12 mars 2023

, , ,

Les poubelles de la colère

Le dialogue social à la française prend de nouveaux arômes. Plus à une déconnade près pour justifier son silence face aux mobilisations historiques qui émaillent la France depuis deux mois contre sa réforme des retraites (je le rappelle ici rejetée par 9 actifs sur 10), notre Président (aka Mister 49.3) déclare vouloir respecter le travail démocratique en cours au Sénat et à l'Assemblée nationale. Il parait que notre homme, fier de son triomphe programmé, se place déjà dans "l'après". 

Pourtant ça coince lentement de partout. De blocages d'autoroutes en coupures d'électricité, le grippage de l'activité s'installe tranquillement. À Paris, les évènements prennent une tournure olfactive. La situation a vite dégénéré. Suite à la grève reconductible des éboueurs, en 5 jours la capitale est littéralement submergée de déchets. Bientôt 10000 tonnes. Comme chaque parisien, j'ai désormais devant chez moi une montagne de sacs poubelles de 2 mètres de haut sur 5 mètres de large en schlingorama. Au hasard des concentrations d'habitations face à l'exiguïté des trottoirs (sans compter l'omniprésence de chantiers dans toute la ville) les remparts de déchets peuvent prendre des proportions bien plus dantesques. Certains immeubles sont déjà difficilement accessibles ou à travers des labyrinthes de sacs renforcés de structures montées par quelques concierges bricoleurs.

Cette exposition parisienne à l'air libre de l'art de la poubelle, où les contenus sont offerts à la vue de tous, est l'occasion de déplorer la surconsommation de mes contemporains. 80% de ce que j'y vois ne devrait pas y être (ne pas avoir été jeté, ne pas avoir été acheté ou mieux encore : ne pas avoir été produit). Voyons toutefois cette surconsommation comme un opportun combustible insurrectionnel. La force de Paris est aussi sa faiblesse : tout y est concentré. Le raz-de-marée des détritus n'épargne personne et surtout pas les quartiers riches. 

Fidèles à eux-mêmes les parisiens jouent encore la partition de l'insensibilité au monde extérieur, traçant leur cap, fiers et avec une haute idée d'eux-mêmes au milieu du caca général. Mais on le sent bien (si si on le sent) : encore quelques jours à ce rythme et la ville des lumières sera la planète poubelle du dessin animé Wall-E. Encore quelques empilements de Tetris de sacs et les commerces de bouche devront tout simplement fermer, l'activité touristique sera réduite à zéro et, laissant la place à de nouveaux propriétaires, les rats, le parisien devra songer à l'exil vers de nouveaux edens incertains au-delà du périphérique : Melun ou Ris-Orangis. Il ne faut pas blâmer les éboueurs grévistes, ils ont prévenu et longtemps à l'avance en plus. Il n'y a qu'un responsable dans l'histoire : Macron. C'est lui qui gravite en électron libre dans l'hyper espace de ses fantasmes. Le seul travail qui compte à ses yeux c'est celui de son image dans les livres d'Histoire, le réel c'est votre problème, chacun sa merde. 

Au-delà de l'odeur, cette grève des poubelles est un moment de toute beauté, la matérialisation la plus concrète de la contestation contre une réforme de merde. À l'heure de l'inflation décomplexée et de la démocratie méprisée au plus haut sommet de l'état, ces montagnes de déchets (symboles de notre sur consommation) sont nos barricades au coeur de la Capitale. Peu à peu, elles se dressent, barrent la ville, congestionnent l'espace, pourrissent l'ambiance, étouffent les lieux de pouvoir. Avant le grand brasier qui sait ? Alors je me pince le nez et soutiens bien évidemment les éboueurs. À la différence d'un politique, quand un métier essentiel est en grève on le déplore tout de suite. Tout cela nous rappelle qu'on aura toujours bien plus besoin d'éboueurs que de députés LREM et que, mais c'est presque une règle d'or du capitalisme : plus un travail est utile à la collectivité, moins il est payé. 



Top Ad 728x90