7 avril 2012

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A qui profite l'abstention ?


Qu'on en finisse ! Je suis las de cette campagne, non pas par l'absence des thèmes abordés par les candidats (ils le sont au moins dans les programmes et les meetings[1]), mais par le réduction systématique du débat à son écume (la recherche de la petite phrase, des alliances à venir, les affaires... enfin quand elles ne sont pas de droite...) par son vecteur principal d'exposition: la télévision.

Dans une période où le temps de parole sur les ondes est compté, le dernier épisode du feuilleton de la présidentielle est celui de l'abstention massive. Boucle logique d'une campagne qualifiée de morne, le discours accablé sur l'abstentionnisme forcément massif des Français permet également de remplir du temps d'antenne politique pas cher payé.

Le vote est dans deux semaines et pourtant "les experts" se bousculent en plateaux, parfois sur deux chaines en même temps (kassedédi Yves Thréard) pour théoriser sur la France majoritaire de l'abstention en sous-entendant que, quand même, Sarkozy en 2007 avait su mobiliser les électeurs.

Avec une montée du Front de gauche (l'autre effort éditocratique du moment étant de casser du Mélechon) et une victoire théorique de François Hollande (aucun sondage de second tour ne le donne perdant depuis un an), interrogeons-nous sur cette insidieuse montée de la rengaine du "et oui ma brave dame injustement culpabilisée par l'élite des bobos parisiens de voter à droite: non seulement les gens votent mal, mais en plus ils ne votent pas".

Ce sont les mêmes éditocrates du camp de la raison libérale qui nous martèlent depuis 5 ans qu'il n'y a pas d'alternative au remboursement de la dette, au libre-échange et au combat pour la compétitivité. 

Comme si en filigrane de la victoire prévue de la gauche dans son spectre le plus large, et vu que le  candidat-président patine dans son baratin usé jusqu'à la corde et ses boucles sécuritaires auxquelles hormis quelques vioques terrorisés personne n’adhère, il conviendrait que cette victoire soit la plus modeste possible.

C'est ainsi que certains discours blasés des éditocrates d'une droite désireuse de plus de droite   recouperaient presque ceux des types de gauche trop incorruptibles (j'en connais un paquet) pour contribuer à cette mascarade démocratique que constituerait l'élection.

Je viens de finir le Circus Politicus de Christophe Deloire et Christophe Dubois détaillant les aspects multifacettes de la soumission du politique à la finance, aux lobbys, aux cercles d’influences. Rien de neuf, si ce n'est que c'est particulièrement détaillé et que les témoignages sont aussi nombreux que croustillants. A vrai écrire, je déconseillerais presque la lecture de Circus Politicus avant le scrutin de la présidentielle tant l'accumulation de descriptions, sans réelle conclusion ouverte, déprime profondément le lecteur sur l’état avancé de décomposition démocratique en Europe. En revanche, j'en tire comme conclusion, notamment sur les longs chapitres sur le fonctionnement de Bruxelles, que cette soumission politique s’accommode parfaitement de l'atrophie du journalisme de terrain[2]. Genre auquel s'est progressivement substitué l'avis éclairé sur plateau [merci la TNT] d'une coterie d'"experts" autorisés. 

Ces derniers sont "embedded" dans le grand effort de néo-libéralisation de la société (quand ils n'en tirent pas également directement des profits (Kassedédi Marc Fiorentino) à savoir imposer la suprématie des dogmes bancaire et actionnarial, donc de leurs contreparties dans nos gueules: la rigueur pour tous comme panacée et l'impératif de compétitivité pour chacun comme seule ligne d'horizon.

Il s'agit insidieusement d'influencer sans cesse, en toute circonstance, l'opinion individuelle et le climat idéologique d'une nation, pour faire passer la pilule de la "seule solution envisageable" en douceur[3]. Et quand leur propagande ne paye pas ("non" au référendum de 2005), le mécanisme d'auto-défense institutionnel se met en place et la solution correcte passe en force.

Au fond, nos "experts" abhorrent la démocratie populaire (et spécialement le référendum) qui comporte encore une part d'imprévu (spécialement en période de crise) d'où leur souci de la circonscrire d'une raison dont ils délimitent à l'unisson le périmètre. Etant entendu que, bien ou mal, il restera de cette élection que ce fut un référendum "stop ou encore" sur Sarkozy, et qu'à ce jour tout indique que l’intéressé et ceux qu'il représente l'ont perdu, on comprend alors que nos éditocrates redoublent de gouaille non seulement pour tacler la gauche (ça c'est le tropisme naturel), mais aussi pousser à la démobilisation citoyenne via de longs soupirs sur l'abstention avant même qu'elle n'ait lieu,

Je te livre en avant-première l'axe d'analyse qu'offrira à nos éditocrates libéraux une abstention au-delà de 20%: 
"Le choix du peuple ne vaut rien car ce n'est pas le choix du peuple, donc supprimons le choix du peuple. Il faut, comme en Italie, changer de mode de désignation du chef et ne plus laisser cela entre les mains d'énervés qui n'y connaissent rien."

A deux doigts de son éradication et pour en finir une bonne fois pour toutes, il s'agit pour nos experts de nous conduire à rejeter le processus démocratique, en nous persuadant qu'il s'agit là de notre idée. Nous dégoûter du vote[4], comme ils ont pu jusqu'à présent nous dégoûter de la gaucheC'est tout bête, il fallait y penser.


[1] enfin bon, à l'UMP ça reste faible.

[2] Exemple. Hormis France24, pas de correspondant permanent à Bruxelles pour les grandes chaines généralistes ou d'infos françaises. Ce qui permet en gros à un politique de dire quelque chose à des fins électoralistes chez nous, et de dire l'inverse trois mois après à Bruxelles dans une relative impunité.

[3] L'autre pan de la stérilisation du débat est l'infotainment.

[4] mais pas du vote surtaxé pour les jeux de télé-réalité. Ouf, sauvés!

Illustrations : A river runs through it, R.Redford (1992)

10 comments:

Micmousse a dit…

Globalement d' accord avec toi sauf que le Front de Gauche et Mélenchon proposent un programme argumenté depuis un moment que ton candidat écarte dédaigneusement.
Sauf que Hollndréou est aussi un libéral qui dit autre chose que ce que ses sbires libéraux signent à Bruxelles
Sauf que ton candidat Hollndréou , la seule mesure vraiment de gauche qui ne soit pas inspiré par Mélenchon , on l' attend encore.
Sauf que les journalistes couchés ont bien compris que Hollndréou n' est pas une menace pour eux donc ils ne parlent que des mesurettes des " 2 principaux " candidats tous les 2 dans le même camp du libéralisme et ce sont ces 2 Daltons de l' austérité qui ont fait se détourner les citoyens de la participation à notre avenir.
Mais comme en 2005 pour le non que tous ces chiens de garde du libéralisme ont combattu , Mélenchon imposera sa révolution citoyenne

omer a dit…

Tout à fait, Micmousse, tout à fait, votons directement Sarkozy, cela ira plus vite.
Vos théories feraient un tabac sur le Figaro...
Eh bien moi je voterai pour une chèvre si cela devait éjecter Sarko et la bande de malfaisants qui grouille autour.

BA a dit…

Samedi 7 avril 2012 :

L'Assemblée nationale n'a pas pu prêter 3 millions de francs en 1997 à Nicolas Sarkozy pour l'acquisition d'un spacieux duplex sur l'île de la Jatte à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), comme l'a encore tacitement confirmé le candidat-président jeudi lors de la présentation de son programme de candidat à la présidentielle.

http://www.leparisien.fr/politique/ancien-duplex-de-sarkozy-mediapart-souleve-des-zones-d-ombre-07-04-2012-1944278.php

Anonyme a dit…

En-deçà d`un certain patrimoine (pas de salaire hein, de patrimoine; combien de pouilleux parvenus crachent dans la soupe une fois atteint le nirvana du statut de petit cadre...), forme censitaire en somme, pas de possibilité de vote.

Ce serait finalement pas une si mauvaise idée que cela, sachant que le nabot a majoritairement été élu un vote d`ouvriers et d`employés, lesquels ont opté pour des mesures qui sont allées à l`encontre de leur propre intérêt... mais toujours avec l`encouragement "fraternel" des média aux ordres, cela va de soi.

Politizen a dit…

Tout à fait juste.
Je defends l'idée que l'on devrait imposer au grandes chaînes généralistes un pourcentage obligatoire de l'info politique dédié à l'Europe, en plein journal et non dans une case pause pipi en sandwich entre la météo et la pub.
Cela fera hurler Tf1, comme les quotas d'expression française avaient fait hurler NRJ, mais ils ferony ce qu'il faut pour faire vivre le débat européen pour la France qui se lève tôt.

omelette16oeufs a dit…

Faudrait lire "La haine de la démocratie" de Jacques Rancière. C'est précisément cette haine, chez les experts, d'un peuple qui n'y connaît rien, qui vote mal etc.

sivergues a dit…

Etat avancé de putréfaction de la démocratie : Son interprétation exige donc une somme inouïe de travail de génie et de goût on peut courir avec nos prétendants ! qui ne reçoivent le compte de de leur mépris injuste envers le Peuple ?

Kamizole a dit…

Sur la collusion des hauts fonctionnaires et de la finance, un très intéressant article du Monde diplomatique que j'avais signalé en son temps...

Même sentiment : ras-le-bol de cette campagne délétère ou Sarkozy multiplie les déguelasseries. tout ce dont il est capable. Mais je ne peux m'empêcher de réagir à chaque fois que le peux. Chronophage mais tant pis, avantage de ma microscopique retraite : du temps à revendre.

Mélenchon ? beaucoup de démagogie grande gueule... Son "torrent révolutionnaire" séduira sans doute les amateurs de "grands soirs" et autres "lendemains qui chantent"... qui déchantent souvent, cf. l'après 1981 : après le lyrisme d'un Maurois qui me gonflait déjà prodigieusement - trop de réformes dictées par la pure idéologie, imposée par le PC.

L'on m'eût sans doute arraché la langue dans mes années post-soixante-huitardes mais j'avoue préférer la social-démocratie de Bernstein et Kautsky. Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg - grande dame sur le plan intellectuel - ont très mal fini.

BA a dit…

Annie Lacroix-Riz (née en 1947) est une historienne française, professeur émérite d'Histoire contemporaine à l'université Paris VII - Denis Diderot, ancienne élève de l'école normale supérieure (Sèvres), agrégée d'histoire, docteur-ès-Lettres, spécialiste des relations internationales dans la première moitié du XXe siècle et de la collaboration.

Lundi 9 avril 2012, elle répond aux questions du Canard Républicain dans un article exceptionnel :

http://www.xn--lecanardrpublicain-jwb.net/spip.php?article593

la_taupe a dit…

En exclu, le clip non censuré de Sarkozy pour sa campagne 2012... pour une fois qu'il parle vrai !

http://www.youtube.com/watch?v=HEK-hZ_YmFk

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