Mélancolie manager par essence, son nom ayant tellement marqué mon enfance, égoïstement c'est à un passé qui s'estompe un peu plus auquel j'ai pensé et dont l'épouvantail Le Pen aura été un des marqueurs au même titre que Bernard Tapie, le paquet de Marlboro à 6 francs et Michael Jackson.
Sur les réseaux sociaux, c'est la fête à Gaucho Park. A Paris, plusieurs milliers de personnes se rassemblent place de la République pour fêter au champagne la mort du vieillard, comme s'ils avaient fait tomber de leurs propres mains Saddam Hussein.
Je resterai toujours fasciné par la haine. Ici envers un homme du quatrième âge qui, en soixante-dix ans de carrière politique, n'a jamais atteint le pouvoir suprême, n'a jamais été ne serait-ce qu'à proximité de celui-ci. Qui ne l'a d'ailleurs jamais voulu (il n'aurait pas agi de la sorte, à répétition, dans les médias). Qui n'a plus aucune influence concrète depuis quinze ans et qui n'en aurait jamais eu aucune si les socialistes, en naufrage programmatique, n'en avaient pas fait leur méchant favori depuis les années 80 (feignants, ils n'ont fait aucune mise à jour depuis).
On lui reproche des mots, des phrases de merde, soit l'équivalent de la routine quotidienne de la plupart des élus LFI aujourd'hui (s'il y a un héritier direct dans la forme outrancière de Le Pen, c'est Mélenchon, et je méprise Mélenchon aujourd'hui pour les mêmes raisons que je méprisais Le Pen hier).
Par une facétie de l'histoire, ce décès tombe le jour de l'anniversaire (et l'escamotage opportun pour certains, ils se reconnaîtront) des dix ans de l'attentat contre Charlie Hebdo et de ses victimes… assassinées pour des mots (et des dessins). Comme quoi, on a beau être rigoureusement au même endroit à dix ans d'écart, les appels à la liberté d'expression et les « vous n'aurez pas ma haine » restent plus que jamais à géographie variable, selon de quel côté du front républicain tu te trouves.
Étrangement, cet apéro de la mort en plein air avec appels festifs au meurtre dans l'impunité générale (« Marine, t'es la prochaine ! »), alors que la veille, sur ordre de Bruno Retailleau, des centaines de CRS ont mis la pression sur trois pauvres tracteurs de la Coordination rurale qui tentaient de rallier Paris pour alerter sur le drame des agriculteurs, convoque d'autres images du passé, et cette anecdote que je vous livre ici. Peut-être le point de départ de mon expérience politique.
1988, école de graphisme, Paris. Un des profs de dessin organise un scrutin entre élèves juste avant les élections présidentielles. Mitterrand fait un carton chez les étudiants : quelque chose comme 300 voix sur 301. Et le dépouillement terminé, on découvre qu'il y a un vote pour Le Pen. Juste un. Une bonne partie des élèves ont alors plongé dans une colère irrationnelle et ont cherché à savoir qui avait pu, quel raciste avait osé, voter Le Pen, prenant à partie tout le monde dans une ambiance de tribunal, en appelant à la délation du fasciste caché dans nos rangs.
Je précise : 1/ que ce n'était pas moi (mais que limite ça m'aurait donné envie). 2/ qu'il n'y avait strictement aucune diversité dans les élèves. Nous n'étions que des blancs urbains privilégiés, avec des parents à revenus confortables, qualifiables de CSP+. Je n'ai pas compris à ce moment-là de quoi était fait Le Pen ni qui il était vraiment (je me contrefichais du cirque politique à l'époque), mais j'ai saisi de quelle étoffe étaient faits certains de ses nobles opposants.
Le futur n'a pas infirmé cette intuition.
Dans ce n'importe quoi aux effluves de shit et de 8.6, certains de mon ancienne classe dansent probablement ce soir Place de la République. Comprennent-ils qu'avec la fin du grand méchant loup c'est aussi leur petit monde de probabilité morale et de supériorité intellectuelle, sur fond d'intolérance et de bêtise crasse, qui s'efface encore un peu plus ?
Probablement pas, mais bonne fête quand même les gars.
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