Chaque soir entre la page de pub et la météo, le psychodrame de la dette déroule son feuilleton. Il faut "impliquer" les peuples et les faire plier aux diktats de la finance dans la dernière ligne droite vers le mur. C'est le sujet sur lequel nous devons trembler.
Tandis que la colère en réponse à l'austérité, présente ou promise, s'intensifie un peu partout en Europe (c'est encore timide rapporté à la gigantesque farce dont les peuples sont les dindons), une poignée de super riches entendent le bruit des tronçonneuses abattant au loin les arbres qui serviront à bâtir les bûchers. Certains savent bien que les limites comptables d'un système absurde sont défoncées et que pour le capitalisme aussi ça sent le sapin.
Donc, les déclarations de multi-millionnaires et milliardaires désireux de "donner plus" à l’Etat commencent à poindre. Notons tout de même que certaines des déclarations des néo-samaritains de la dernière chance, comme celles de Maurice Levy ou Charles Beigbeider, conditionnent leur altruisme soudain à la réduction de nos dépenses (comprendre une miette en moins pour eux = un pain dans la gueule pour nous). Comme si, même au bord du gouffre, il ne fallait pas perdre pas la notion de classe et la foi en des jours de libéralisme meilleur.
La bonne fortune n'arrivant jamais seule : Au même moment, la garde rapprochée du Monarque laisse fortement entendre son souhait de créer une taxe exceptionnelle de 1% à 2% sur les très hauts revenus. Note le chiffre et la fréquence : « 1% » et « exceptionnel », là où, à ces niveaux de fortune, la rationalité commanderait d'avoir du 70% minimum depuis 30 ans.
Cette montée médiatique de générosité (incantatoire pour le moment) de types passant pour les sauveurs d’une situation dont certains tiraient jusque-là profit comme personne, ne sert-elle tout simplement pas d'anesthésiant pour la tonte des
classes moyennes et populaires qui se trame au tournant de la rigueur ?
Laissons les méga thunés de côté et donnons-leur le bénéfice du doute. Intéressons-nous maintenant à la classe moyenne supérieure, à mi-chemin entre les riches et les classes moyennes (elle cherche à coller aux premiers, mais en cas d'attaque sur son train de vie elle se range dans la sécurisante catégorie des seconds). Bien plus abondante que les super riches et, comme eux, la catégorie s'est mécaniquement enrichie avec la baisse de la fiscalité. Dernier exemple en date, le relèvement du seuil de l’impôt sur la fortune (essentiellement pour compenser la montée de la valeur du patrimoine immobilier). Les cinq dernières années, lui ont pas mal profité. Multipropriétaire,
rentière, confortablement retraitée mais souhaitant supprimer la retraite à des
enfants que par ailleurs elle ne se gêne pas pour escroquer. Truandant le fisc souvent au-delà des limites des généreuses niches fiscales qui lui sont pourtant octroyées, criant à l’atteinte aux droits de l’homme et à la liberté d'expression dès qu’elle se fait flasher à 140 en centre-ville avé l'Audi, elle accuse systématiquement les "autres" (nébuleuse fantasmée de "feignants, chômeurs, immigrés, jeunes mal éduqués à faire travailler gratos ou a foutre en prison et de socialistes") d’être la raison du déclin français. Il faudra plus que les doux mots de Buffet pour convaincre une bonne partie de cette classe-là (réactionnaire pour elle et libérale pour les autres, aux connes icônes desquelles les stations ouvrent grand leurs micros) de cracher ne serait-ce que 5 euros de plus sur sa feuille d’impôt sans enclencher la menace d'un vote FN.
Elle n'ira jamais voter à gauche synonyme à ses yeux d'une redistribution dont elle n'est pas la dernière à jouir, mais qui lui fait horreur dès que "les autres" en bénéficient. Par mystère (non explicable autrement que par une sur représentation médiatique de ses membres), cette classe conditionne le discours dominant d'un impôt jugé toujours trop haut (à l'inverse du pouvoir d'achat qui, par définition, ne l'est jamais assez).
Elle n'ira jamais voter à gauche synonyme à ses yeux d'une redistribution dont elle n'est pas la dernière à jouir, mais qui lui fait horreur dès que "les autres" en bénéficient. Par mystère (non explicable autrement que par une sur représentation médiatique de ses membres), cette classe conditionne le discours dominant d'un impôt jugé toujours trop haut (à l'inverse du pouvoir d'achat qui, par définition, ne l'est jamais assez).
Des deux façons de combler une dette d’État, augmenter les recettes ou réduire les dépenses, droite et médias ont choisi de te convaincre que seule la seconde option était envisageable (alors qu'elle ne fera qu'aggraver la situation). Il est donc particulièrement ironique, au milieu de cette omerta de la thune, que ce soient de vrais bons gros riches qui enclenchent une incongrue pédagogie de l'impôt à laquelle nous ne sommes plus habitués.
Les assistants-managers de la machine libérale s'évertuent depuis 30 ans à te faire envisager l'impôt comme une plaie (les sanctuaires publics dans lesquels les sommes sont affectés représentent un intolérable manque à gagner pour certains qui veulent capter ces marchés). Pourtant l'impôt est pour beaucoup dans l’attachement que l’on peut avoir avec ce pays qui a heureusement su résister plus longtemps que d'autres au "vivre, optimiser et laisser mourir" venu d'outre-Atlantique. Retirons le principe de solidarité et de redistribution et que reste
t-il de la France ? Un drapeau, Jeanne d'Arc, la danse des canards ? Est-ce ça qui va te soigner, aider à te loger[1], te protéger ou t'instruire sans distinction de classe la langue et l'histoire du pays ? La nation c’est l’Etat et l'Etat c’est, en théorie, la
contribution de chacun à hauteur de ses revenus.
Alors que l’on
nous bassine avec les JMJ, il est étonnant que les médias omettent de préciser que l’impôt est une des pratiques citoyennes se rapprochant le plus d'un pilier théorique du culte : le partage. Étonnant aussi que dans l'Amérique du tea-party (mais le "réac-libéral" n'est plus à une contradiction près) ce soient les plus illuminés
de la religion à être les plus grands pourfendeurs de l’impôt !
(Autre époque, autre comportement. Gad Elmaleh en promo pour "Coco", grosse daubasse à la gloire du bling-bling. Nous sommes alors en plein âge d'or du sarkozysme. Il y a trois ans, il y a un siècle.)
Loin de cet inutile et pénible accompagnement de fin de vie de l'ultra-libéralisme auquel nous assistons, à base d'anesthésiants bas de gamme et placebos coûteux, toutes les composantes du peuple doivent d'urgence prendre conscience que, dans une société d'interdépendance, le bonheur de chacun est conditionné au bien-être de tous. Continuons à sacrifier les uns pour pérenniser ou accroître le confort des autres, personnes physiques ou marchés financiers, et cela finira mal pour tous[2]. L'impôt sur le revenu doit augmenter au détriment des taxes indirectes, être vraiment progressif pour les tranches du dessus tandis que les vannes injustifiées des exonérations pour les classes moyennes supérieures doivent être fermées. Idem pour les sociétés où le gap fossé est encore plus impressionnant : le taux effectif d’impôt sur les sociétés du Cac 40 est de 18.7% contre 39.5% pour la PME. L'impôt doit être réorganisé pour être plus efficient (ça nous changera des cinq dernières années), mais cette réorganisation doit s’effectuer en priorité dans le sens du peuple et non dans celui des agences de notation. Voilà qui devrait être inscrit comme "règle d'or" (mais qui chiffonne le projet de société idéale façon Monarque où la valeur de chaque humain est évaluée à l'aune de ses capacités à s'offrir une Rolex avant 50 ans).
Peu, à commencer par les politiques, prennent le risque d'inverser la donne et de faire de « la plaie » qu'est devenu l'impôt dans l'inconscient populaire (et le très-conscient de la classe supérieure), une motivation. Dans un pays où un français sur deux n'a pas assez de revenus[4] pour s’acquitter d'un impôt dessus, la volonté de richesse n'est la plupart du temps entrevue, du pauvre au riche, que sous le prisme libéral, individualiste. S'enrichir est aussi un moyen de contribuer au mieux-vivre de tous et pas seulement l'opportunité d'impressionner par ses accumulations ceux qui ont moins (pour venir dans un second temps déplorer la hausse des vols et de "l'insécurité" ou "l'effondrement moral" des émeutiers).
C’est là que dans un grand mouvement d'introspection fiscale, chacun se regarde dans le miroir et que les classes s’effacent. Le venin de l'individualisme est distillé dans le corps social, et la majorité d'entre nous veut payer moins. Notre défiance envers l'impôt est la preuve du manque de confiance dans le collectif et une des expressions de cette carence d'empathie dans l'occident agonise. Carence bien plus compliquée à combattre que la dette, car il ne s'agit pas de mettre une ceinture aux comportements des autres mais de prendre sur soi.
La défiance envers l'impôt est le début de la fin de la société. Nous y contribuons tous.
[1] oui, là à l'évidence. Y a de gros changements à effectuer.
[1] oui, là à l'évidence. Y a de gros changements à effectuer.
[2] Un intéressant documentaire sur le naufrage du Titanic nous apprend qu'outre la majorité des riches en première classe à être sauvés, les pauvres de troisième classe en fond de cale survécurent à hauteur de 16%, alors que les secondes classes (classes moyennes) pourtant situées plus près de la sortie ne survécurent qu'à hauteur de 8%. La raison : les pauvres avaient plus d'endurance, de détermination et, plus près de la brèche où s'engouffrait l'eau glacée, ont pris conscience les premiers du péril.
[3] Autre approche plus radicale. Dans cette période où le politique ne supporte aucun écart de citoyenneté, où le jeune prend six mois de prison pour avoir volé un pack d'eau, ne peut-on pas envisager de bien plus fortes sanctions contre les fraudeurs du fisc ?
[4] Il s'agirait peut être également d'augmenter les bas salaires.
Illustration : Petillon.
[4] Il s'agirait peut être également d'augmenter les bas salaires.
Illustration : Petillon.
17 comments:
Deux liens intéressants en rapport avec la proposition des riches d'augmenter les impôts et la réaction des médias :
http://www.acrimed.org/article3657.html
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=4249
Le pb c'est que du smicard au milliardaire, tout le monde veut payer le moins d'impots possible, j'enfonce des portes ouvertes en disant cela mais quoi faire ? une fois je discutais avec ma mere et je lui disait que les impots je trouvais ca tres bien et que je serais ravi d'en payer parce que cela prouverais que je gagne mieux ma vie (a condition bien sur que cet argent soit bien utilisé, hum hum pas sur) et la, un enorme tolé, elle m'a repondu que j'etais totalement cinglé, ect.... alors que mes parents sont loin d'etre riches, je l'ai regardé, je savais pas quoi faire, elle etait totalement impregné de l'ideologie vehiculée par les dominants et l'avait fait sienne, sans comprendre que les impots, ca beneficiaient justement a des gens comme elle. J'ai eu l'impression d'etre comme dans un de ces films de SF, ou ta un mec tout seul a detenir la verite, tout le monde autour de lui, sa famille, ses amis, sont manupulé, personne ne croit ses eculubrations et meme pire, il finit par se sentir en danger, se disant que s'il continue a tenter de les convaincre, alors meme que c'est pour leur bien, ils vont finir par le faire interner.
La solidarite c'a n'existe pratiquement plus, la question est, peut on encore revenir en arriere ? je ne connais pas la reponse
Le problème n'est pour moi pas tant l'impôt en lui-même que l'énorme sensation de gâchis qui ressort de nos dépenses publiques.
Le problème n'est pas de baisser les prestations sociales, mais de faire que chaque Euro dépensé le soit du mieux possible,
Les rapports de la Cour des Comptes le prouvent chaque année : on pourrait faire aussi bien avec 2 fois moins et, chaque année, c'est 2 fois le montant de l'impôt sur le revenu qui est dépensé à tort et à travers.
Et, alors qu'on manque de profs, on a de plus en plus de "pédagogistes" et d'administratifs à l'EN. Alors qu'on manque d'infirmières, les collectivités territoriales embauchent pour cause de décentralisation pendant que l'Etat... garde ses fonctionnaires aussi.
Idem concernant la fraude. Oui, seuls 1% des chômeurs fraudent. Mais ce 1% là, il est intolérable ! Ce n'est pas de l'argent qui pousse sous les sabots des chevaux, c'est le fruit du travail des autres.
Le problème n'est pas de payer un impôt qui serve à financer des routes, mais de payer un impôt qui sert à financer de la dette créée par l'incompétence de l'Etat.
Tout ça ne me donne pas envie de payer plus d'impôt !
Sans parler des situations fiscales injustes qui, même si elles sont exceptionnelles n'en sont pas moins dérangeantes.
C'est vrai ce que tu dis : selon notre propagande de droite, celui qui paye des impots est un con. Mais l'impôt le plus important est la TVA, payée par tous et sans progressivité. Il faudrait baisser la TVA sur les produits de base et la monter sur les produits de luxe.
Comme d'habitude, excellent billet. Mais bon, tu prêches un convaincu. En revanche, je m'étonne dans celui-ci d'un anglicisme, je ne voudrais pas faire mon petit chieur mais le mot "gap" a des équivalents en français : "fossé""écart""différence" etc. A moins que derrière cet anglicisme il y ait une connotation que je ne devine pas... Imagine la Mamie ou le Pappy qui tombe sur ton billet, ils ne parlent pas l'anglais eux... (Hop ça y est, une lectrice ou un lecteur en moins : ce serait dommage ! ). Alors d'accord pour mettre de l'anglais là où il n'y a pas d'équivalent en français. Je précise tout de même que comme beaucoup de français, j'ai des origines étrangères des 2 côtés mais que j'aime ma langue. ;-)
@jameswest > t'as pas tort... correction.
la première vidéo est grandiose , un sommet de bêtise fiscale mis en valeur par des crapules avec balais dans le cul .
Pour la question finale : oui, le gros fraudeur doit aller en prison, prison ferme , pas de sursis.
Idem pour celui qui monte des entreprises sans payer TVA , URSAFF etc.. et fait bosser des salariés au black : la prison, et interdiction de gerer partout en FR.
On ne le dit pas assez souvent, mais depuis 2002 , les folies fiscales UMP ont couté au total entre 120 et 160 milliards d'euros de rentrées. (je cite de mémoire).
Encore merci Seb de mettre, billet après billet, une mélodie de mots sur la situation que nous sommes sans aucun doute nombreux à vivre au quotidien, et moi le premier avec mes "très chers" beaux-parents, qui collent complètement à la description du couple de retraités-hyperthunés-droito-néo-libéraux qui hurlent sur le moindre centime "volé" par l'état alors qu'ils sont à l'ISF, mais qui par contre apprécient grandement le merveilleux traitement qui vient de guérir le cancer de papy qui n'aurait sans doute jamais vu le jour sans une recherche médicale financée par les impôts susdits...
@jameswest : mind the gap
Il y a 5 ans, dire qu'il fallait revaloriser l'impôt vous assurait un gros foutage de gueule, un suicide politique et social, sauf en des cercles bien choisis et restreints.
Ma lubie actuelle est la lutte contre l'introduction de frais d'inscription élevés dans l'enseignement supérieur public. Il paraît que ça n'est pas d'actualité. Moi, je pense que c'est de l'actualité de demain ou d'apres-demain. Là, il y a aura de la belle littérature à faire....
Salut Seb,
Une ptite vidéo qui tombe bien à propos et qui te plairas sans doute :
http://www.thedailyshow.com/watch/thu-august-18-2011/world-of-class-warfare---the-poor-s-free-ride-is-over
@++
@Abdel Housni > toujours excellent.
@Seb > Pourquoi ne pas préférer "t'as raison" à "t'as pas tort" dans la réponse à JamesWest ?
Pourquoi cette formule négative ?
" Des deux façons de combler une dette d'Etat, augmenter les recettes ou réduire les dépenses, droite et médias ont choisi de te convaincre que seule la seconde option était envisageable "
Je pense que tu n'envisages qu'une partie du problème : et que ton papier mériterait d'être prolongé d'un autre, concernant le racket opéré par la banques privées sur les États via la dette, elle-même quasi-exclusivement occasionnée via la perversion de fait, puis de droit, du processus de création monétaire.
Regarde les excellentes conférences d'Etienne Chouard sur DM, je gage qu'il te convaincra de la nature diabolique du processus engrené depuis 1973, et de son caractère explosif si les Médias faisaient leur travail...
"Si les gens comprenaient la nature exacte de notre système monétaire, je crois qu'il y aurait une révolution avant demain matin." Henry Ford
Je ne sais pas si on en parle dans le billet mais ça pourrait être ajouté :
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/08/23/97002-20110823FILWWW00590-valls-propose-une-tva-sociale.php
Comme disait Balladur il va falloir faire des sacrifices. Rappelons nous aussi Desproges
"Et d’abord quelle gauche ? La gauche gluante d’humanisme sirupeux des eunuques à la rose ? Quelle droite ? La droite des fumiers où la rose est éclose ?"
"Pourtant, quand on y réfléchi bien, les aspirations des pauvres ne sont pas très éloignées des réalités des riches. Les riches, la plupart du temps, ne sont jamais qu’une minorité de pauvres qui ont réussi. Les riches forment une grande famille, un peu fermée certes, mais pour peu qu’on les y pousse, je suis sur que les pauvres ne demanderaient pas mieux que d’en faire partie"
"Les solutions ? Elles existes ! Elles existes : il suffit de prendre aux riches pour donner aux pauvres. Et vice versa. En temps de paix, par exemple, les riches auront le droit de prendre la sueur au front des pauvres. Et en temps de guerre, les pauvres auront le droit de prendre la place des riches. Au front également."
Et de toutes époques musique de circonstance : http://www.youtube.com/watch?v=tJkvXNCZDZo
Oui pierre desproges, bof en fait, l'était un peu con-con quand même celui là...
Si c'était pour faire à l'avance ce que d'autres tentent de faire aujourd'hui, à savoir noyer droite et gauche, noyer les différences de classes dans un humour qui se voudrait "fin"(?)mais qui est en fait du même qualificatif qu'il emploi pour d'autres humoristes(les politiques), a savoir sirupeux, non si c'est ca très peu pour moi.
Ben je suis désolé mais quand Desproges faisait ce sketch on était DEJA dans des similitudes entre droite et "gauche" (PS) !!
Augmenter les impôts c'est bien, encore faut il savoir en faire bon usage.
Je suppose qu'on ne peut attaquer nos élus pour mauvaise gestion ?
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