" Nous franchissons chaque jour une étape rendant plus improbable le voyage retour, agrippés au souvenir de ces années où tout allait bien. Cette époque a-t-elle seulement existé ?
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Dans le goulot d'étranglement du progrès forcé, même les radicaux se claquemurent dans leurs salons carrelés aux encens sophistiqués. Tous ensemble, nous consentons au mouvement, le samedi après-midi, congestionnant rocades et parkings. Tant qu'il y aura un minimum de confort, il n'y aura guère plus d'efforts. L'insurrection, produit d'appel, s’achète 3 euros chez des marchands milliardaires et s'offre entre instruits au pied du sapin. On en a parlé sur un plateau à paillettes, devant un papier peint de public, lors d'une passe d'armes entre universitaires du dernier mot et fille de chanteur. "Fasciste !", "stalinien !" et "achetez mon Blu-Ray !" s'y applaudissaient d'une même transe.
Dans le goulot d'étranglement du progrès forcé, même les radicaux se claquemurent dans leurs salons carrelés aux encens sophistiqués. Tous ensemble, nous consentons au mouvement, le samedi après-midi, congestionnant rocades et parkings. Tant qu'il y aura un minimum de confort, il n'y aura guère plus d'efforts. L'insurrection, produit d'appel, s’achète 3 euros chez des marchands milliardaires et s'offre entre instruits au pied du sapin. On en a parlé sur un plateau à paillettes, devant un papier peint de public, lors d'une passe d'armes entre universitaires du dernier mot et fille de chanteur. "Fasciste !", "stalinien !" et "achetez mon Blu-Ray !" s'y applaudissaient d'une même transe.
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La régression des libertés, l'étau de l'austérité, la lyophilisation des idées passent comme dans du beurre, à croire que nous sommes demandeurs. Il y a encore de la marge. Nous pouvons aller encore plus loin dans la souffrance, nous le savons bien. Après tout, nous en avons déjà assez subi pour nous révolter mille fois mais, avec la régularité d'un salaire par virement ou d'une traite à régler, nous ne hurlons jamais. On le justifie d'un : "ça ne sert à rien". Tandis que la financiarisation siphonne l'espoir, que l'actionnaire là-bas biffe les vies ici, nous, les "moyens", la peur comme moteur, nous concentrons nos forces à nous épier.
La régression des libertés, l'étau de l'austérité, la lyophilisation des idées passent comme dans du beurre, à croire que nous sommes demandeurs. Il y a encore de la marge. Nous pouvons aller encore plus loin dans la souffrance, nous le savons bien. Après tout, nous en avons déjà assez subi pour nous révolter mille fois mais, avec la régularité d'un salaire par virement ou d'une traite à régler, nous ne hurlons jamais. On le justifie d'un : "ça ne sert à rien". Tandis que la financiarisation siphonne l'espoir, que l'actionnaire là-bas biffe les vies ici, nous, les "moyens", la peur comme moteur, nous concentrons nos forces à nous épier.
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"Moyens", nous nous déterminons ainsi, nous dédouanant de toutes les responsabilités dans le déroulement des évènements. Isolés sans classe, nos signes de ralliement : des objets. Pour se les payer et ne pas sombrer - il en va de notre identité -, nous nous laisserons bientôt aller à manger de la poussière "pourvu qu'elle ne soit pas chère". La victoire du marché, même quand il échoue à nous rendre mieux, est complète, son étendard planté par-delà la dernière frontière, en nos âmes. Il modèle le présent, certifie l'après. "Pas d'alternative !" sort du tube la pensée à tartiner : "trois milliards d'humains tueraient pour être moyens à vos places feignasses !"
"Moyens", nous nous déterminons ainsi, nous dédouanant de toutes les responsabilités dans le déroulement des évènements. Isolés sans classe, nos signes de ralliement : des objets. Pour se les payer et ne pas sombrer - il en va de notre identité -, nous nous laisserons bientôt aller à manger de la poussière "pourvu qu'elle ne soit pas chère". La victoire du marché, même quand il échoue à nous rendre mieux, est complète, son étendard planté par-delà la dernière frontière, en nos âmes. Il modèle le présent, certifie l'après. "Pas d'alternative !" sort du tube la pensée à tartiner : "trois milliards d'humains tueraient pour être moyens à vos places feignasses !"
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Oh, nous ne perdrons pas tout tout de suite et pas tous à la même vitesse. Certains y voient d'ailleurs la cause fondamentale de l'inertie nationale. Les jeunes sombrent comme ils vivent : volontaires, silencieux et ignorés. Les vieux poursuivent leur adolescence. Nous autres, les "moyens du milieu", restons soumis à nos activités rémunérées, tant qu'il y en a, grattant jusqu'au sang nos angoisses pour y trouver une trace de sens. Le soir, l'imagination à quatre touches - 1, 6, volume moins, volume plus -, nous nous vidons de nos vies via l'écran en plongeant dans celles de nos voisins, compagnons de centres commerciaux, concurrents de postes, souffres-douleurs ou supérieurs hiérarchiques, ces ennemis de proximité dont nous ne prendrons jamais le risque de trop diverger.
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D'une saison l'autre, la première compagnie récolte nos détresses télégéniques, les recrachant dans des programmes marathons coupés aux réclames mêlant cul, cupidité et gamins gâtés, à la gloire du glamour, de la belle vie, du poker et du crédit, de l'accomplissement formaté déversé par barriques sur la braise de nos frustrations honteuses. Ces caricatures nous sidèrent : des existences malaxées dont la perspective, l'unique réponse aux drames, est de passer sur nos plasmas 3D à l'image plus précise que la réalité. Nous jurons chaque soir de ne plus y revenir. Moqueurs et grimaçants, nous nous effaçons devant ce spectacle de la société, un peu sales mais rassurés l'écran éteint d'être des privilégiés. "
Oh, nous ne perdrons pas tout tout de suite et pas tous à la même vitesse. Certains y voient d'ailleurs la cause fondamentale de l'inertie nationale. Les jeunes sombrent comme ils vivent : volontaires, silencieux et ignorés. Les vieux poursuivent leur adolescence. Nous autres, les "moyens du milieu", restons soumis à nos activités rémunérées, tant qu'il y en a, grattant jusqu'au sang nos angoisses pour y trouver une trace de sens. Le soir, l'imagination à quatre touches - 1, 6, volume moins, volume plus -, nous nous vidons de nos vies via l'écran en plongeant dans celles de nos voisins, compagnons de centres commerciaux, concurrents de postes, souffres-douleurs ou supérieurs hiérarchiques, ces ennemis de proximité dont nous ne prendrons jamais le risque de trop diverger.
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D'une saison l'autre, la première compagnie récolte nos détresses télégéniques, les recrachant dans des programmes marathons coupés aux réclames mêlant cul, cupidité et gamins gâtés, à la gloire du glamour, de la belle vie, du poker et du crédit, de l'accomplissement formaté déversé par barriques sur la braise de nos frustrations honteuses. Ces caricatures nous sidèrent : des existences malaxées dont la perspective, l'unique réponse aux drames, est de passer sur nos plasmas 3D à l'image plus précise que la réalité. Nous jurons chaque soir de ne plus y revenir. Moqueurs et grimaçants, nous nous effaçons devant ce spectacle de la société, un peu sales mais rassurés l'écran éteint d'être des privilégiés. "
Illustration : Poltergeist / T.Hooper (1982)
17 comments:
Il y a une torpeur générale mais qui ne va plus durer très longtemps. On attends indéniablement que le frigo se trouve vide, et il le sera, mais il est déjà trop tard pour rattraper un système qui est au fond du gouffre.
Et on est tous en train de l'aider a voir ce qu'il y a au plus profond..
Bonjour Seb.
Déjà, chez moi il n'y a pas cette machine à décerveler qu'on appelle la télé .
Çà aide, un peu.
un sondage recent, avec certes la fiabilité toute relative des sondages en general, annonce que les citoyens de ce pays n'ont jamais autant regardé la télé
Alors que les programmes, avec l'arrivée de la télérealité ces 10 dernieres années, n'ont jamais été aussi merdique. Sans commentaire...
Les gens sont vraiment des moutons
@babelouest > j'ai bien peur que l'on puisse dire la même chose d'internet. Le média n'est, au fond, pas en cause. C'est l'usage que l'on en fait qui est désastreux. La télé n'est pas un mal, ce sont nos 4 heures par jour de consommation qui sont néfastes.
@seb musset :
Au contraire, la télé porte en elle ce que tu dénonces. C'est un objet de passivité qui invite à gober sans réfléchir, dont le contenu est centralisé et formaté. En bref, elle taillé pour que l'on soit spectateur.
A contrario, Internet oblige un minimum d'activité, dont l'usage dépend ici bien plus du choix de chacun. Il est plus taillé pour que l'on soit acteur, même si cela ne va pas de soi et qu'il faut en faire l'effort.
Excellent texte.
Wow, c'est un Elluliste* qui va parler la.
Que ce soit le portable, la tele, ou internet. Ce sont des outils qui repondent a des buts humains, qui sont utilise pour etre efficace, et ce, peu importe le contenu de l'information dégagé. Donc que l'on utilise pour des trucs potable ou non n'a rien a voir avec la technique utilisé. La nous parlons de l'intentionalité que l'on porte a ces outils, et pas de ces outils en eux meme.
J'estime d'ailleurs aujourd'hui qu'Internet est plus alienant que toute les TV, portable, I-phone etc... reunit! En disant cela je vais certainement m'attirer les foudre mais tant pis. (D'ailleurs il n'y a rien de paradoxal a ce que j'ecrive ici car je reste conscient de mon addiction à internet meme si j'essaie de me soigner.)
Internet permet de chercher ce que l'on veut, mais comme nous sommes conditionné a ne rechercher que ce dont nous connaissons l'existence, encore faut-il avoir un minimum d'esprit critique pour savoir sur quoi s'informer. Et internet ne permet pas intrinsequement ce recul.
... Euh c'pas tout mais j'ai comme l'impression d'avoir ete brouillon.
Romuel S.
* elluliste : qui se revendique de la pensee de jacques ellul.
pour ceux que ça interesse http://www.jacques-ellul.org/
la tv abruti mais internet a tendance a remplacer la réalité: éviter les déplacements, éviter de rencontrer l'autre et
vivre une vie virtuelle sur facebook ou dans les mmorpg
@Brogol > D'accord, sur la côté "fascinatoire" et le pouvoir de l'image (vu, revu et vérifié même chez ceux qui croient en être immunisés).
1 / En revanche, le côté formaté peut se retrouver sur internet, même s'il peut y avoir une transversalité des idées via les réseaux sociaux, on a vite tendance à s'enfermer dans quelques sites, sur quelques "lignes".
2 / La profusion, l’instantanéité, peuvent au final avoir des effets, autres mais également dévastateurs.
Une fois de plus, télé ou internet, seul l'usage compte et surtout, l'instruction et le charpentage intellectuel en amont.
Tout a fait d'accord sur la fonction hypnotique de la télé et du résultat qui en découle : une apathie citoyenne généralisée. J'aurais toutefois tendance à nuancer votre réponse à Brogol : internet étant un espace libre et ouvert, il peut être un réel moyen d'instruction. Ce qui ne me semble pas être le cas de la tv, simple outil d'education, voire de ré-éducation....
Enorme ce billet.
TV vs internet... C'est du pareil au même. L'idéologie dominante financiarisée récupère tout support médiatique à son avantage, tôt ou tard.
Internet, en donnant l'illusion de la liberté d'expression, de documentation, d'information, permet de diviser encore plus, et donc de mieux régner.
Qu'il est facile à l'endetté de croire qu'avec un avatar, il suivra la perverse road, et s'affranchir de son joug en 140 caractères et d'un clic sur un "like".
Avant j'etais accro à la tv, maintenant je suis accro à internet, mais tout les jours j'apprends quelquechose et je suis moins con...merci seb ;-)
Vous pouvez voir les videos réalisées par Benjamin Bayart Président de FDN, Concernant la neutralité du net entre autres.
Internet 2.0 ou minitel 2.0?
http://www.ilico.org/2010/08/comprendre-internet-en-6-heures-et-en-video/
Joli billet. C'est de la poésie !
Et ça n'est pas près de changer !
Audiences février 2011
TF1 23,9%
France 2 15,3%
M6 10,9%
France 3 9,9%
TMC 3,5%
France 5 3,5%
W9 3,4%
Canal+ 3,2%
Direct 8 2,3%
Gulli 2,2%
NRJ12 2,2%
France 4 1,7%
NT1 1,6%
Arte 0,9%
source "lemonde"
Ausgelander
sur tv versus internet, n'importe qui peut faire passer un message sur internet, à la télévision les accès sont bloqués réservés, c'est une différence énorme.
Internet, contrairement à la TV permet d'approcher la vérité...ou du moins LES vérités...
On peut arriver à se sortir de la société du spectacle...
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