18 mars 2008

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QUI EST PROPRIETAIRE DE QUI ?

Terrifiés à l’idée de ne pas être parents ou propriétaires avant leur trente ans, ils calquent leurs décisions sur le seul mode de vie qu’ils connaissent, celui qu’ils sont eu sous les yeux durant leurs adolescences couvées, celui prospère, débonnaire et bien heureux de leurs parents au sortir des trente glorieuses. Immaturité et manque de recul, ils plongent tête baissés dans l’american-way-of-life-à-la-française à coups d’emprunts sans apport initial avec la complicité des banques et des prometteurs immobiliers (qui sont souvent les mêmes) faisant d’eux, sur fonds de dettes, le carburant humain de leurs dividendes boursiers.La jeune génération de « primos-accédants » perpétue ainsi, avec la bénédiction coupable de ses parents, un idéal de société progressiste dont tout pourtant, au quotidien, montre l’appartenance au siècle passé.
La base de l’euphorie immobilière des jeunes propriétaires, c’est un malentendu et un manque de distance. Comme leurs parents, ils sont propriétaires avec toutes les pincettes avec lesquelles ce terme est à prendre lorsque l’on est endetté à 100%. Comme leurs parents, ils sont propriétaires mais vingt plus tôt que leurs aînés. La jeune génération est fière. Elle fait mieux, en ce domaine, que ses parents sans penser un instant que les deux situations sont à peine comparables.

Premièrement, ils n’ont pas les mêmes revenus que leurs parents, les leurs à âges équivalents sont bien moindres.

Deuxièmement, Ils n’ont pas la même formation, les leurs sont biens supérieures et ne font que surligner le fait qu’ils soient souvent sous-payés.

Surtout, ce sont deux époques différentes, il y a trente ans l’hystérie immobilière se cantonnait aux très hauts revenus.

Cerise sur le volcan, les parents et les enfants propriétaires ne sont pas impliqués au même niveau. Il y encore vingt ans le crédit était un complément financier se greffant sur les bénéfices d’un parcours professionnel déjà bien rempli et non l’apport intégral de la somme en introduction à une vie professionnelle que tout annonce précaire. Le crédit des parents se remboursait paisiblement en cinq ou six ans sur le seul salaire du père là où il occupe désormais une place prépondérant dans le budget familial impliquant aux deux parties de travailler.


La soif d’accession à la propriété de la jeune génération a déjà un contrecoup encore indolore. En effet, ils « s’offrent » ce qu’ils peuvent, c’est à dire souvent un palais de parpaing en troisième périphérie des villes à soixante kilomètres des centres d’activités professionnels et culturels. Ils se parquent d’eux-mêmes dans des habitats uniformes dont grâce à M6, comme pour en exorciser la laideur, ils soignent à outrance l’originalité de la décoration intérieure. Palais de misère chiés à la chaîne par des promoteurs sans imagination. Agglomérats uniformes de piètres matériaux assemblés à la va-vite dans des zones enclavées où, paradoxalement, du fait de l’hystérie foncière auto-alimentée règne rapidement une promiscuité de voisinage pesante.
Habitats aux coûts surévalués, pavillons similaires dans des parcelles excentrées à haute teneur en revenus endettés. Toutes les conditions sont réunies pour faire de ces « rêves d’une vie », les cauchemars de demain. Comparons les publicités dithyrambiques de Nexity « nous méritons tous d’être propriétaires », les émissions propagandistes de M6 ou TF1 du type « cherche maison ou appartement » sponsorisées par Century 21 avec ces scopitones institutionnels qui, dans les années soixante à grand renfort de musique douce et d’espaces verts, vantaient aux cadres urbains ces nouveaux habitats spacieux, modernes et familiaux qui trente ans plus tard sont des cités ghettos décrépies à valeur foncière quasi nulle.

Il est très difficile de discuter avec un propriétaire au sujet de la valeur intrinsèque, et à venir, du bien pour lequel il a impliqué trente ans sa vie, celle de son épouse et de ses enfants. Trop d’implication, trop de charges, trop d’identification pour ne serait-ce que considérer un instant s’être précipité un peu trop vite dans l’aventure du « tous proprios ! ». On en retrouve parfois quelques-uns, des chiens perdus sans colliers sur le plateau de Julien Courbet. Au terme de maintes saisies et d’une expulsion finale, semblent enfin touchés par la grâce et admettent lucides, en slip mais apaisés qu’ils se sont bien faits baisés.

Ce qui est fort avec le jeune propriétaire, c’est qu’il est sur de lui. Il peut signer pour vingt ans à l'issue d’une réflexion de vingt secondes. Quiconque a assisté à une journée portes ouvertes d’un promoteur à l’occasion du lancement d’une « nouvelle tranche », me comprendra. En fait, même s’il se tient, le raisonnement du propriétaire « toujours gagnant » ne se vérifie qu’à posteriori, une fois que les traites sont réglées, que l’on peut faire l’état argumenté des loyers économisés et tirer la marge bénéficiaire à la revente du bien. Il se tient aussi si l’on en reste juste au critère financier. Il est possible de faire une bonne affaire en étant propriétaire sur trente ans mais, c’est connu en système capitaliste : une bonne affaire ne se fait que si quelqu’un d’autre en fait une mauvaise. Tout le monde ne peut pas être gagnant, on peut même mathématiquement supposer que la moitié des propriétaires seront , si ce n’est perdant tout au moins quitus. Si le bien immobilier est revendu plus cher, qu’est ce qui prouve que le reste du parc immobilier n’aura pas augmenté dans les mêmes pourcentages ? On peut vendre un bien le double et strictement ne rien gagner si l’intégralité de l’offre à doublé. C’est bien beau de revendre encore faut-il se loger ailleurs. On touche donc le point sensible du rêve, la notion de « patrimoine » fondée sur l’hypothétique plus-value d’un bien dont pour la plupart des opérations effectuées aujourd’hui, la valeur relative baissera avec les années. Toujours pour ces trois raisons : médiocrité des matériaux, uniformité et multitude des biens dans une zone délimitée renfermant des personnes aux revenus identiques plus ou moins à la merci des aléas économiques de par leur statut d’endettés. *

On l’a vu avec les crises des "subprimes" aux États-Unis. Des quartiers pavillonnaires complets, jadis symboles de prospérité des classes moyennes, sont devenus en l’espace de six mois des zones fantômes pour les raisons susmentionnées. L’épidémie se propage même aux propriétaires pouvant encore honorer leur traites mais dont les maisons perdent aussi de la valeur à cause de leur seule présence dans un quartier aux prix "discount". Les anciennes classes moyennes sont devenues des nouveaux pauvres à cinquante ans. Ils s’entassent dans des bidons ville en quatrième périphérie tandis que leurs anciennes maisons inhabitées redevenues propriétés de la banque (ce qu’elles n’avaient en fait jamais cessées d’être) sont détruites au bulldozer car non seulement elles ne trouvent pas preneur (logique puisqu’il y a appauvrissement général) mais parce qu'en plus elles coûtent trop cher à entretenir.
Mais surtout, horreur des horreurs dans un monde capitaliste, elles pourraient être squattées par des sans-logis, ou pire, par leurs anciens propriétaires !


Comme ces publicités pour des sucreries ou il est marqué qu'il est déconseillé de grignoter, la schizophrénie des messages bombardés concernant la propriété promet de désastreux lendemains. Le rêve n'est qu'une séquence de réalité. A un moment ou un autre en économie de marché, il faut payer l’addition. Et, d’expérience, c’est toujours au plus faible de le faire. Je n’ai rien contre la propriété en soit. J’ai, par contre, une sacrée dent contre l’accession à la propriété via le crédit. Crédit qui flatte la fainéantise mentale du quidam qui, sans en avoir conscience, idéologiquement tourneboulé qu’il est par des médias commerciaux et son conseiller financier payé à la commission, tourne ainsi la roue de sa propre torture au risque de tout perdre en fin de ligne. Peu importe, se faisant il aura encore un peu plus gavé d’argent son bourreau qui, bien malin, aura d’abord encaissé les intérêts, cette ponction sur le pauvre qui justifie toutes les infamies.

Retour en France. L’euphorie immobilière est récente, comme je l’ai précisé, ce n’est que depuis une dizaine d'années que les établissements financiers et les promoteurs s’intéressent au portefeuille des pauvres - attention à les appeler « classes moyennes » sinon ils ne se reconnaissent pas -. L’immobilier est un de ces rares secteurs français encore en croissance, l’état ferme donc les yeux sur les injustices, les irrégularités, les abus des établissements bancaires. A tous les niveaux, du permis de construire au pot de peinture qui servira à décorer la boite aux lettres, l’état encaisse en silence une TVA salvatrice pour ses caisses en banqueroute chronique. Il convient donc au cartel implicite banque/état/promoteur de trouver en permanence de la chair à pâté pour ce cycle de prospérité dont aucune des parties, les organismes comme les particuliers, ne tient à discuter de l’inquiétante finalité. Qui de mieux, qui de moins propriétaire, qui de plus malléable que les plus jeunes ?

Renversant le modèle, mettant la charrue avant les bœufs, la jeune génération caressée dans le sens du poil est toute fière d’imiter ainsi ses parents. Elle reproduit ainsi, de plus en plus précocement, le rêve du pavillon en banlieue qui n’était souvent pour ses parents que la touche finale à un long parcours fait de locations et de promotions professionnelles. Le pavillon était alors la récompense du cadre moyen qui y voyait une aventure individuelle, son arrachement symbolique à la classe inférieure par la conquête territoriale d’un bout de zone tranquille. C’est ainsi que les quartiers dits de "petits-bourgeois" se sont constitués dans les périphéries des villes au milieu des années 70. Aujourd’hui, c’est rigoureusement l’inverse. Ce sont les pauvres qui achètent, côte à côte et aux mêmes endroits. Ce sont les pauvres qui signent par le crédit leur appartenance définitive à une catégorie sociale marquée géographiquement et professionnellement par la soumission.
En savoir + sur l'état de la bulle immobilière française...

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