28 novembre 2012

, ,

Pierre Moscovici et les blogueurs : Ceci n'est pas de l'austérité


18h50. Alors que j'enfile mes pièces jaunes dans cette machine qui a remplacé un emploi de guichetier la station de métro Bercy, la dame d'une soixantaine d'années, bien habillée et maquillée, me demande de la monnaie:
 
LA DAME
" - Regardez, il vous reste 50 centimes. C'est la moitié du prix d'une baguette. Avec ça, je mange ce soir."

MOI
" - Je sais"

Voilà dans quelle disposition mentale, je me rends à la "rencontre numérique" entre le ministre de l'Economie et des Finances et les blogueurs se tenant quelques mètres au-dessus. Ayant déjà rencontré Pierre Moscovici deux ans plus tôt, je sais à quoi m'attendre, même en petit comité 2.0, et ne table pas sur un autre discours que celui tenu sur les ondes[1]. 


Face aux dix twittos et blogueurs[2], le ministre nous confie qu'il entame "une bataille de communication" où il s'agira de faire "plus de pédagogie" sur son action et les chantiers en cours, notamment celui de la Banque Publique d'Investissement qu'il veut opérationnelle pour janvier 2013. Devant notre retard à l'allumage, il se lance dans un préambule synthétisant son premier semestre au ministère autour des trois axes de sa "cohérence stratégique": la réduction de la dette ("afin de donner une marge de manœuvre à la France", l'Europe et la compétitivité. 

...et vise les 0.8% de croissance pour 2013 et l'inversion de la courbe du chômage avant fin 2013 et de la dette en 2014.

Bref, ça va pas être trop la peine de la chauffer sur le protectionnisme, le partage du travail ou le carcan de l'euro. On peut juste tenter de le chercher un peu, en le poussant à se justifier sur les questions qui nous fâchent. Tout le monde a d'ailleurs un peu les mêmes:

Retour sur trois thématiques abordées.

1 / La bonne fin de l'utilisation du crédit d’impôt aux entreprises.
Au regard des aides fiscales dont elles bénéficient depuis 30 ans sans effet sur l'emploi, avec le package à 30 milliards (en partie financé par une hausse de la TVA) les entreprises vont-elles vraiment se mettre à investir et embaucher en France ? On peut en douter vu le peu de garanties demandées. 

Serein, Le Ministre ne cache pas la dimension de "pari" de la mesure. "Il y a patrons et patrons" [...] le patron d'une PME n'est pas quelqu'un qui adore se délester de l'emploi". S'il est avéré qu'une entreprise se rend coupable d'évasion fiscale, elle ne pourra pas bénéficier du crédit d'impôt, ajoute-t-il. Il annonce la mise en place d'un "vaste plan de lutte contre la fraude fiscale" avec l'objectif de... récupérer un milliard (Une goutte d'eau comparée aux dizaines de milliards qui échappent au fisc chaque année, dans un contexte où les stratégies d'optimisation fiscale des grandes entreprises sont peu évoquées pour expliquer les écarts de compétitivité entre pays[3]). P.Moscovici veut également réformer l’impôt sur les sociétés (alignement des PME et des grosses sociétés) avant la fin du quinquennat.


2 / Le pataquès des #geonpi.
Comment et pourquoi avoir cédé à 30.000 likes Facebook manipulés par des exilés fiscaux ? Et de la pertinence d'avantager fiscalement les cessions d'entreprises ?

"- Moi je ne suis pas droit dans mes bottes" lance-t-il en faisant référence à Alain Juppé. Selon le ministre, le projet était "mal calibré" dès le départ. Bizarrement, il lui aura fallu une mobilisation virtuelle, et surtout une reprise dans la presse économique étrangère pour qu'en cinq jours, il tire ce constat. Sur le symbole envoyé, il répond que "devenir riche n'est pas une chose négative", mais insiste sur la redistribution que cette richesse implique (ce qui parait contradictoire avec le fond de cette histoire). 


3 / Est-ce encore de la gauche ? 
Hausse de la TVA, gel du barème de l'IR, un coup de pouce minimal au SMIC, compétitivité envisagée par le seul "coût du travail"... Ce n'était pas le changement de cap économique que l'on espérait.

Questionné sur ses valeurs d'"homme de gauche", Moscovici nous livre son diagnostic sur la victoire de mai dernier : François Hollande ne la doit qu'à la médiocrité du bilan de Sarkozy.

" - C'est parce que c'est difficile que nous sommes là [...] La France est un pays attaché à la gauche, mais pas un pays de gauche.

Nous touchons l'algorithme de base d'une grille de lecture gouvernementale justifiant les choix économiques du moment: l'application d'une politique favorable aux entreprises teintée d'une dimension de justice sociale pour contrebalancer

D'autres questions sont abordées [liens en fin de billet]: la loi bancaire qui prend du retard et se fera en version minimale, la situation grecque (et les récentes avancés obtenues par la France :réduction des taux des banques, rétrocessions des profits bancaires sur les titres grecs...) ou la crise à l'UMP (dont il ne se réjouit pas dans la perspective de 2017 : "On sera jugé sur nos résultats, pas sur leurs déboires"). A un moment le mot "décroissance" est prononcé par une blogueuse intrépide. On sent comme un flottement. Flottement prolongé lorsque lui est posé un "Vous croyez que la Grèce va finir par rembourser sa dette?" à la réponse évasive.

En conclusion, on ne peut pas lui faire le procès de l'incohérence ou du cynisme. P.Moscovici évolue dans les limites d'un système de réflexion dont à l'évidence il se persuade qu'il est le moins pire vu la situation, un système où il y a aucune place pour le doute ou l'alternative : Sans croissance point de salut, sans réduction de la dette pas de marge de manoeuvre. Il assume son action, la revendique, a intégré les reproches. Non ce n'est pas une politique d'austérité, simplement un effort nécessaire avant de pouvoir redistribuer. Il nous pronostique d'ailleurs un "quinquennat inversé": effort d'abord et récompense après.

Et si la machinerie ne fonctionne pas ? Et si la sempiternelle croissance n'est pas au rendez-vous l'année prochaine ? Nul doute qu'il faudra redoubler les efforts de pédagogie. 

Fin de la réunion. Le quartier de Bercy est désert. Je ne recroise pas la dame du métro. La retraitée a probablement bouclé le plan de financement de sa baguette du soir.

Pierre Moscovici nous a reçus plus d'une heure. 
Merci à lui et à son équipe. Ils ne sont pas assez nombreux à proposer ce genre de rendez-vous.

[1] A peine percevra-t-on quelque acidité dans le velours de son discours à l'évocation des blocages au Sénat du Front de Gauche ou des relations avec Arnaud Montebourg.  
[2] Sont présents: @MllePeg_ @politeeks @sebmusset @PolluxeBlog @LaurentPinsolle @Vogelsong @adsaum @Melclalex @custinda @abadinte @Ema_Dellorto
[3] Plus de la moitié du déficit commercial de la France vis-à-vis de l'Allemagne (10 milliards d'euros) serait due à une manipulation des prix de transferts.

13 comments:

t0pol a dit…

Quel dommage que le son ait été victime d'un complot asiatique. Sinon je suis sur que des mots nous ont échappé.

Seb Musset a dit…

Pareil et je n'explique pas pourquoi, le truc m'a marqué "recorded".

Il me semble bien qu'il a lâché quelques scuds que je ne peux quoter exactement. Et au final pas loin de 90 minutes d'entretien.

Anonyme a dit…

Les blogueurs de gauche sont donc comme les journalistes de gauche, trop contents et valorisés d'être invités par le sérail...

Seb Musset a dit…

@anonyme > Pas d’homogénéité chez les blogueurs. Il y avait un blogueur proche de Dupont-Aignan, un blogueur EELV, une blogueuse plutôt de droite, étaient également invité un blogueur du FDG (pas venu). Panel plutôt pas équilibré, manquait juste un vrai bon blogueur libéral ;)

Quand un politique lance une invitation, quand je peux j'y vais. Je préfère toujours voir les persos. politiques en vrai, dans des conditions hors discours classique (sur ce cas précis, il y a peu de décalage entre le discours public et le discours en réunion, mais bon il est ministre : la moindre mot de travers et c'est la dégradation de la note).

J'ajoute qu'il s'y était engagé il y a 2 mois, après avoir annulé un 1er Rdv, et qu'il a tenu parole.

Jeff Melclalex a dit…

Retard à l'allumage effectivement puisque je n'ai pris aucune note sur le propos liminaire mais ouf tu sauves notre honneur ;)

StefG a dit…

Sinon, il est sympa Bayrou ?

Thierry a dit…

"Il nous pronostique d'ailleurs un "quinquennat inversé": effort d'abord et récompense après."

Bref, la jolie histoire à laquelle croit le bon peuple depuis 40 ans et qui le fait voter systématiquement pour la même clique servant les mêmes intérêts.

Anonyme a dit…

Bien.

donc ça se confirme que c'est pas avec des gus comme lui qu'on va éviter la cata...

"La France est un pays attaché à la gauche, mais pas un pays de gauche": ah bon? on nous aurait menti? on pensait voter pour un président de gauche mais en fait non, c'est pas possible, parce qu'au fond de nous,inconsciemment, on appelait de nos voeux une politique de droite?
Plutôt de faire revoter les militants de l'UMP, si on revotait pour savoir si ceux qui ont voté PS attendait un "PS de gauche", ou un "PS pas de gauche parce que la France n'est pas de gauche"?


« Réenchanter le monde (...) ne consiste pas à remédier aux malaises de notre forme de vie, mais à expérimenter de nouveaux modes de vie »
[Serge Moscovici, père de Pierre Moscovici]

cdg a dit…

1) Je sais que ca ne correspond pas a ta vision mais oui, Hollande a ete elu grace au rejet de Sarkozy, pas par ses qualites propres ou ses propositions. Si Sarkozy avait eut un bilan economique potable, il serait resté a l elysee
2) tu fais un confusion entre fraude fiscale (illegale) et optimisation fiscale (legale). Evidement la limite est quelque fois subtile (cf les geants du web ne payant quasiment aucun impot) mais autant tu peux esperer recuperer l argent de la fraude fiscale autant il est difficile de recuperer celle de l optimisation qui elle est legale (ou alors on ne vit plus dans un etat de droit)
3) 50 % du deficit commercial france/allemagne lie a des pratique d optimisation fiscale me semble enorme (deficit de 70 milliards d'euros en 2011 veut dire 35 millards lié a des manips fiscales). En plus l Allemagne n est pas vraiment un paradis fiscal (pour les particulier l IR c est pire qu en france, pour les entreprises c est a peut pres equivalent 29.83 % contre 34 % en france, a comparer des 12 % irlandais ou 10 % bulgare ... cf http://de.wikipedia.org/wiki/Unternehmensbesteuerung)

Seb Musset a dit…

@ cdg > Exact. Optimisation, Fraude, la ligne est fine. Concentrons nous déjà sur la fraude.

L'estimation vient de la fondation copernic: http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/11/05/en-finir-avec-la-competitivite_1785670_3232.html

Gabale a dit…

Super style. Bravo pour le compte rendu personnel.

Anonyme a dit…

Ah? C'était pas déjà confirmé? "Tournant de la rigueur vol.II".

@(un)satisfied a dit…

"Questionné sur ses valeurs d'"homme de gauche", Moscovici nous livre son diagnostic sur la victoire de mai dernier : François Hollande ne la doit qu'à la médiocrité du bilan de Sarkozy.
" - C'est parce que c'est difficile que nous sommes là [...] La France est un pays attaché à la gauche, mais pas un pays de gauche." "

Comme ça c'est clair!!
Si en votant a gauche on a une politique de droite la prochaine fois je vote extreme gauche on aura peut etre une politique de gauche.

Top Ad 728x90