commençant par "C", sont l'incarnation de ce que l'auteur à disséqué et de ce qu'ajoute là sur les effets de structure "structurants"...
Ah d'accord, c'est donc grâce à sa pertinence en quatrième de couv de Placid et Muzo que Rioufol a eu ses entrées plateau ? (vomi dessert)
Tout s'explique.
T/out simplement bravo!!!!!excellente analyse !!!!!Nanougk33
Les médias sont plus nombrilistes que jamais.Ils falsifient le présent et se taisent sur le patronnat et les syndicalismes de connivence.Mais ils adorentdire equi se passera demaim. C'est la sevilité dans la censure dans le mensonge! Ce n'est pour moi que la prêtaille servile et puissante de nombreux monsignori, prebentiers du système. Mais, des qu'une star médiatique se présente à une élection un peu sérieuse, le peuple des manants lui répond -Merde-
Billet pertinent. Comme toujours. Continuez les Séb. ;)
http://www.politis.fr/La-Clinique-De-La-Foret-Noire,17478.html
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