21 février 2011

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DSK et les couloirs du temps


Nous ne pouvons garantir que Dominique Strauss-Khan ait su parler à La France d'en bas (ou de dehors, le terme est plus juste) hier soir sur France 2 mais, d'un point de vue machine de com', la séquence teaser du week-end  « retenez-moi où je fais un malheur aux élections » du candidat potentiel à la présidence sera notée 9/10 dans les écoles de media-training. Oui, il manque un point, nous notons une baisse de régime lorsque le journaliste lui demanda ce qu'évoquait pour lui le mot « socialisme ».
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Le barnum (occultant la Libye) autour de la venue de l'homme du FMI à Paris (pour un G20 aux oubliettes) nous (re)confirme par l'exemple le besoin médiatique d'une figure d' « homme - femme - providentiel(-le) ». Poussé par des rédactions qui ont besoin de "feuilletoner" à des fins publicitaires, c'est le gros travers de la Ve république "en campagne" privilégieant l'incarnation du pouvoir (même si c'est important) au programme (même si c'est fondamental).
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Cette frénésie à jouer les élections de mai 2012 dès février 2011, avec force sondage, est d'un risible consommé : à l'image de la cadence imposée à l'information pipolo-politique par notre Monarque au soir du 6 mai 2007.  Dans ce vortex de l'info, la stratégie de DSK, se servant de l'excuse FMI pour taire ses intentions et son programme, distillant des allusions aussi cryptiques qu'un scénario de David Lynch, en est le contrepoint total.  
Quelques jours plus tôt, sortait un essai d'un proche collaborateur de DSK. Dans « la dictature de l'urgence », Gilles Finchelstein (directeur de la fondation Jean Jaurés) disserte sur notre rapport au temps. Même si son nom n’apparaît qu'a à la page 148, on est tenté d'y débusquer des « indices » si ce n'est sur le programme au moins sur le mode de gouvernance du candidat DSK :

« Telle sera l'alternative de 2012. Contre la dictature de l'urgence, le choix du temps long. Davantage que donner du temps au temps, la priorité est de donner du sens au temps. » P.26

Le constat est le suivant : avec la brusque montée des nouvelles technologies de communication affectant aussi bien notre quotidien, les techniques de management, que l'information média et la fluidité à la nanoseconde des flux financiers, nous vivons une accélération du temps dont l'élection du Monarque est la conséquence.

Impératif de rentabilité (gestion d'entreprise purement actionnariale détruisant le salarié), développement du "multitâche" (le cerveau comme système d'exploitation upgradable porte d'entrée à la notion de "flexibilité", tu es coupable de ne pas faire 10 choses à la fois et de ne pas être assez souple sur tes horaires), impératif de disponibilité (ordinateurs mobiles, téléphones portables et Heil-Phone, ce merveilleux outil à jouer au Tetris pour 45 euros par mois, tu seras bientôt coupable de ne pas être joignable tout le temps) : la société vit sous stimulation permanente, réduisant quotidien et perspectives aux logiques de court terme au bénéfice du marché. Au final, le néolibéralisme a réussi sa théorie du ruissellementcelle du stress et de la précipitation :

Dans l'entreprise, c'est la gestion par les objectifs avec une cascade d'intermédiaires hiérarchiques drivées à la carotte et au bâton, avec les dramatiques conclusions que l'on connait.
Exemple : La récente vague de suicides chez un opérateur de téléphonie est le résultat d'un plan pour pousser à la porte des salariés quinquagénaires « trop payés » afin de satisfaire l'actionnaire. Opération de court-terme, contre-productive en plus d'être inhumaine, qui causera des morts, ternira l'image de l'entreprise et lui coûtera au final 1 milliard d'euros (alors que la pyramide des âges indiquait que les salariés "à dégraisser" seraient massivement partis à la retraite en 2012).

- Pire... La logique du toujours plus vite, toujours plus rentable, a gangrené la vie privée.
Je les croise de plus en plus souvent, en salons Damidos et centres-commerciaux. Des jeunes couples se plaignant de leur salariat mais terrorisés à l'idée de ne rien faire de leur temps libre. Hors du boulot, un temps mort est un temps perdu. Idem pour leurs enfants surstimulés qui ont l'impératif d'être trilingues à 4 ans. Cela s'étend, évidemment, à la consommation et culmine lors des soldes où l'achat de la chose décrétée « pas chère » (en comparaison d'un prix initial surévalué) devient indispensable, pas pour ce qu'elle est mais pour son prix, l'objet tout autant que « l'affaire » devenant un sujet de socialisation. Chez eux, « l'urgence » est un carburant quotidien, contrastant d'ailleurs parfois avec une vie professionnelle où ils font état d'un ennui profond et d'une accablante perte de sens sur laquelle ils ne peuvent mettre les mots. Retirons-leur la vitesse et ils perdent l'équilibre. Dur de les convaincre des bienfaits de la « prise de temps » alors que le mot « retraite » est chez eux, par large contamination médiatique, déjà vu comme une menace. « Décoloniser leur imaginaire », comme dirait Serge Latouche, ne sera pas une mince affaire. La précipitation à agir "parce qu'il y a péril" est un discours qui leur parle, et les sbires du néolibéralisme y son  systématiquement recours pour abattre les uns après les autres, tous les sanctuaires.

- Pire de pire... La logique court terme de l'actionnaire ayant progressivement contaminé le mental des salariés,  en retour, ils ont voté pour le candidat du mouvement permanent. Le Monarque, dont l'argument d' « agir » justifie souvent à lui seul l'action, est l'incarnation politique de ce refus de la distance, de l'analyse, de la réflexion, du "pas de côté" … bref de l'intelligence. C'est le triple théorème, à fort pouvoir contaminant, de l'UMP 2.0 :

Immobile = rétrograde. Action = modernité. Modernité = mieux. 
Ceux qui ne bougent pas = ringards. 

Dans ce monde "du coup d'avant" sans fin, l'action compte plus que le résultat, l'agitation plus que l'accomplissement. Faire suffit, ne rien faire est une angoisse. On le voit encore aujourd'hui dans l'argumentaire d'un François Baroin suite à la prestation de DSK dimanche soir :

F.BAROIN
« - Je pense que le mandat de N.S aura été un mandat UTILE au pays. Il aura créé un MOUVEMENT et il faudra poursuivre cette ACTION. »

Encore et toujours, la ligne est "nous sommes parce que nous faisons". 

Pourtant, preuve est régulièrement faite avec ce gouvernement qu'un enfilage de décisions ne suffit plus, s'il n'y a pas un échéancier et une évaluation régulière (exemple dans la justice où les lois d'urgence - heu de marketing - s'empilent au moindre fait-divers, sans évaluations ni effets. Il n'y jamais eu autant de lois votées en urgence alors que leurs décrets d'application sont de plus en plus longs. Sur les 59 lois votées en 2009, seulement 3 sont aujourd'hui concrètement appliquées.)

Si ce mode de gouvernance, cette "accélération au carré", permet de faire illusion dans une théâtralité en flux tendu de l'action (servie sur un plateau par le soap-opéra de l'info), il produit en continu son «obsolescence programmée». A moins d'éradiquer le processus électoral, vient un moment où Le Monarque sera jugé sur les résultats de son "mouvement". C'est la période dans laquelle nous entrons. Le piège qu'il a confectionné se referme sur lui. A force de se projeter en avant dans un temps court, sur la longueur il s'essouffle : les conséquences et les non-conséquences de l'action pour l'action devenant de plus en plus visibles par tous (cf : les explosions de colère des corps de métier aussi divers que juges, instituteurs, policiers, urgentistes et même CRS, qui ont ce point commun d'avoir des budgets coupés contredisant les discours volontaristes du Monarque). Et ce ne sont pas quelques interminables  interventions télévisées sous cloche qui renverseront la vapeur. Au-delà de la gestion hiératique et de l'explosion du chômage, que restera-t-il comme trace concrète, comme construction[1] et non comme destruction, du quinquennat monarchique ?

* * *
Au fond, le problème du temps, et cette sensation permanente d'en manquer, a plus à voir notre incapacité, notre peur, de hiérarchiser. Cette accélération a ses avantages, eux aussi à court terme. La tête dans le guidon, elle permet à chacun de s'éviter l'introspective quitte à être en « over burning », ce qui par traces résiduelles d'idéologie des années 80, couplées à un fond de morale chrétienne, est encore stupidement mieux considéré que de buller à la fraîche à lire du Rousseau. Dans nos vies quotidiennes comme dans la politique, c'est moins le temps qui manque que des décisions tranchées, suivies dans la durée. Nous sommes devenus dépendants de la rapidité et de l'esprit zapping. Plus rien n'imprime chez personne. Ce manque de prise sur le temps, juste pour dire "non, pas besoin de se presser" est paradoxalement le ferment de notre paresse à influer radicalement sur nos destins personnels et collectif.

Pas étonnant d'ailleurs qu'un autre livre (que je n'ai pas lu), sorti ces jours-ci, s'appelle "La révolution ? On s'rappelle".

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Pour en revenir à l'essai de G.Finchelstein qui m'a inspiré cette note, "donner du sens au temps" serait donc en partie, un des axes de gouvernance de l'éventuel candidat DSK.  


Intéressant mais un peu léger pour le moment.  

1/ Les français s'informent en temps réel hors des canaux traditionnels. Révolutions populaires embrasant les peuples arabes, contrecoups dévastateurs en Europe des politiques de rigueur (inutiles, on en revient à l'urgence) engendrées par les aides du FMI et révolutions constitutionnelles, sont connues du consommateur-électeur même si les médias en parlent peu. Le candidat socialiste, quel qu'il soit, ne pourra faire l'impasse sur ces "données associées" du débat interne :  elles vont percuter La France. 
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2 / Alors qu’il ne cesse d’établir dans son livre que l’urgent et l’argent sont liés, G.Finchelstein ne revient pas sur la thématique du « pouvoir d’achat ». Le désir d’argent a été au cœur de l’élection de 2007, et les français étaient alors près à sacrifier du temps "travailler plus" pour en obtenir. La situation ne s'est pas arrangée sur ce front et il y a réellement des situations sociales d'urgence (logement, réduction des inégalités salariales, contrôle stricte des dérives financières...) dans ce pays. A ce titre, la stratégie du "je vais vous donner de l'argent" peut très être encore resservie par le même chef de rayon.

Si "le silence est une arme exceptionnelle"[2], le cash est l'arme ultime.

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[1] je veux dire à part un avion à 300 millions d'euros ?

[2] entretien avec G.Finchelstein, 15.02.2011

[update 22.02.2011 : rendons à Latouche ce qui appartient à Latouche, bien qu'Ariès y fasse souvent référence.]

6 comments:

nicocerise a dit…

En vrai l'efficacité est aussi à coté. A coté du temps, à coté de la ligne. D'où je pense le besoin de consultant extérieur (ou consultant d'intérieur). D'où les proscratinateurs (un certain type - les flâneurs).

cybfil a dit…

Merci Seb, encore une lecture matinale qui me donne le sourir...
Pour ce qui est d'ici, "no soucy", il pleut du coup je crois que je vais finir tranquillement les 2 bouquins en cours........ ce qui devrais m'amener à l'heure du repas du soir en toutes douceur....
Bon courage et merci fil.

Ju a dit…

et si tout le bordel médiatique servait à faire bosser les gens bien pépères à l'abri des regards et des journaliste pendant que bonhomme fait son show ?

Tassin a dit…

"« Décoloniser leur imaginaire », comme dirait Paul Ariès"

Comme dirait Serge Latouche plutôt.

A part ça quel plaisir à la lecture de ce billet!

Rafo a dit…

Deux choses :

1 - Je parlerais plutôt de "triple axiome", car un théorème est quelque chose qui se démontre alors qu'un axiome est quelque chose qu'on admet (fait admettre ?) sans le démontrer.

2 - Vu le bordel qui a déjà commencé ici et qui ne peut que dégénérer, DSK, s'il a soif de pouvoir, a bien plus intérêt à rester au FMI où il en a bien plus (et n'aura pas de comptes à rendre au peuple français), infiniment plus qu'à l'Elysée, dont l'hôte n'est qu'un pantin des lobbies et de Bruxelles (pléonasme ?).

Seb Musset a dit…

@Tassin ah ouais merde. Je corrigé ça immédiatement.

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