26 septembre 2009

Problèmes d'image


Non, non il ne s'agit pas d'un nouveau reportage de la RTBF sur les coulisses de la déférence de presse du Roi à New-York.

Revenons deux secondes sur cette récente proposition de loi de la députée UMP Valérie Boyer relative à la signalisation des images retouchées dans le but de prévenir l'anorexie chez les jeunes filles, qui pourrait paraître pas trop stupide... à première vue.

A l'exposé des motifs, "ces images [retouchées] peuvent conduire des personnes à croire à des réalités qui, très souvent, n’existent pas. Il ne faut pas se limiter aux simples photographies à usage commercial et il convient de relever un champ plus large que les photographies « ayant pour objet d’être diffusées dans la presse écrite »", je me délectais déjà des bandeaux informatifs qu'avec ses bourrelets retractables, ses tabourets à la James Bond et sa femme à trois bras, notre monarque générerait en bas des publi-reportages lui étant tricotés au quotidien par la presse à vaseliner.

Fausse-joie, l'article de loi soumis en annexe s'en tient à la publicité :
"Art. L. 2133-2. – Les photographies publicitaires de personnes dont l’apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image doivent être accompagnées de la mention : “Photographie retouchée afin de modifier l’apparence corporelle d’une personne”."

Bon Valérie, regardez-moi dans les yeux. C'est un homme d'image qui vous parle :

L'image n'est qu'une représentation de réalité. Ce ne sera jamais la réalité.


Indiquer que certaines images sont bidouillées part d'une bonne intention mais distillerait l'idée que d'autres sont vraies alors que toutes sont fausses.

Et puis voyez-vous, la manipulation dans l'image ne résume pas à un trafic sur Photoshop. C'est souvent le côté le plus visible de la manipulation. Maquillage, cadrage, teintes, éclairage, composition, décor : Tout, et surtout l'anodin ou l'imperceptible, fait sens, tout est modulable à souhait.
Sans compter qu'une image ne se résume pas à ce qu'elle montre. Son analyse doit inclure ce qu'elle ne montre pas et les contextes sociologique et historique.

Fausse de nature, l'image contemporaine est également à 99,9% plus ou moins bidonnée dans son traitement,
de la presse au cinéma en passant par la télé. Plus belle la réalité est la devise totalitaire des rédactions et des salles de montage depuis une vingtaine d'années, période durant laquelle l'esthétique publicitaire d'un monde plus que parfait s'est propagée aux autres supports artistiques pour conduire à l'Améliepoulenisation[1] du moindre film ou documentaire.

Une nouvelle étape est franchie aujourd'hui avec la généralisation de la haute définition : Ce qui pouvait arriver de pire aux actrices de plus de 30 ans. La résolution est trop parfaite : Il faut désormais deux heures de maquillage supplémentaires pour les actrices et tartiner à la palette graphique en post-prod pour estomper ridules et imperfections. Certains réalisateurs n'en pouvant plus, se passent désormais d'acteurs. A ce propos Valérie, quid des œuvres infographiques dans votre projet de loi ? A mesure que l'on gagne en définition, les frontières avec le supposé réel sont de plus en plus floues. Où ranger Lara Croft ?

D'un point de vue publicitaire, le trafic d'image du corps s'apparente au maquillage classique, c'est un artifice de séduction appliqué à la propagande marchande. Ce qui me choque en premier lieu, c'est que les messages en question existent et que des acteurs y participent (mais c'est un autre débat). Comme nous passons notre existence à essayer de plaire aux autres et que la publicité n'est par essence QUE simulacre, allez au bout de vos ambitions : Supprimez la publicité et interdisez de plaire !

Pour ce qui est de la prévention de l'anorexie (j'ai cru comprendre que c'était votre motivation première), cette loi ne changera rien. Je vous renvoie aux indomptables de Caroline Eliacheff où l'on découvre, entre autres figures historiques, une Sissi impératrice trainant jusqu'à la mort une anorexie mentale chronique n'ayant que peu à voir avec un abus d'MTV Base.

Casser le diktat intenable des filles filiformes, oui. Mais votre méthode est superficielle. Commencez sur le terrain. Contribuez à changer les regards de chacune sur les filles en chair et les obèses, voilà un combat qui bougerait les lignes. Dans ce domaine, un peu de discrimination positive serait peut-être utile. L'embonpoint n'a pas de couleur de peau spécifique mais il affecte plus souvent les pauvres.

Au-lieu de nous prévenir que la femme ultime n'existe pas, imposez la présence de femmes communes dans les médias. Intégrez des grosses aux postes de responsabilités, dans vos rangs à l'assemblée. Imposez-les sur les plateaux télévisés : Ça nous changera des blondes de vingt-cinq piges qui de la météo aux chroniques littéraires en passant par l'analyse politique ou les bêtisiers, trustent l'intégralité du PAF en péroquetant avec la conviction du réfrigérateur ce qui leur est soufflé dans l'oreillette.

Redonnez de la confiance aux faibles fortes qui culpabilisent dès qu'elles avalent un carré de chocolat. Elles savent déjà que les mannequins de magazine sont trafiquées. Ce sont des modèles médiatiques à leur image dont elles ont besoin !


Pour en finir avec la terreur de la beauté impossible, proposez une loi pour que l'on ait enfin des brunes enveloppées au JT et non des robots maigres et platinés.
Bref, retrouvons un peu de liberté dans les tailles et de rondeurs sur les ondes.
Je suis persuadé que les hommes sont demandeurs.


Source via @monolecte

Dans le domaine de la sensibilité aux images, c'est de pédagogie dont il faut user. Au lieu de pondre du message que personne ne lira, proposez des cours de décryptage visuel à l'école. Dans un monde dominé par les écrans, l'analyse d'images est une arme aussi indispensable que l'étude de textes.

Appuyez cette action par la production d'émissions d'analyse d'images en prime-time sur des grandes chaines publiques. Voilà qui ferait travailler le sens critique des petits et des grands et mettrait en péril cette soumission instinctive de l'audience envers les représentations sublimées
(au choix suivant l'époque : Passion du christ sur les vitraux de l'église ou show des 100 plus belles bonasses sur TfString.)

Qui décode les images, dévoile les manipulations... toutes les manipulations.

Mais ça... Dès qu'il faut sortir de la culpabilisation, de l'infantilisation ou de la répression et imaginer des lois pour rendre le monde un peu moins con, du côté UMP de l'hémicycle ça se bouscule moins au portillon.

* * *

[1]
Améliepoulainiser, verbe : Action de traiter la couleur de l'image d'un film quelconque pour lui donner une dominante verto-maronnasse, mi-féérique mi-flaque de vomi, totalement déconnectée des réalités colorimétriques naturelles au simple prétexte que Ouah ça fait vachement joli !

A noter que l'Améliepoulainisation des films se fait après le tournage, entrainant la déconsidération du métier de directeur de la photographie et, couplé au numérique, permettant à n'importe qui de tourner par dessus la jambe et de passer pour un génie.

L'Ameliepoulainisation existe également pour le son. On appellera ça le sounde-dizaïne. Il s'agit d'appliquer un son totalement disproportionné à une action totalement insignifiante dans l'espoir de donner à un peu de relief à ce film de merde. Exemple courant : Le souffle d'un tsunami sur une fermeture de placard. Très utilisé dans le cinéma français.



Illustration titre : Rubens : les trois grâces, 1637, Musée du Prado Madrid.

9 comments:

Anonyme a dit…

zolive :
Mais oui c'est bien sûr !
"L'image n'est qu'une représentation de réalité. Ce ne sera jamais la réalité."
Cela me rappelle la "sémantique générale" où tout le propos est de dire que la réalité est transcendante et fondamentalement inaccessible, seule nos représentations mentales existent, sorte de cartes dérisoires. Tout bon enseignement se doit de dire cela : la carte n'est pas le terrain. On ne connaît pas le terrain, et la carte n'est pas la réalité, mais une carte parmi d'autres.

Merci de m'avoir rafraîchi tout cela !
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sémantique_générale

SGT MAGENTA a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Vincent a dit…

Je reprends FRED-Boullet : Excellent comme d'hab'.
A quand Seb Musset sur TF1 ?
Nan, j'déconne, y'aurait des crises cardiaques à la chaîne...

Anonyme a dit…

Benoit à Seb : "Intégrez des grosses aux postes de responsabilités,..." c'est déjà fait avec Roselyne B. non ? J'espère qu'ils vont la garder longtemps. car à chaque fois qu'elle apparait sur mon écran, j'en profite pour régler le contraste, la luminosité et la couleur. "La ministre mire de réglage" J'odore ça façon de se fringer, super tendance.

Seb Musset a dit…

@benoit > Oui, et mais attention ça peut flinguer ton tuner.

En même temps, nous avons un monarque qui à 54 ans n'a toujours pas réglé son complexe de carrure, marié à un Top modèle de 34 kilos (histoire de compenser).

Tassin a dit…

Héhé, toujours aussi pertinent tes billets!

Concernant l'idée de la mention "Attention manipulation", on assiste à un très bel exemple d'une idéologie ne pouvant que légiférer pour tenter de corriger ses propres dérives.

Anonyme a dit…

Non mais c'est n'imp'. Entre l'une (députée-à-son-maquereau en Sarkosie) qui veut créer une signalétique "Attention Beauté" sur les trop jolies filles (comme sur les cigarettes, mais lol) pour avertir la radasse de base et son petit mecton de leur grande capacité de nuisance, et l'autre (home-made "homme d'images" - ha ha ha ! - mieux-pensant que la bien-pensance) qui veut plus de grosses à la télé par solidarité avec la probe mademoiselle tout-le-monde que Dieu n'a pas suffisamment gâtée - "Debout les damnés de la terre, strabismes de tous les pays unissons-nous!" ... Parole vous auriez dû faire de la propagande en ex-URSS, ça aurait donné la fresque épique "Robertha, honnête travailleuse de l'industrie publicitaire, sélectionnée par le ministère de la santé mentale pour son physique démocratique, écrasant Brigitte Bardot en fourrures sous ses rangers crottées"... Non vraiment, nous sommes pris en tenailles!

La contestation d'aujourd'hui n'est plus que l'ombre radicalisante de la politique officielle... Monde totalitaire effrayant!

Vous n'avez même pas remarqué que le cinéma français d'aujourd'hui avait devancé vos plus délirants idéalismes rouges? Aujourd'hui il n'y a déjà plus de stars, mon pauvre idiot (au sens noble du terme ^^), et c'est parce que monsieur/madame Toulemonde ont de la haine pour tout ce qui brille, et que ce sont monsieur/madame Toulemonde qui font marcher le commerce ! - Pas les putains spirituelles comme Marilyn Monroe. - Et qu'ils ne se reconnaissement absolument pas dans la "condition humaine" des croqueuses de diamants...

Pourquoi croyez-vous que des festivals s'intéressent à votre petit brouet clair en N&B sur Miss Anorexie aux yeux bleus, petit oiseau blessé au pays des marchands de fringue? Parce que vous êtes con-sensuel, mon vieux! Consensuel comme une midinette!

Pff... Dire que je suis venue lire votre prose insignifiante uniquement parce que je vous avais trouvé beau...

Je crois que la haine de la beauté, et la raréfaction, et la culpabilisation de celle-ci qui en découle est ce qu'il y a de pire au monde... Rien que pour ça je pourrais devenir fasciste.

Bon en fait il est possible que je le sois déjà. ^^

Tenez, pour conclure ce petit exposé, je vais vous donner la preuve qu'il est idiot (encore une fois! C'est votre fête!) de censurer la beauté au motif qu'elle n'existerait pas (car c'est de cela au fond qu'il s'agit - la beauté ne PEUT pas exister, ce serait trop injuste!). Ensuite lorsque vous dites qu'on ne peut pas croire les images, je suppose que vous parlez des vôtres, parce que les miennes ne risquent pas d'être retouchées, je n'ai pas l'espace suffisant sur le disque dur de mon minuscule PC portable pour télécharger Photoshop, d'ailleurs je ne sais quasiment pas utiliser ce logiciel, et par-dessus le marché les photos que vous allez voir ont pour la plupart été prises avec mon téléphone :

http://mimislittleboudoir.hautetfort.com/nombrilisme/

Bien le salut. ;)

Seb Musset a dit…

@Millie .


Je ne suis pas du genre à encourager le troll attitude, mais puisque vous me le demandez avec insistance je vais tenter de répondre à vos remarques enfin celles que mon idiotie radicalisante de midinette consensuelle a pu comprendre.

Passons sur le 1er paragraphe,mode invective histoire d’attirer l’auteur. (Attention, ce n’est pas parce que c’est long que c’est bon). Une bonne insulte (ou une demande polie pour que je fasse un lien vers votre blog) vaut parfois mieux qu’un texte mal tourné.


Ainsi, je serais LA contestation ? Soit. Si ça peut vous faire plaisir.


L’absence de stars au cinéma ? Elles n’ont jamais été autant payées qu’aujourd’hui à « interpréter » l’homme du peuple. Les films ne se montent que sur des têtes connues. Exemple : Mon film mettant en avant Audrey Tautou, j’aurais eu beaucoup moins de problème pour le financement.
De plus, pour une actrice réputée superbe jouer le rôle d’une moche : C’est la consécration. Ne pas confondre cinema et television. Si l’invasion de « non-stars » à la télé est un fait, c’est une donnée purement économique. Cela coûte moins cher (voire rien) et en plus ca permet de les formater au plus précis pour au final donner… des stars (sous licence exclusive.)


Mon film est tellement consensuel qu’il n’a jamais trouvé de financement autre que mon porte-monnaie (c’est d’ailleurs pour cela qu’il fait 52 minutes au lieu des 90 initialement prévues). Blog, bouquins et films : Je ne cherche pas à être consensuel, je fais les choses come je le sens et parce que je ne peux pas faire autrement. Sinon je sortirai en librairie : « comment vivre sans être salarié pour les nuls ? », comme on me presse de le faire. Que le public suive ou pas n’est pas le moteur de ma modeste action. Par contre, ses encouragements, ses remerciements et même ses remarques négatives (dès lors qu’elles sont construites) font sacrement plaisir.


Relisez mon texte : Une image n’est pas la réalité d’où la stupidité crasse de vouloir signaler que une image serait plus fausse qu’une autre. Cela ne s’arrête pas aux retouches. La photographie est un procédé chimique (traité en laboratoire) ou numérique (traité par un processeur). C’est une capture de « réalité » figée à travers un objectif, plus ou moins déformant, avec une obturation précise et une longueur de focale décisive sur le ressenti du spectateur, le tout sur une surface limitée et plane : Convenons-en, même regardée avec un seul œil, le monde m’a l’ait un peu moins étriqué. Éduquons, ouvrons les esprits et diversifions les modèles au lieu d’établir une police du bon goût de l’image qui ne changera rien à la propagande des magazines féminins. Valerie Boyer est une députée qui veut se faire connaître comme les 500 autres, c’est réussi.


Mes images sont retouchées pour la diffusion sur le net (contraste / lumière / parfois étalonnage ). J’ai longtemps mis un logo « ne pas croire les images » sur mes vidéos. Horreur, mes interventions sont l’objet d’un long montage.

Bon j'ai bien l'impression que votre commentaire en dit plus long sur vous que sur moi.

Avec toute mon amitié et merci encore d'être passée.

Seb Musset a dit…

En complément un texte indispensable de nos braves patriotes :

http://bravepatrie.com/Big-up-to-Karl,1401

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