6 octobre 2011

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Logement : Hollande en mode Cameron ?

Le site libéral Atlantico se fend cette semaine d'un énième billet en mode l'herbe est toujours plus verte ailleurs. Hughes Serraf y chante les louanges de la formidable créativité du gouvernement anglais "préférant le pragmatisme à l'idéologie" en matière de logement.

Des anglais dont, rappelons-le, le dynamisme économique et l'imagination immobilière plébiscités par un certain président en début de quinquennat reposaient sur deux fondations : l'accession à la propriété individuelle à tout prix et le développement de la finance décomplexée (et comme dirait Mr Subprime de Cleveland, Ohio dormant depuis 2008 à l'arrière de sa Hyundai : "toute relation de cause à effet serait fortuite ou involontaire"). Avant d'être une cause du cataclysme économique qui nous traverse, enrichir les riches en entretenant le désir des pauvres de le devenir est un mode de gouvernance occidental. Il est permet à certains de se goinfrer tout en ralliant à leur cause, strate par strate jusqu'aux moins fortunées, les classes moyennes téléguidées par les émissions immo d'M6. Ainsi le besoin basique d'un toit est devenu "un projet immobilier" : culte commun encouragé par les banques et relayé par les médias, permettant à une frange de la population de compenser, via le fantasme de la valorisation perpétuelle de leur propriété, la stagnation de ses revenus et de ses conditions de travail et son déclassement tandis que la génération de ses parents, déjà détentrice de capital et d'un patrimoine, s'enrichit comme jamais à l'ombre de niches fiscales taillées sur mesures. Et ainsi gonfle la "bulle", garantie d'une relative paix sociale pour les gouvernants tant qu'elle ne génère pas trop de rebuts (surendettés, locataires, mal-logés, SDF).

Pourquoi donc stopper cette belle science du rêve ?

Tadam ! Enter l'"innovation" britannique qui fait triper Atlantico. Le premier ministre David Cameron a évoqué l'idée de céder gra-tui-te-ment des terrains en friche (appartenant aux municipalités dans des zones de forte tension urbaine) à des promoteurs privés pour qu'ils les construisent et les remboursent, si possible, après la vente des appartements. Révolutionnaire ! Et tant qu'on y est dans l'innovation : pourquoi ne pas s'endetter un peu plus pour rembourser des banques en faillite hein

S'amputer de telles recettes en plein tabassage d'austérité[1] (provoquant zéro rebond d'activité en UK et le contentement des Anglais au point d'organiser spontanément des bûchers d'allégresse dans leurs banlieues) est juste une insulte de plus faite au peuple. Certes, en mode libéral, il ne faut jamais parler de collectivité ne percevant pas assez mais d'individus trop coûteux.

Et H.Serraf de prendre en exemple les prochains Jeux olympiques de Londres qui ont fait sortir de terre "des milliers de logements" des quartiers les plus déshérités. Gageons qu'il ne seront plus déshérités très longtemps puisque c'est précisément dans ces quartiers que l'on a expulsé les plus pauvres pour bâtir des temples à la gloire du patriotisme, du muscle et de la baballe dont les 8 milliards de livres sont réglés par les un peu moins pauvres (tiens là, je sens que je regagne les suffrages libéraux). On aurait pu utiliser depuis des années le dixième de ce pognon pour réhabiliter les taudis existants et construire du logement social sans passer par la case JO[2]. Mais non trop simple.  Euh... pardon contre les lois du marché.
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Demandons-nous plutôt pourquoi ces terrains en friche dans des zones de forte demande n'ont pas été vendus plus tôt par les municipalités ou, mieux, déjà transformés en habitations sociales ? Le réponse tient en un mot : "gentrification". Les richesses s'hyperconcentrent. On ne veut plus de pauvres dans les capitales. Point barre. Des espaces verts, de la piste cyclable, des voitures électriques, des jeux olympiques oui. Du gueux non (enfin, on en tolérera toujours quelques-uns pour construire les stades et les immeubles en question).
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On peut également s'interroger : en quoi il serait moins déraisonnable et "innovant" de donner des logements aux travailleurs à revenus modestes en leur faisant confiance pour "rembourser après" que de céder du terrain pour rien à un secteur mondialement réputé pour sa transparence, son sens du social et son honnêteté? Faut-il en conclure que les gouvernements ont perdu toute croyance dans un individu moyen pouvant s'enrichir sur la base de son seul salaire?
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Pourquoi l'Etat donnerait-il là où il peut ordonner (après tout il ne se gène pas avec les individus) ? Donner du terrain au secteur privé au moment précis où le m2 est au plus cher alors qu'il peut lui ordonner la construction de programmes immobiliers après un appel d'offre serré, en promettant une part seulement de la gestion ? Il y a là un mystère que je m'explique pas autrement que par : "houlala, on ne veut surtout pas que ça change, mais faut pas le dire alors appelons-ça de l'innovation".

J'étais donc à deux doigts de faire un petit billet de réponse pour exposer combien cette promesse d'étrenne  au merveilleux monde humaniste de l'immobilier privé au moment où le mal-logement explose (après 30 ans d'un laxisme coupable de l'Etat dans le secteur) était aussi stupide que de comparer Londres, la mégapole sans fin, avec Paris, le village ultra-dense enclavé dans sa barricade en béton[3], lorsque je tombai sur un autre article de Libération relatant un entretien avec François Hollande. Interloqué (enfin pas vraiment), j'y découvrais que le candidat à la primaire socialiste défendait à peu de choses près la même ligne que l'éditorialiste d'Atlantico !
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"Sur les terrains publics, Etat, SNCF, RFF, etc., la seule bonne position, c'est que l'Etat accepte ne pas avoir de rentrée immédiate, donc de libérer ces terrains pour les collectivités locales, avec des baux emphytéotiques ; c'est la bonne formule. Finalement, ce préfet [Daniel Canepa qui a évoqué cette piste pour la région Ile-de-France] n'est pas si mal... Faut-il encore que cela se fasse, mais ce n'est pas lui qui décide. C’est le ministère des Finances, mais pas seulement, la SNCF et tous les organismes publics sont également concernés. C'est donc la seule façon. Mais si l'Etat ou les organismes publics cèdent ces terrains-là, avec un bail emphytéotique, il faut s'assurer que ce seront bien des logements de toutes catégories que seront construits sur les zones en question."
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Tout est dans la dernière phrase. Il ne suffit pas de construire pour construire, mais bien de s'assurer que 1 / les appartements soient habités (C'est tout bête, mais c'est quand même le problème numéro un sur Paris) 2 / la mixité sociale y soit garantie sur contrat. Vu que ce sont les mêmes qui ont tout fait depuis dix ans pour qu'aucune de ces conditions ne soient assurées (l'un par rentabilité, l'autre par tranquillité), et nous aussi "préférant le pragmatisme à l'idéologie", nous doutons de la finalité de cette "innovation". Spécialement lorsqu'elle survient dans une période bénie des dettes pour les prédateurs du privé. Au nom du triple A et de "l'imagination" à mettre en oeuvre pour circonscrire les déficits (en décodé : t'en coller plein la tronche), petit à petit un peu partout en Europe, ils s'accaparent pour l'euro symbolique des derniers sanctuaires d'un Etat trop soulagé de se débarrasser de l'intendance.
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En attendant... Lorsque je quitterais mon appartement, si ce jour arrive, le proprio m'a déjà prévenu que le loyer prendrait 30% pour le locataire suivant (qui a intérêt à être ambassadeur ou fils de promoteur).
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Ah le vingtième... ce quartier populaire programmé pour ne plus l'être.
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Illustrations : zeutch.com

[1] arrêtons avec le mot "cure". L'austérité ne nous soigne pas mais nous tue.

[2] D'ailleurs, quelle capitale retrouvait-on comme candidat majeur face à Londres dans la compétition pour l'attribution des JO 2012 ? Les derniers revenus modestes de Paris ne remercieront jamais assez Luc Besson d'avoir fait le film promotionnel sur Lutèce le plus pourri depuis la création. Imaginons les JO à Paris en 2012 : le deux-pièces serait passé de 1200 à 2000 euros.

[3] Principale similitude entre les deux villes : se transformer en citadelles aseptisées pour revenus aisés privilégiant les touristes aux classes moyennes. Cette purge des pauvres prend les camouflages les plus "bio" et "progressiste", voire "verts" : péage urbain, création de musée ou d'espaces vides...  A Londres, le cercle s'agrandit progressivement (la zone de la congestion charge est la frontière la plus perceptible). A Paris intra-muros, l'éradication des classes moyennes est quasi complète.

9 comments:

Nicolas Jégou a dit…

Petit 1 : je suis bien "content", tu as le même problème que moi avec mes blogs blogspot (les flux sont mal générés, parfois, quand on y accède peut de temps après la publication).

Petit 2 : je viens ici faire mon parfait militant batave (cela dit, j'ai fait un billet pour dire que le seul point de désaccord que j'avais avec Hollande était à propos de l'immobilier, notamment dans le fait que je ne vois pas pourquoi mes sous iraient aider les autres à acquérir un logement mais ce commentaire est déjà trop long il faut que je tienne mon rôle de batavophiles après avoir fermé cette parenthèse).

"nous doutons de la finalité de cette "innovation""

Tu fais donc un procès d'intention.

Surtout : "la seule bonne position, c'est que l'Etat accepte ne pas avoir de rentrée immédiate, donc de libérer ces terrains pour les collectivités locales".

Il s'agit bien de mettre les terrains à la disposition des collectivités locales et pas à des méchantes sociétés privées pleines de pognon. Ca ne me parait pas totalement idiot...

IG a dit…

c'est ridicule, cette comparaison : François Hollande ne parlait pas de céder à des promoteurs privés mais à des collectivités, sur la base de convention, comme cela a été le cas à Paris (mais pas gratuitement) sur les terrains Clichy-Batignolles où la Ville et l'Etat ont signé une convention sur les grands principes d'aménagement (dont 50% de logements sociaux, équipements publics...)

IG a dit…

Qui plus est, ce serait fort utile aux collectivités qui ont clairement des problèmes pour investir sans trop s'endetter plus.
Pour moi, c'est clairement concevoir l'Etat comme stratège en matière de logements et en partenaire privilégié des collectivités. cela les changera !

Anonyme a dit…

- le problème c'est que sur ces terrains gratuits seraient contruits des logements de "toutes catégories". C'est 100% de logements sociaux qu'il faut, pour compenser leur manque.

- j'irai même plus loin : expropriation de terrains privés si les publics ne suffisent pas.

- pour finir j'apprécie que l'auteur s'aperçoive de la vraie nature de la mode "écolo" (surtout à Paris).

Michel Baujard a dit…

Sans baux emphytéothiques, les jeunes du monde entier n'auraient pas profité depuis plusieurs décennies des trois magnifiques hôtels de jeunes situés au coeur de Paris, dans le Marais. Les MIJE, Maisons Internationales des Jeunes et des Etudiants, ne sont pas d'affreux capitalistes mais une association d'éducation populaire fondée en 1958. Qu'on se le dise. On peut imaginer et réaliser des solutions intelligentes au lieu de passer son temps à radoter et maugréer. Merci.
http://mije.com

Anonyme a dit…

@ Michel Baujard

Maison fondée en 1958 ...par la franc-maçonnerie (Paul Anxionnaz fondateur des MIJE et maître de Grand Orient de France)

http://www.mije.com/presentation.html

"De cette initiative naîtront - le 30 janvier 1958 - les Maisons Internationales de la Jeunesse et des Etudiants, sous l’impulsion d’un ancien ministre, Paul Anxionnaz"

http://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Anxionnaz
http://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Orient_de_France

"les jeunes du monde entier n'auraient pas profité depuis plusieurs décennies des ..."
En attendant, il y a des jeunes du coin qui dorment sur tapis de sol.

Tassin a dit…

@ Seb :

Comme les autres je ne comprend pas la similitude que tu vois entre la proposition de Cameron (personnage qui me donne envie de vomir) et Hollande (à qui j'ai envie de donner des claques et de le renvoyer en 1983 faire copain copain avec Delors, époque à laquelle il serait paru moderne).

L'un parle de donner des biens publics en cadeau au privé et l'autre parle de les transférer aux Régions, Départements, EPCI ou Mairies pour y construire des logements.

De mon point de vue (et pour m'intéresser de près au bâtiment sous l'angle thermique, matériaux et environnement) les collectivités locales sont bien mieux placées que l’État pour promouvoir des initiatives solidaires, participatives, innovatrices ou même avant-gardistes auprès des petits acteurs de la filière et non des Bouygues et cie.
La mixité des logements créés est même évoquée par Hollande!

C'est une des premières fois ou je ne suis pas d'accord avec un de tes billets à tel point que je me demande si je n'ai pas loupé quelque chose même après l'avoir relu...

Seb Musset a dit…

@Nicolas > j'ai répondu sur ton blog. Absence de colonne vertébrale de F.Hollande sur le logement. Du coup, il pique des idées à droite à gauche sans vraiment considérer la problématique (logique il vise le centre, ou la part des proprios et rentiers est plus élevée). Étonnant e revanche dans la mesure où il a fait de la jeunesse le coeur de son projet et qu'il place la thématique en 2 des priorités de son action dans son livre (en restant vague dans les pages suivantes).

@Isabelle Gachet > On ne va pas se lancer sur la théma des constructions d'HLM et leurs fonctions finales sur Paris, je vais déborder. Mais, là je pense qu'avec mes 5 dernières années d'observation j'ai un bon bouquin à faire sur cette ville. Enfin quand j'aurai trouvé un environnement vivable pour l'écrire. Parce que là pour l'instant c'est Zola.

@Michel Baujard > Les "jeunes du monde entier", ainsi que les touristes japonais, ne sont pas ma priorité en matière de politique urbaine.

@Tassin > Comme je le dis, si la mixité est garantie, OK. De plus, t'auras beau transférer des terrains gratos à des collectivités. Le fait est que les électeurs ne veulent souvent pas de HLM a coté de chez eux. Que les collectivités soient plus au courant du terrain et des besoins, encore heureux, mais 1 / toutes les mairies ne sont pas à gauche 2 / même dans les municipalités de gauche, ça coince parfois sur le sujet.

C'est une ruse de rentiers de faire croire qu'il y'a pénurie dans certaines zones alors que le vrai problème c'est la vacance.

C'est mon côté odieux gauchiste, mais dans les zones de forte densité, il faut taxer progressivement puis saisir les logements inoccupés avant de construire. C'est la façon la plus immédiate de renverser le rapport de force.

Tassin a dit…

@ Seb:

Ok. Je trouve le principe de céder les terrains aux collectivités avec obligation taux minimal de HLM dans chaque construction plutôt intelligente.

Par ailleurs tu ne crois pas que le soucis du logement vacant est un problème Parisiano-Parisien? Ou du moins réservé aux villes de plus d'1 million d'habitants et/ou littorales?
Je ne ressens pas ce phénomène dans ma ville de 100 000 habitants. Le responsable de la flambée des prix par chez moi, c'est même pas les bobos, c'est juste la spéculation et les gens plaçant dans l'immobilier.

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