Si un jour de faiblesse, influencé par la ritournelle moralo-chrétienne du travail comme seule jauge de ta valeur humaine, tu culpabilises de n’avoir
aucune activité salariée, rappelle-toi que des gens sont payés pour te renvoyer
par courrier ton courrier déposé physiquement à la bonne adresse pour te dire de le retourner par
courrier.
Soigneusement rédigée sur
un papier en-tête à gros grain, signée à la main par un responsable le traitant en priorité « haute », c’est en substance la missive que ton rédacteur reçoit de la part de l'administration pour un problème visant à régulariser sa situation dans le but d'apaiser ses rapports avec l'administration susévoquée.
Il y a donc, là-bas, quelqu’un payé à renvoyer les courriers à l’expéditeur assorti d'une belle
explication, s’appuyant sur le strict respect du règlement, au lieu de livrer
le courrier à l’adresse, pourtant exacte, qu'il partage avec la personne concernée.
Sur le coup, l'anecdote m’excède au plus haut point
et il y a quelques années j’aurais pris ma plume pour casser du fonctionnaire parce que là quand même faut pas déconner. Pourtant, comme disait Steven Seagal, l'ayant lui-même emprunté au Dalaï Lama qui l'a samplé dans un Okapi spécial cannabis : "il faut vouloir s'élever pour observer un paysage plus nuancé que le côté du mur derrière lequel on se l'imagine".
Relatant l’épistolaire mésaventure dans mon entourage, j'ai un petit succès. Inquiétant. Très vite, les réactions de consternation, limite haineuse, se multiplient envers cette "putain d'administration" qui "bouffe nos impôts". Dernier point symbolisant le summum de l'horreur pour quelques spécimens de la classe moyenne surendettée, capables par ailleurs de lâcher 350 euros par mois en forfaits téléphoniques, internet, abonnement télé et autre réassort de dope chez Apple pour que les enfants n'aient pas l'air déclassé dans la cour de récré (de l'école privée of course). Autour du bol d'Apéricubes, il n'est évidemment entendu par personne qu'il sera toujours plus stimulant de pester sur le train qui déraille que de se réjouir des millions arrivant à destination à l'heure et sans encombre.
Natacha, cadre en plastique en charge du service propreté dans une chaîne d’hôtels (secteur B4 Créteil-Monaco) aux horaires élastiques, cumulant six jobs pour une rémunération à peine plus haute que le SMIC en attendant d'être licenciée à 36 ans parce que trop âgée et donc trop coûteuse, me lance même un "Non mais quelle bande de feignants, je te virerais tout ça !"
La salariée méritante et burnée-out (qui au nom du "prestige d'être cadre" a systématiquement dit "oui" à toutes les "optimisations" de "son" service suite aux coupes budgétaires (aka restrictions d’effectif) en prenant sur elle un surplus de travail à peine payé et aussitôt considéré comme base minimale de rendement par sa direction au service d'actionnaires n'en ramant pas une à Acapulco) se lance dans une diatribe sur la contre-productivité dans les services publics : "La concurrence, ça leur apprendrait un peu la vie aux poussiéreux."
En attendant son hypothétique sucette à 1000 euros, la Sophie De Menthon du pauvre, qui abuse des temps partiels comme des apericubes, compense de son traitement de chien, qu'elle assimile a de l'émancipation, en hurlant sur le personnel précaire sous sa coupe. Le soir, pour décompresser, elle bibelote sur ventesprivées.com achetant compulsivement tout et n'importe quoi, du vaisselier à la culotte, avec sa mini carotte qui remplace cinq salaires et annihile tout désir de révolte.
Ces réflexes, cajolés à dessein par les médias et auxquels même ton rédacteur se laisse piéger parfois, lui permettent de déplorer une fois encore l'emprise du néo-libéralisme sur les représentations de ceux qui en sont autant les victimes que les artisans. Pour le salarié 2.0 au cerveau livré au marché clef en main, formaté à la peur de "ne pas avoir" et au désir du "dépassement de soi" tel qu'inscrit dans les tables de loi du managment (c'est à dire un salarié alternativement autonomisé puis réprimandé pour avoir pris trop de libertés), le respect scrupuleux de règles de base[1] par le fonctionnaire devient une hérésie. Même s'il a ses limites, ce respect bête et méchant des procédures, ici fondé sur le principe d'"une personne = une fonction", est pourtant un efficace mécanisme de défense contre le rouleau compresseur du capital qui, jusqu'au tréfonds de nos consciences, érige la compétitivité individuelle comme croyance.
*
[1] car effectivement, c'était marqué en tout petit : le traitement de ma demande ne se ferait que par voie postale. (hi, hi)
Illustration : Brazil de T.Gilliam (1983)
8 comments:
HAHA tu aurai pu finir sur neuneu.org
Terrible l'article...
Tout comme le film dont tu as tiré l'image, à (re)voir !
@++
C'est la compétition, nous en sommes là...
Il faut quand même les secouer de temps en temps ...
Je reviens de la poste, la dame devant moi vient chercher un recommandé, je propose mon papier pour récupérer le mien en même temps, comme çà elle fait 1 voyage au lieu de 2 (moins d'effort) tout en travaillant plus vite.
Gros yeux ronds, refus, et le tout a pris 5 bonnes minutes...
règles de base, hein ? Un voilà une, tiens, de grosse bonne règle de base : la Loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005629288&dateTexte=20110422)
je vous recommande l'art. 19 ("toute demande", c'est "toute demande", pas "les demandes par la voie postale"), art. 20 (si le service du courrier n'est pas le destinataire, à lui de l'envoyer au destinataire correct), et éventuellement l'art. 16-1 (c'est quoi ce règlement à propos d'une voie postale ? et d'ailleurs, c'est quoi la voie postale -- en quoi êtes vous un "facteur" moins recevable qu'un coursier, un homme de DHL, ou de La Poste ? )
Casser du fonctionnaire est stupide, mais ce n'est pas une raison pour supporter n'importe quoi sous prétexte que ça vient de l'administration et que "jugulaire, jugulaire". Moi, fonctionnaire, j'ai déjà fait ce genre de truc très con (pas exactement la même chose, mais très con...), et je vous jure que ça rend malheureux (c'est quand même plus gratifiant de traiter le dossier que de le remplir avec des échanges sur "passez par la porte rouge avec le formulaire B12" !), et que votre réaction me consterne. Pour défendre l'administration et les fonctionnaires, à l'avenir, soyez exigeant avec elle, ne tolérez aucune stupidité de sa part. Plaignez le pauvre fonctionnaire obligé par on ne sait quel hasard à perdre son temps à ces bêtises, au lieu de rendre un service utile, et faites un effort pour que ça change pour lui autant que pour les usagers.
Finalement, Natacha, c'est vous. Non, même pas. Vous vous croyez bien plus conscient qu'elle, alors que c'est faux, et vous vous moquez d'elle. C'est pas beau.
Je peux confirmer que les aberrations de l'administration existent aussi largement dans les plus grosses boîtes du CAC 40.
Sinon, ça me peine toujours de voir des articles aussi pertinents et pleins d'humour finir systématiquement en queue de poisson.
On a bien tous compris que le capitalisme et la société de consommation sont les plaies de l'Humanité. A quoi bon vouloir sans arrêt donner des gages de respectabilité à une société juste bonne à jeter dans la benne à recycler?
Nous ne vivons malheureusement pas dans une société libérale au sens premier/noble du terme. Nous subissons les pires tares de toutes les pires idéologies réunies: soviétisme, ploutocratie, capitalisme, loi de la jungle...Tout est bon pour l'exploitation. Les pouvoirs ont depuis longtemps jeté les idéologies aux orties. Ceux qui y croient resteront à jamais les idiots utiles de ces gens-là.
Changeons-NOUS ! Sans idéologie, discours ou baratin....(dixit...).
Un autre Séb
Intention de vote des ouvriers au 1er tour de la présidentielle de 2012 :
Marine Le Pen : 36 % d'intentions de vote.
Dominique Strauss-Kahn : 17 %.
Nicolas Sarkozy : 15 %.
Nicolas Hulot : 9 %.
Jean-Louis Borloo : 9 %.
Nicolas Dupont-Aignan : 4 %.
François Bayrou : 3 %.
Dominique de Villepin : 3 %.
Jean-Luc Mélenchon : 2 %.
Olivier Besancenot : 1 %.
Nathalie Arthaud : 1 %.
(Sondage IFOP Paris-Match, mardi 27 avril 2011)
François Chérèque : "légère baisse du chômage, grosse augmentation de la précarité".
Le secrétaire général de la CFDT François Chérèque a commenté jeudi les chiffres sur les demandeurs d'emploi au mois de mars en estimant qu'il y avait "une légère baisse du chômage", mais "une grosse augmentation de la précarité".
"Je ne vais pas cracher dans la soupe, quand le chômage baisse, c'est toujours une bonne chose. Ca fait maintenant plusieurs mois qu'il y a une légère baisse des chômeurs à temps complet (catégorie A), on peut s'en féliciter même si nous savons très bien que cette baisse est due surtout à une augmentation des contrats aidés", a déclaré M. Chérèque sur France Inter.
Selon lui, "on a une explosion des contrats aidés, en particulier chez les jeunes".
Mais François Chérèque s'est alarmé d'"une deuxième tendance, une augmentation des personnes au chômage à temps partiel (catégorie B)" qui "sont des personnes qui ont de tout petits temps de travail".
"Nous avons deux tendances: une légère baisse du chômage, une grosse augmentation de la précarité", a-t-il résumé. "60% des embauches sont des contrats de moins d'un mois. Une embauche sur six seulement en CDI (...) En 2010, dans les 19 millions d'embauches, il y a eu 13 millions d'embauches de moins d'un mois", a-t-il détaillé.
Cela signifie, selon lui, "une augmentation des personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté".
Le leader cédétiste en a conclu que "nous ne sommes pas sortis de la crise, à l'inverse de ce que dit le ministre" du Travail Xavier Bertrand. "Il y encore 700.000 chômeurs de plus qu'avant la crise, donc nous sommes loin d'une sortie de crise", a-t-il affirmé.
http://www.boursorama.com/international/detail_actu_intern.phtml?num=d491589b0be1851b2be512944bf3ad6e
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