J'ai repris le travail à la con. Mon cerveau est en déconfiture certes, j’ai bientôt trente six ans, c’est certain, il n’y a pas un moment de ma vie à Paris où je suis bien. Ce sont là des signes inquiétants qui au moment où j’entre tête baissée dans une vie active normée en pleine capitale devraient m’inciter à m’enfuir à grandes enjambées vers d’autres contrées désertées.
Jardin du Luxembourg. Je cherche du regard quelque chose d’agréable mais, et je ne le répète que cent fois par jour, je déteste Paris. Sur la surface gélatineuse de l’eau couleur vinasse périmée, les feuilles mortes s’agglomèrent en plaques jeunes ambrées. Ici aussi j’entends plus parler anglais qu’à Londres, où j’entendais beaucoup parler français. Quand vais-je enfin en finir ?
Jardin du Luxembourg. Je cherche du regard quelque chose d’agréable mais, et je ne le répète que cent fois par jour, je déteste Paris. Sur la surface gélatineuse de l’eau couleur vinasse périmée, les feuilles mortes s’agglomèrent en plaques jeunes ambrées. Ici aussi j’entends plus parler anglais qu’à Londres, où j’entendais beaucoup parler français. Quand vais-je enfin en finir ?
Matin brumeux, café au comptoir d’un troquet de la gare de l’Est pas loin des ouvriers en ravitaillement de mégots. Moi aussi, j’attends pour embaucher. Le reste de la journée n’est qu’une montée de nerfs sur le montage virtuel d’une émission inintéressante pour une chaîne publique.
Le week-end suivant. Retour dans mon quartier à bobos. Journée d’une douceur estivale où je découvre pour la première fois, colonisé par ses touristes, le centre pittoresque de Paris dans lequel j’ai la luxueuse chance d’habiter. Nous remontons la rue Saint André des Arts pour déboucher sur Notre-Dame De Paris. Je ne réalisai pas en venant dans ce quartier, réserves pour riches, la place privilégiée que j’y occupe ironiquement, moi qui n’ai pas d’argent et déteste Paris. L'aimée se rassure de notre drôle de précarité en me faisant état des remarques glanées lors de la soirée d’auto célébration des trente ans d'une amie. Notre nouvelle adresse fait des envieux, notamment dans la classe de ces médiocres trentenaires sarkozistes. Ces petits-bourgeois déclinants et esclaves à temps plein - fils et filles de petits-bourgeois parisiens à la retraite dorée - pour assouvir leur désir d’être propriétaires - situation à jamais impossible financièrement s’ils restent dans Paris intra-muros - se relèguent d’eux-mêmes dans de blafardes banlieues de type Garches ou Juvisy dont la seule évocation faisait horreur aux ex-éternels étudiants il y a encore deux ans. Ils s’y terrent dans une semi-honte, se consacrant à customiser à l’excès leurs nids douillets pour nier cette fatalité : ce sont des pauvres.
MARIE P. (deux heures dix de transports en communs pat jour, ex-locataire durant sept ans d’une studette de vingt-deux mètres carrés donnant sur le boulevard périphérique au niveau de Malakoff et désormais propriétaire en trente-cinq ans d’un trois pièces de type hlm à Sceaux, éructe avec dégoût bourgeois) :
Trente deux mètres carrés, je ne pourrais jamais !
Après l’Angleterre et sa rue Perverse, la baie déserte de La Rochelle et l’exil rural en grange humide en plein poitou, nous voici débarqués dans le Beverly Hills français à manger nos saucisses lentilles à même la boite au sein d’une surface de trente-deux mètres carrés dont le balcon surplombe les pubs et restaurants les plus branchés. Etablissements que contemple de son regard désolé, Prince, à la fois notre chat et notre fils unique. Germanopratins issus de la petite-bourgeoise en déliquescence, mangeant avec les doigts dans le quartier le plus cher du pays, cultivés avec modération et désormais doublement sous-payés, nous sommes la définition pleine du terme bourgeois bohême.
Quant à ma précarité toute relative et l’étroitesse de mon habitat, la rudesse de mon séjour anglais m’a rodé à ce type de promiscuité sur fond de maigres revenus. Je me suis fait une raison : un locataire de mon genre n’aura jamais à la fois, une salle de bain et une cuisine. Pour des gueux comme nous, ce sera toujours l’un ou l’autre.
Peu importe, je passe avec l'aimée un charmant après-midi ensoleillé sur les bords de Seine dans un Paris, non pas que je redécouvre mais que je découvre, un vieux Paris aux rues serpentines où se succèdent troquets typiques et petites boutiques à touristes, quartier majoritairement piétonnier bordé d’un autre Paris urbain gorgé de vélos et de roller skates qui slaloment entre des bourgeois à la retraite effrayés par ces temps modernes où le travailleur minoritaire se remet à pédaler.
Retour au travail. Je cumule heures et nervosité, marquant progressivement mon workspace de mes stylos, de mes étiquettes, de mon vélo dans l’entrée et de mon casque stéréo attitré. Pourquoi suis-je là ? Je perds littéralement mon temps, ne lit plus rien, écrit à peine plus, m’évertue à produire de la merde au plus bas de la chaîne de conception. Pourquoi me lève-je si tôt ? Pourquoi gagne-je plus ? Pour une bouffée de nervosité, pour les souvenirs, pour paradoxalement oublier que je suis ici. Je travaille plus et par conséquent gagne plus. Je suis malgré moi la vérification du paradoxe de Sarkozy. Lentement, je prends conscience à mon corps défendant que chaque président de la république, qu’on le veuille ou non, marque un tournant.
Mon occupation quotidienne se concentre donc sur le rien du rien. Je fais. En ce sens, je suis utile. Je participe à la confection d’une tache donnée dans un cadre professionnel qui, lui-même, me confère une identité sociale. Je fais et jamais je n’ai eu cette autant impression de perdre mon temps à le gagner. Me consacrant à la réalisation de ce que j’estime n’être rien, mais qui n’est pas un rien dont je suis le décideur, j’en viens à éprouver un sentiment temporaire de compassion provisoire pour mes collègues de quelques semaines, les autres salariés.
En ce jour de grève dans les transports publics, les salariés, personnifications contemporaines du masochisme ancestral qui anime l’humain, sont tous stressés de ne pas pouvoir rejoindre leurs lieux de travail dont ils ont pris un malin plaisir à vivre le plus loin possible. Ils stressent ainsi à la terrible idée de ce qu’ils vont aujourd’hui gagner en moins. Vivant avec rien depuis dix sept ans, je pars, en vélo, au travail dans l’optique de gagner plus. Certains galériens, principalement les stagiaires, mettent cinq heures pour arriver en voiture à la mine où ils sont exploités, je fais le trajet en neuf minutes de bicyclette dans des couloirs de bus entièrement livrés à mon coup de pédale.
Mon occupation quotidienne se concentre donc sur le rien du rien. Je fais. En ce sens, je suis utile. Je participe à la confection d’une tache donnée dans un cadre professionnel qui, lui-même, me confère une identité sociale. Je fais et jamais je n’ai eu cette autant impression de perdre mon temps à le gagner. Me consacrant à la réalisation de ce que j’estime n’être rien, mais qui n’est pas un rien dont je suis le décideur, j’en viens à éprouver un sentiment temporaire de compassion provisoire pour mes collègues de quelques semaines, les autres salariés.
En ce jour de grève dans les transports publics, les salariés, personnifications contemporaines du masochisme ancestral qui anime l’humain, sont tous stressés de ne pas pouvoir rejoindre leurs lieux de travail dont ils ont pris un malin plaisir à vivre le plus loin possible. Ils stressent ainsi à la terrible idée de ce qu’ils vont aujourd’hui gagner en moins. Vivant avec rien depuis dix sept ans, je pars, en vélo, au travail dans l’optique de gagner plus. Certains galériens, principalement les stagiaires, mettent cinq heures pour arriver en voiture à la mine où ils sont exploités, je fais le trajet en neuf minutes de bicyclette dans des couloirs de bus entièrement livrés à mon coup de pédale.
Principal motif de satisfaction de cette semaine parisienne, l’abandon du métropolitain pour un retour à la bicyclette. Au-delà de l’économie de miasmes humains et du gain de temps - neuf minutes pour raccorder le boulevard Saint-Michel à la gare de l’Est, record battu tous moyens de transports urbains confondus - le vélo, par son positionnement au centre de la chaussée donc des perspectives et l’ouverture du champ de vision qu’il offre, est le moyen le plus efficace de contempler Paris : Le défilé immobile des fines artères de part et d’autre des flux sanguins, les tranchées d’immeubles dépareillés qui, enfin, prennent un sens un tant soit peu esthétique. Cette ville n’est esthétiquement et pratiquement pas faite pour la voiture. Pratiquement, un après-midi passé au volant d’une voiture parisienne en apprendra à tout homme sur ses aptitudes à encaisser le stress et sa propension à la tolérance en général. Paris est une capitale qui est à l’origine un village conçu pour que le piéton occupe la chaussée. Esthétiquement, relégué sur le trottoir à l’ombre des arbres collés les uns aux autres, le piéton ne peut pas profiter des perspectives qui sont abandonnées aux voitures dont les toits couverts bloquent aussi la contemplation. De la continuation de cette confusion entre village et capitale, rien de bon ne sortira. Du village et de la capitale, un des deux doit disparaître ou, tout au moins, se soumettre à l’autre.
Qu'est qui unit les parisiennes, que ce soient les pisseuses de seize ans en jupes-tailleurs et collants noirs qui jacassent mouillées dans le métro parce qu’elles viennent de croiser Louis Garrel devant le café de Flore, les vieilles peaux grisâtres de célibataires pourtant trentenaires qui filent stressées sur les boulevards la clope au bec, les quinquas en descente, plâtrées au maquillage multicolore, sursautant à chaque passage de vélo alors qu’elles s’étalent de leurs démarches lourdes sur les pistes cyclables ? Elles me regardent toutes de haut, sans une once de chaleur dans leurs regards de crasse.
Étrangement, c’est ici, dans ma studette sur rue piétonne, au cœur de cette capitale village que je hais par dessus tout, et alors que je suis devenu un salarien comme un autre, que je me sens bien. Oubliée la Charente et ses rochelais et le bon temps du beau temps. J’en recroise quelques-uns sur le site de la télé-locale du coin*, je capte les échos de températures médiocres aux bulletins météos et, entre deux pédalages hystériques au milieu des fumées de bus sur le boulevard Sébastopol, rien, pas même la nostalgie du ciel si bleu qu’il en est noir.
J’en avais enfin assez de l’esprit charentais. Depuis ma terrasse charentaise, j’ai assisté mi-goguenard mi-rageur, à la mutation de la région dont avec mon exil il y a six ans j’ai été, malgré moi, l’un des amorceurs. Le péquenaud local, crétin mais attendrissant, qui n’a pas eu la sagesse d’investir dans l’immobilier locatif, a laissé sa place à une classe moyenne pondue à la chaîne M6 et constituée de tubes digestifs gobant toutes les couleuvres, travaillant et croyant aimer ça, chiant de la banalité à l’année. Le crétin français, mi-trentenaire, en pleine hypnose auto-suggestive est persuadé de faire partie de l’élite mais il achète tout discount, se croit au-dessus des autres mais fait la queue avec eux à la grande surface du coin à la première heure du premier jour des promos. Il est propriétaire mais à cent bornes de son travail d’esclave, il a des polos Gucci et quatre crédits sur le dos. Ce crétin là n’a plus les moyens d’habiter en ville et se propage comme de la mauvaise herbe dans les coins jusque là les plus paumés de province. Tandis que les centres des grandes villes redeviennent de vrais villages, les lointaines banlieues ignorées il y a encore trois ans se gorgent jusqu’à l’écœurement de nouveaux propriétaires persuadés d’être à la campagne, n’ayant pas encore conscience - mais l’auront-ils un jour ? - qu’ils reproduisent le système des ghettos excentrés pour pauvres. Quoique stressés par la réalité des échéances, ils bâtissent gaiement en quarante ans de mensualités leurs futures prisons : les cités pourries mais horizontales de demain, loin, bien loin, des vrais riches.
Mon malaise d’il y a deux ans qui nous a conduit sur un exil anglais, parenthèse parmi les parenthèses, était essentiellement du à cette arrivée massive de gros cons qui s’est accélérée entre 2004 et 2006 avec leur cortège d’animaux domestiques, de grands-parents, de poussettes, de mauvaise humeur, de bêtise crasse et de bruit en général. Même un village reculé comme l'était le notre n’a pas tardé à se faire rattraper par la fièvre du béton. Avec ses trois cents maisons particulières en parpaings champignonnant subitement hors des champs et son centre commercial en construction à deux pas de l’école, le hameau va directement devenir cité après un bref passage dans la rubrique région bourgeoise avec mini-baguette à un euro cinquante ! Ni boulanger, ni retraité, ni petit-bourgeois et, malgré tout l’attachement que j’ai pour le ciel de La Rochelle, je n’avais plus rien à faire dans cette région.
Regardant la plèbe de ma terrasse au soleil en plein sixième, boycotteur volontaire de tout transport public, avec une grosse berline bichonnée dans un parking souterrain loué une fortune, serais-je entrain de glisser bourgeois ? Par chance, je n’ai pas d’argent. C’est précisément l’excuse que sortent toujours les bourgeois.
Retour à pied vers mon petit studio vers St Germain des près, la petite rue est bondée de supercakes qui ont tout investit dans la sape et qui traînent là histoire de faire croire aux badauds qu’ils habitent dans le quartier. Je passe en baskets de prolos, k-way et sac à dos au milieu des bandes de mâles aux parfums à pédés qui poireautent dans le froid pour rentrer, un jour, dans ce pub doré. Je fais mon code et passe derrière la porte verte. Le bourdonnement des bouseux disparaît au fil de la montée des marches en velours de l’escalier lustré.
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