15 mars 2015

Mairie de Paris vs. le logement en folie : Quoi de neuf ?

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Reprenons le blog là où nous l'avons arrêté. J’étais un peu à cran l’autre jour contre la mairie de Paris avec cette histoire de tapis rouge déroulé à AirBnb et sa mise à disposition d'appartements pour touristes alors qu'il y a pénurie de logements à la location. [Rappel de l'épisode précédent].

Quelques jours plus tard, avec Ronald de chez Politeeks, nous avons rencontré Ian Brossat, adjoint au logement (Parti Communiste) à la mairie de Paris, pour lui poser quelques questions sur cette grosse boulette de com' de la semaine passée et surtout faire le point sur ce qui a été fait et ce qui reste à faire en matière de logement dans une des villes les plus inhospitalières au monde pour les revenus moyens.  

Mes notes :

Comment la mairie combat le libéralisme participatif d'Air BnB  ? 

Ian Brossat reconnait un retard à l'allumage, mais la lutte contre la pied-a-terrisation est désormais prise au sérieux.  Il reçoit de plus en plus de plaintes, de voisins, de maires de quartiers pourtant de droite, de commerçants : « si on laisse le processus se développer comme ça, tous les commerces de bouche vont fermer ». Les arrondissements de Paris les plus touchés (4e et 6e) sont aussi ceux qui, à l’inverse de la dynamique globale de la capitale, perdent des habitants.

La modèle initial de AirBnb est perverti, ce n’est pas de l’économie du « partage », mais bien une activité purement motivée par le gain et envisagée « industriellement » par certains. Du libéralisme participatif. Quand des immeubles entiers sont rachetés pour en faire du meublé touristique on est clairement plus du tout dans « l’économie du partage ». Les logements privés pour touristes tirent les loyers à la hausse, excluant la demande locale, forçant en bout de ligne les locataires en difficulté à sous-louer leur logement à leur tour pour continuer à y vivre. Bref, à part AirBnb, le touriste et le proprio du meublé (résident parfois à l'étranger) : tout le monde est perdant.

Ian Brossat confirme que vingt personnes s’occupent pleinement de la lutte contre les meublés touristiques. « Ils font un gros travail (traque des annonces récurrentes sur les sites, enquête sur dénonciation, PV), mais ne sont pas assez ». L'adjoint au logement déplore également que la justice  traîne parfois sur ces dossiers.

La lutte contre la sous-occupation du foncier à Paris ?

Paris additionne surtension locative et zones désertes : « Un dixième du parc global est inoccupé ». La construction n’est donc pas la seule solution pour détendre la situation. Il faut réinvestir des logements vides. Deux méthodes pour persuader les proprios : l’incitation et le bâton. 

L'incitation. Une mesure est lancée depuis une semaine par la ville pour encourager les propriétaires à remettre leur bien sur le marché : Multiloc. Les proprios recevront 2000 euros pour la remise en location d'un logement inhabité, entre 2500 et 10.000 euros pour sa remise en état. L’assurance contre les risques locatifs et les diagnostics techniques leur seront également financés. Les agences immobilières se chargent de trouver le locataire, pour un loyer inférieur de 20% à la médiane du quartier (sous plafond de ressources – très large – bref, 90% des parisiens sont éligibles). Les cibles sont la classe moyenne et les jeunes actifs.

Le bâton. Il n’y en a qu’un véritablement : la taxe sur les logements vacants (doublée en 2013 par Cécile Duflot). Là-dessus la ville n’a pas de marge de manœuvre, c’est le gouvernement qui décide. Ian Brossat  trouve la taxe « mal fichue » et mal récoltée. Elle n’est appliquée que sur 16.000 logements à Paris, alors qu’il y en a 50.000 durablement vacants (vides depuis plus de 2 ans, 59.000 selon EDF). A mon sens, la taxe n'est clairement pas assez dissuasive, et devrait être pensée comme progressive au fil des années (en partant du taux actuel, jusqu'à devenir totalement dissuasive au bout de dix ou quinze ans d'inoccupation).

L’autre gros paquet de logements potentiellement disponibles à Paris : les bâtiments militaires et le parc foncier de l’Église. Dans des zones déjà déficitaires en logements sociaux, plusieurs casernes militaires en sous densité occupent des terrains de la ville (sur lesquels l’État ne verse aucun loyer). L’adjoint veut regrouper les casernes dans le 19e et libérer ces espaces pour faire du logement social. Une première caserne (Reuilly) est en cours de réhabilitation. Pour l’Église, des négociations seraient en cours.

Insalubrité et taudis : Changer de logique.

Je vous renvoie au billet de Ronald. L’insalubrité diminue en global sur Paris, mais change de forme et nécessite d'évoluer dans la façon de la traiter. Il faut « raisonner en terme de logement individuel et non plus d’immeubles ». Un nouveau dispositif législatif est mis en place depuis peu pour permettre la préemption d’appartements dégradés, et ainsi faire entrer la ville dans les copropriétés.

Logements sociaux : Optimiser et améliorer.

Même si la ville atteint les 20% de logements sociaux, il y a encore un gros problème de mixité géographique et sociale (40% des demandeurs refusent les logements proposés à cause de leur localisation). La moitié des logements HLM de Paris sont situés dans le Nord-Est, les quartiers les plus "populaires" de Paris, si le terme veut vraiment encore dire quelque chose à 8000 euros le m2 de prix moyen. Après des années de blocage, des chantiers sont en cours dans le 16e arrondissement [NDLR : quartier à haute teneur en joncaille ajoutée et teckels à doudoune Marithé François Girbeaud], d'autres sont déjà inaugurés après des années de résistance du gang des carrés Hermés. J'en ai déjà parlé : la clé d'un quartier à la fois tranquille et vivant, c'est le mélange des revenus. En résumé, il faut des CSP+ chez les pauvres et des classes populaires dans les quartiers huppés (et l'on se rend vite compte dans Paris que les vrais ghettos sont d'abord ceux des riches).

Une optimisation de l'occupation des HLM est également visée (changer des logements trop grands ou pas adaptés pour des personnes seules ou âgées), avec la création prochaine d’un site pour favoriser la mobilité dans le parc en interne : «  Un seloger.com du parc HLM pour proposer des logements correspondants aux attentes (superficie, quartier) ». J'attends de voir, mais bon pourquoi pas.

Tweet @IanBrossat 06.03.2015 
(L'égérie de la Manif pour Tous occupait un HLM de 173m2 depuis 1984).


Dans le bon sens, mais lentement.

Mine d'or pour certains, sources de revenus conséquents dans un pays où le travail ne rapporte plus assez, le logement est une place forte de la société française : un besoin fondamental devenu marché. En plus de sa superficie réduite, d'une centralisation excessive (Le nouveau ministère de la guerre occupant tout le bas du 15e arrondissement était-il vraiment indispensable DANS Paris ?), la capitale est prisonnière d'un de ses moteurs économiques : le tourisme. Anne Hidalgo, comme son prédécesseur, joue à fond la carte du rayonnement international. L'invitation de Brian Chesky à la mairie il y a deux semaines (avec en bonus le côté "Paris kiffe les start-up") est symptomatique de cette contradiction entre la demande locale et internationale.  Des choses se passent donc dans le bon sens à l’Hôtel de ville en faveur du logement populaire à Paris (et c'est toujours mieux d'y avoir un communiste en charge). Lentement trop lentement, mais la volonté est là.

Illustrations : S.Musset, exposition Paris Habitat, 100 ans de ville, 100 ans de vie, Palais de l'arsenal, Paris.

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