4 août 2007

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DES VERTUS DE L'ENNUI EN PERIODE D'EXIL

Le reste du temps, je dors dans le bric-à-brac matériel d’une forteresse vide d’âme. L’ennui est le ciment de mes souvenirs. C‘est la seule sensation précise me restant d’avant. A la fois endroit, temps, son et odeur, l’ennui a constitué depuis mes plus jeunes années, l’essence de ce que je suis. Des jardins superposés de la forteresse au début des années quatre-vingt au couloir triangulaire de l’appartement du Boulevard Murat, des traumatisantes nuits blanches de bivouacs sous tente de scouts de mars 82 aux journées d’errances de Santa Monica à Wilshire Boulevard en décembre 93, des matinées interminables de 2006 enfermé dans la maison de Perverse Road aux après-midi d’angoisse de l’été 89, embastillé volontaire en forteresse à combattre la faim. Des angoisses dépressives en magasins parisiens de l’hiver 88 à la recherche de l’objet qui jamais ne me contente aux après-midi charentais de 2004 à boursicoter virtuellement sans finalité autre que de filer en solitaire le long de la corde du temps et d’accumuler un maximum de pognon en un minimum de temps, pas pour avoir mais pour avoir à ne rien faire.

Ne rien faire. Subi et recherché, accablement et addiction, l’ennui est l’air de mes années. Unité dans le voyage de l’existence : d’abord imposé, puis domestiquée enfin recherché. Il n’y a que de l’ennui ou dans la suractivité que je me sens respirer.

Sérieuse envie de disparaître. Dégoût général de l’autre et donc de ce que j’ai d’autre en moi, c’est à dire tout. Sérieuse envie de disparaître. Maudit et condamné jusqu’au bout, dans ce monde qui a infiltré le moindre de nos pores, conditionné la plus infime de nos humeurs et domine le moindre de nos mouvements, même disparaître est impossible.

Donc pour me remonter le moral et parce que l’on trouve de tout chez Shopi, je savoure Politique et éthique au bord de la piscine. L’ouvrage est complet, dense et recouvre un large spectre de mes préoccupations en y apportant les mêmes conclusions désarmantes mais en plus il défonce mes derniers retranchements d’espérance. Relativisant le sentiment de compassion qui ne serait que de la lâcheté et celui d’injustice qui ne serait, parfois, que de la cruauté travestie, le philosophe fait mouche. Si ce n’était que ça. Ecrit il y a cent soixante dix ans et ne datant jamais ses démonstrations par des exemples tirés de son actualité, l’ouvrage pourrait avoir été écrit cette semaine ! Ce qui au vu du pessimisme de ses conclusions me draine encore plus bas dans les sous-sols de l’apathie. Après tout, pourquoi cette triste mascarade pour abrutis ne durerait-elle pas cent soixante dix ans de plus avec ou sans intervention de ma part ? Allons, ressaisissons-nous et piquons une tête dans le grand bain.

Complète perte d’intérêt dans la rédaction dans mon journal dont quelques pages constituent ce blog dont j’aurai du arrêter la rédaction au lendemain de l’élection du nain. Comment une race qui se laisse gérer sans broncher par un usurpateur pareil peut générer un enrichissement spirituel, intellectuel - et financier - des futurs individus qui la composeront ? Passons sur moi. Je suis condamné. Mais ces écrits ? Ces traces d’existence, de sensations instinctives de décomposition générale ? Que deviendront-elles ? Soyons clairs, il y a peu d’espoir que mes journées éclairent des lecteurs du futur. Soit la race disparaîtra engloutie par les conséquences de sa bêtise soit, elle perdurera à l’état végétal dans la naphtaline à l’abri de toute individualité et donc, de toute lecture.

Mon hypersensibilité aux êtres fera à jamais de moi un isolé. Mon avenir : c’est au choix la solitude ou le carnage sur mes semblables. N’allons pas croire que je soie égoïste, cette haine prégnante me range malheureusement dans la catégorie de ceux, de plus en rares, qui s’inquiètent de leur prochain. Eux et moi. Eux toujours là. Eux que je ne fais qu’entendre et voir. Eux dont je subis les miasmes mentaux en continu. J’imagine que nos cerveaux ne sont pas constitués des mêmes ingrédients et que là où je ne puis tolérer toute trace de leur bêtise - son, image, activités de groupe - eux se supportent aisément, se félicitant inconsciemment qu’il en soit ainsi et pas autrement. Force inébranlable de la connerie qui a, et continuera, de mener le monde, les progressions et les grandes découvertes, bref les transgressions génératrices de progrès, étant quasi exclusivement le fait d’individus exceptionnels allants à contre-courant des idées reçues, marginaux en quelques sortes souvent vilipendés quand ils ne furent pas contraints physiquement de leur vivant. La race humaine ne doit rien à son mental. Plus que jamais dans notre époque de régression, le mental est mal vu. Le bonheur des uns fait donc le malheur de moi. Je suis condamné à la solitude pour ma survie mentale.

Je m’enlise amer dans la dépression post-sarkozienne. France de la rente, France de vieux, France de bourgeois et de maître, Franche d’ultra riches urbains ghettoisés et France de petite bourgeoisie provinciale grignotant tous les terrains, France de retraités Leroy-merlinisés, France qui a tué démocratiquement toute idée de la république. Mon départ d’Angleterre fut une erreur. Mon retour en France me bloque dans une impasse : j’ai perdu mon pari. J’ai cru en mon pays. Je n’ai plus aucune volonté d’ici, encore moins de revenir à Paris et sa région, offense à l’intégralité de mes sens. Condamné à vingt ans de vie française à attendre que la prochaine génération se réveille, de devenir moi-même un de ces vieux rentiers que je hais et qu’ils ne manqueront pas de critiquer ?

Voici un mois que je me suis installé en cette forteresse familière redevenue paisible. Même si mon quotidien ne diffère en rien de mes journées charentaises diluées dans l’errance contemplative du renoncement, j’ai le sentiment d’être ici en vacances ce qui, malgré les apparences de mon inactivité notoire, est un sentiment que depuis longtemps je n’ai pas expérimenté. Je me surprends à ne pas songer à un retour précipité en bord de mer. Il est même possible que je me remette à écrire, tout doux. Je suis accompagné pour la seconde fois de mon vieux chat aux moustaches brisées abandonné il y a quinze ans à l’affection soudaine de ma mère. Cette bête ronronnante déborde d’amour pour moi ? Je parle bien sur du chat, on sait ce qu’il en est de l’amour maternel avec les années : un aller simple vers l’oubli.

Allons bon, voilà que j’écris à nouveau.

2 comments:

Unknown a dit…

"La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme. De là ce fait bien significatif par son étrangeté même : les hommes ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l'enfer, pour remplir le ciel n'ont plus trouvé que l'ennui."
(Schopenhauer)

Ritoyenne.

Bertrand Labarre a dit…

The Choice

Obligation à l'esprit de choisir
Entre perfectionner l'existence ou l'oeuvre
Et s'il veut la seconde, c'est renoncer
Aux demeures du ciel, et pour quelle rage
Et en quelles ténêbres ! Après quoi, l'affaire
Finie, où en est on? Chanceux ou pas, l'effort
Aura laissé sa marque. Après le grand souci
A nouveau le tourment de la bourse vide,
Et le jour la gloriole, et le remords la nuit.

Yeats

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