Sur les plateaux de télévision, la gauche qui gagne des élections, c'est toujours un peu une anomalie teintée de frissons et d'incompréhension. Pourtant, le PAF devrait s'y faire depuis 2008.
("- Mortels de France, vous êtes si risibles. Mouhahaha !")
Allez zou! Ne perdons pas temps dans le recalibrage de tes espérances. On part sur les chapeaux de roues avec François Lenglet :
"- Si on veut tenir les objectifs de Bruxelles, et bien il va falloir couper dans les dépenses publiques, soit retarder dans les promesses". Bien sûr, tu auras compris que, malgré les apparences et tes capacités intellectuelles limitées d'électeur socialiste, Lenglet ne s'adresse pas aux politiques.... mais bien à toi le naïf, le lâche, le feignant, bref le français.
( "- En vérité, je vous le dis : nous allons tous mourir !
- Oui, mais nos téléspectateurs veulent savoir. Qui va mourir en premier ?")
Quant à la victoire de Hollande, Eric Israelevitch souligne un détail fâcheux : "- Il a un problème c'est qu'il est socialiste et que les principaux dirigeants de la zone euro sont des conservateurs". L'Europe se limitant bien sûr à l'Allemagne, le pays du "verboten" où il n'y a d'ailleurs pas non plus d'élection l'année prochaine avec une Merkel risquant de se faire botter .
"- Est-ce que cette victoire du PS n'est pas à double tranchant, parce que de fait, en ayant les pleins pouvoirs, ils sont les seuls responsables de ce qui va arriver ?" [comprends que l'on s'offre probablement de meilleures conditions pour appliquer une politique socialiste, en partageant le pouvoir avec la droite. Je t'ai dit, ce soir c'est pédagogue à mort.]
FOG, nuancé comme un coup de fil de Morano, redéfinit le cadre du débat au cas où, au bout de 5 minutes de bourre-crane à la sauce rigueur, on l'aurait oublié:
"- C'est un problème cette victoire [...] c'est un plébiscite pour François Hollande" [Même s'il fait tout depuis le 6 mai, pour lécher les pompes du nouveau président on comprend que, fondamentalement, toute cette gauche au pouvoir gène un peu au niveau bancaire le chef du Point] "- Y'a un risque de Montgolfie [Et dans le domaine, FOG est de précieux conseil] "Le problème c'est qu'on ne peut pas attendre. [...] Donc, il faut prendre maintenant toutes ces mesures qui n'ont jamais été annoncées [...] Je suis inquiet de ce résultat parce qu'une victoire aussi nette ne donne pas des idées claires."
("- Quoi des élections ! Où ça des élections ? Tu me cherches ?")
Résumons les bases du Fogisme pour ceux qui auraient été absents les 30 dernières années: " 'sont aveugles les Français qui votent à gauche. Mais c'est pas grave, parce qu'être à gauche de nos jours, c'est impossible. Je ne cesse pourtant de leur rappeler, mais ils ne m'écoutent pas. En plus, Hollande va croire que les Français ont voté pour ses idées alors qu'ils ont voté pour lui. Mais Hollande, en plus d'être socialiste, est français donc doublement aveugle. CQFD"
Tandis que chacun en plateau rend hommage à la couverture de The Economist sur la France dans le déni, le duplex à Athènes nous rapporte les premiers mots du vainqueur de droite de la soirée aux élections hellènes, Antonis Samaras: "ce vote est en faveur de la zone euro".
Et FOG, émoustillé, d'embrayer aussi sec : "- Le problème des socialistes c'est qu'ils sont dans deux dénis".
1er déni selon FOG : on ne peut pas augmenter les impôts "qui ne vont pas donner grand chose, donc il faut réduire les dépenses" [En décodé : touchez pas à mon pognon, mais mangez plutôt votre main]. "2e déni : On fait croire que c'est à l’Allemagne de changer de politique, c'est une insulte aux français". Peuple ou économie personnelle, FOG est intransigeant, refusant que ce soit ceux qui ont de l'argent qui payent, se découvrant une soudaine âme teutone, histoire de se protéger fiscalement. Pour notre "expert" a deux doigts d'aller éditocrater sur la ZDF (ce qui nous ferait des vacances) : seuls les pauvres et les déjà endettés doivent payer. On saluera son réalisme comptable dans le domaine de la sauvegarde de la rente et des inégalités, mais l'on se demande la pertinence de l'inviter systématiquement sur un plateau pour parler à des spectateurs qui ne sont, à 99,9%, pas de sa classe sociale.
Du déni à l'austérité obligée il n'y a qu'un pont que l'éditorialiste de The economist se dépêche de franchir en brasse papillon sous les regards subjugués des apôtres du masochisme économique pour les autres:
SOPHIE PEDDER
"- Je pense que les Français n'ont pas été préparés pour les décisions qui vont être très difficiles. [...] les français ne sont pas vraiment pas prêts pour des décisions qui vont être dures, difficiles, douloureuses, et on voit un élément d’austérité qui va s’imposer aux Français alors que les Français n'ont pas élu un président pour leur imposer des mesures d’austérité"...
The economist, rappel.
Vous avez compris "les Français" : non seulement vous votez mal, mais vous coûtez trop cher. Heureusement que la réalité va se charger de vous remettre dans le droit chemin.
(" - Je constate avec plaisir que la parité est respectée. Tous les sexes du libéralisme sont représentés sur ce plateau. La vérité, ça fait plaisir à voir une telle harmonie sans contradiction")
Et Pujadas de se tourner vers Bernard Maris "qui fait toujours entendre une petite musique différente" [comprendre : c'est la seule personne un peu de gauche sur le plateau]
DAVID PUJADAS
"- Est-ce qu'il faut s'attendre à se serrer la ceinture ?"
BERNARD MARIS
"- Est-ce qu'on peut dire aux Français que tous les pays viennent de payer leur croissance à crédit par une grosse baisse du pouvoir d'achat ? ... Ma réponse est non." L'économiste rappelle que les Allemands sont les principaux bénéficiaires de la zone euro. Ce à quoi j'ajoute, qu'ils vont au-devant d'un problème démographique majeur (dans un pays baignant tellement dans l'opulence et de bonheur qu'il ne fait plus un seul enfant) et qu'ils seraient les premiers perdants d'un éclatement de la zone euro.
Crash system.
Tant de germanophobie c'en est trop ! FOG sort son fouet et sa planche à clous :
(" - Merci Bernard. On t'invite et tu casses l'ambiance avec ton optimisme à la con ! Et ne m'appelle plus jamais Franz !")
15 minutes. La fin du débat approche. Allons à l'essentiel:
ELISE LUCET
"- Les mesures d’austérité sont-elles inéluctables ?"
FRANÇOIS LENGLET
"- Ça parait quand même très, très, très probable"
L'émission gagne en intensité, nous cernons le coeur nucléaire du problème, l’effort pédagogique post-électoral de France 2 va porter ses fruits :
DAVID PUJADAS
"- Les Français sont-ils prêts a accepter une baisse de pouvoir d'achat ?"
FRANÇOIS LENGLET
"- Ils n'y ont pas été préparés par la campagne électorale.... Pour autant, nécessité fait loi." [Décidément, ce Lenglet est plein de ressources lexicales. Après le "très, très, très probable" notons cette autre variante du "il n'y a pas d'alternative"]. Il va falloir faire des économies." [Nous rappelons toutefois à François Lenglet que, malgré les apparences, les Français n'ont pas voté pour lui].
("- Voyez comme c'est simple. L'économie est une science exacte.")
DAVID PUJADAS trépigne d'impatience à l'idée que les socialistes trahissent, évoquant "le tournant de la rigueur" en 1983 :
"- Est-ce qu'il y aura un tournant économique et donc politique ?"
FRANÇOIS LENGLET
"- Sans doute. La longue campagne se termine ce soir. Demain c'est le retour à la réalité. [...] Les attentes des Français ne sont finalement pas démesurées, tout le monde comprend bien la réalité de la situation. Il faut simplement trouver la trajectoire."
Jean-François Khan, sortant de sa sieste, rappelle à juste titre qu'en Grèce et en Espagne, l'austérité coûte plus qu'elle ne rapporte. Personne ne semble avoir entendu. Hop. Retour à la parole divine de Bruxelles, rendue difficile à contredire par la liaison satellite, et en même temps il n'y a personne de présent ce soir pour la contredire.
DAVID PUJADAS
"- A quoi on s'attend finalement à Bruxelles lorsqu'on voit la France et les élections, sur la politique à venir ?"
NOTRE HOMME A BRUXELLES
"- ... On a un peu le sentiment que La France se considère comme une île assez déconnectée des réalités économiques qu'il y a un peu partout dans l’Europe et dans le monde. Parce que si vous regardez tous les grands pays qui nous entourent ils ont tous fait des plans d’économie qu'en France on n'a pas fait. [...] On n'est pas forcé de dire austérité ce sont des mots qui fâchent...[par contre "déni" et "réalité", on peut y aller gaiement] Vu de Bruxelles, on montre du doigt que la France a un énorme problème de compétitivité." [comprendre, on donne encore des salaires à des travailleurs idéalistes, qui, en plus de voter, ont des protections sociales]
Tel un
Olivier Dassault, magnanime fils d'héritier multi-millardaire et au passage élu député, qui nous parle défense des classes moyennes dans le dernier
Valeurs Actuelles, FOG relativise:
"- C'est pour ça que je crois qu'il y aura forcement un tournant ... Il faut préparer l'opinion, pour l'instant elle a pas été préparée."
A ce stade, une seule chose est sûre: Franz-Olivier Giesbert n'est pas préparé à payer plus d’impôts.
SOPHIE PEDDER passe la 16e couche
"- ...La France ce n'est pas une question d'austérité ou de rigueur, c'est une question de compétitivité. Les entreprises françaises n'ont jamais eu des marges aussi petites depuis longtemps. ... Et là il y a des efforts à faire, en terme de souplesse de marché du travail ou la concurrence dans certains secteurs. [...] ce sera difficile pour les Français car il n'y aura pas de choix."
Bon, on fera l'impasse sur les 172 milliards de niches fiscales dont ont bénéficié les entreprises sous le régime Sarkozy, dont 65 milliards rien qu'en réductions d’impôt sur les sociétés, pas plus que nous n'évoquerons la productivité horaire des Français parmi les plus élevées du monde.
Pas le temps c'est fini, on remballe. On aura prononcé 40 fois en 20 minutes, les mots "déni", "réalité" et "compétitivité", dans l'attente des couches suivantes qui seront repassées, par les mêmes, dés l'aube sur les diverses radios puis chez Calvi.
("- Je crois que nous serons tous d'accord ici pour affirmer que les Français ont voté avec leurs pieds et qu'ils vont le payer très cher.")
Petite question que Pujadas aurait néanmoins moins pu poser à son aréopage ampoulé d'experts autorisés prenant leurs désirs économiques pour une réalité, et le peuple pour une incongruité:
"- Si je vous écoute : En dépit de toute la propagande que vous activez depuis des mois d'un plateau à l'autre, la gauche a aujourd'hui tous les pouvoirs. Mais peu importe pour vous, la droite a au fond gagné. N'est-ce pas vous qui, en plus d'un manque flagrant de compétitivité, êtes dans un déni total de la réalité ?"
(merci @zgur_ pour l'illustration)