31 janvier 2013

La ballade des banquiers heureux


"Vous donnez l’impression que vous [les banquiers] n’êtes pas spécialement gênés par cette loi."
Karine Berger, Députée PS, rapporteur du projet de loi visant à séparer les activités spéculatives des banques de leurs activités de dépôt.

J'écrivais hier sur la ferveur des débats sur le mariage pour tous aspirant l'espace d'information à consacrer au social ou à la vie de nos institutions. Au même moment, dans les sous-sols de l'Assemblée nationale, se déroulait devant la commission des finances l'audition de trois banquiers (Jean-Paul Chifflet, président de la fédération bancaire et DG du Crédit Agricole, Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale, et Jean-Laurent Bonnafé, DG de BNP Paribas) au sujet du projet de loi bancaire concocté par Pierre Moscovici.

Lors de notre rencontre en novembre dernier, le ministre des Finances nous prévenait au sujet de cette réforme: "je sais que je vais mécontenter tout le monde, c'est que je suis sur la bonne voie". Tout le monde sauf un petit village d'irréductibles. Si j'en crois les comptes-rendus de l'audition par Mediapart et Arrêt sur images, les banquiers vivent à la cool ce projet de réforme qu'ils n'auront de cesse de défendre durant les deux heures d'audition devant des députés excédés.

La séparation des activités spéculatives des banques de leurs activités de dépôt (sur la base du Glass-Steagall act), promise par Montebourg puis Hollande lors de la campagne présidentielle, n'aura pas lieu. Ou alors en version cosmétique, à bien étaler devant la caméra par un as de la langue de bois en troisième partie de soirée. 

Le lobby bancaire a opéré comme a son habitude, avec sa vision bien à lui de l'arithmétique, coupant la poire du 50/50 en 98/2. 

Dans le projet de la loi, les activités spéculatives (trading haute fréquence, financement des hedge funds) seront bien circonscrites dans des filiales à part, financées indépendamment. Mais les banquiers les annoncent généreusement entre 0.75% et 1,5% de leur activité.

T'es sur ? Non, je t'avoue, j'ai quand même un petit doute. Mais bon, nos banquiers sans le sou font comprendre à la commission, aussi convaincue que moi, que tout ça est trop compliqué et bien trop entremêlé pour y voir clair. Et quand les députés veulent en savoir plus, les banquiers opposent une fin de non-recevoir. Ils ne livreront pas les chiffres et volumes de transactions, ni quoi que ce soit concernant les paradis fiscaux, rapport au "secret commercial" (pourquoi diable faire des commissions alors ?).

Les banques seraient-elles devenues sages ? Les mêmes qu'il fallait renflouer à coup de centaines de milliards de dollars il y a quatre ans pour leur abus dans le domaine ne se consacreraient au casino financier qu'à hauteur de 1 à 2% de leurs activités ? 

Sur ce projet de séparation "équilibré", Pierre Moscovici apporte des précisions dans l'après-midi:

« Si j’avais estimé qu’aller au-delà était une solution efficace, je l’aurais fait. Mais la séparation stricte n’est pas une solution. Couper les banques en deux, créer des banques d’investissements n’en est pas une. ». Circulez y a rien à voir, attendons le prochain crash systémique avec sérénité. Il sera, comme de coutume, renfloué par les particuliers, les pays et un peu plus de dette.

Quelles sont les justifications de cette nanoréforme par les banquiers et leur ministre ? En substance: les banques françaises sont plus petites que la concurrence (le modèle anglo-saxon sur lequel il faut s’aligner. Les mêmes de préciser à d'autres moments que c'est précisément parce qu'on n'a pas suivi jusque-là ce modèle qu'il y a eu moins de dégâts ici). Des banques trop petites certes, mais représentant tellement de salariés que tout remettre en cause nous exposerait aussi au niveau national (Un Florange de la banque ? On ne peut pas se le permettre. Euh... enfin si).

Voilà. A défaut d'une profonde remise en cause par François Hollande, le grand projet de loi bancaire de "mon ennemi c'est la finance" est en passe d'accoucher d'une réformounette. Le plus ironique, c'est qu'elle est bien partie pour être encore moins ambitieuse que la directive de l'Union Européenne qui tombera d'ici quelques mois. 

En attendant, comme il faut bien financer tout ça, vos frais bancaires sont déjà réformés: 

60% des banques les augmentent cette année.

La réforme bancaire en carton dans 2013 Barnums de l'info /  (sebmusset)

Articles connexes :
- la révolution et les banques
- Crimes et délits du banquier
- Ces assistées les banques

5 comments:

Toutatis a dit…

Faut les comprendre aussi.

Des banques non scindées (comme actuellement) ça signifie que si la partie spéculative a des problèmes, on peut se servir dans les comptes des clients, l'épargne et les comptes courants. Alors que si la banque spéculative est isolée, il ne reste plus que les actionnaires...

Seb Musset a dit…

Tiens le commentaire de CDG a encore disparu, je le reposte ici :

"la question n est pas tant de separer la banque de depot de la banque d affaires (apres tout Lheman brother n etait pas une banque de depot) que de permettre aux banques de faire faillite sans mettre en danger toute l economie

Autrement dit, plus de "too big to fail"
Et evidement, c est pas Hollande qui va le faire (vu la quantite d enarques dans les banques au ministere des finances qui ne revent que de passer de l autre cote, c est pas etonnant)"

Oui. Justement, la séparation est le premier étage de cela. On ne les sépare pas vraiment parce qu'elles sont trop liées (c'est quasi texto ce qu'ont dit les banquiers), et on les sauve à chaque fois car leurs activités sont trop liées.

Combien de fois as tu compter les mots "trop liées" dans cette phrase ?

t0pol a dit…

Tout ceci montre qu'on s'est bien foutu de nous et que comme prévu la loi est carton.

J'ai la note de Gaël Giraud, elle montre que tout le pire est encore possible.

A noter que l'UE prépare une directive basée sur un rapport qui est + fort que la loi en carton française.

Unknown a dit…

La ballade des hauts fonctionnaires heureux.

"Jean-Paul Chifflet, président de la fédération bancaire et DG du Crédit Agricole, Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale, et Jean-Laurent Bonnafé, DG deBNP Paribas"

Les deux seuls qui comptent dans le débat, c'est la BNP et la SocGen. Pas de problème, elles sont obligatoirement dirigées par des hauts fonctionnaires. La BNP et la SocGen, c'est comme le PS: elles sont obligatoirement dirigées par des énarques. Avec les énarquesénarqu Hollande et Moscovici, les fonctionnaires de la finanice sont tranquilles.

Toutatis a dit…

@Arthur Hache
Ce n'est pas étonnant du tout, puisque les hauts fonctionnaires et les dirigeants des grands groupes privés font partie du même monde. On passe très facilement d'une fonction à l'autre. C'est très bien expliqué dans le bouquin "l'oligarchie des incapables" de Sophie Coignard et Romain Gubert. Ils s'expliquent là

http://www.dailymotion.com/video/xqi08j_l-oligarchie-des-incapables-sophie-coignard-et-romain-gub-les-matins-de-france-culture_news#.UQrAd92EfrE

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