Depuis la nuit du 5 novembre 2024, la dernière mode du camp du bien est de publier sur le réseau social X (ex Twitter) de longs messages solennels, et d’un premier degré déconcertant, pour annoncer son départ de X afin de poursuivre son rêve bleu de la vérité officielle sur d’autres plateformes.
Depuis son rachat en 2023 par le patron de Tesla et SpaceX : Elon Musk, X serait pour devenu pour nos révolutionnaires du Boulevard St-Germain un réseau de "haine" (ça revient dans chaque tribune). Ce qu’ils appellent "haine" est en fait le plus souvent du débat contradictoire argumenté de faits et l’apparition des "notes de communauté" qui corrigent, chiffres et sources à l’appui, les affirmations approximatives (ou opinions travesties en information) qu’ils pouvaient quotidiennement démouler jusque-là sur X comme ils le font déjà partout ailleurs.
La réalité ne te plaît pas : annule la réalité !
Si une partie de la gauche quitte X aujourd’hui ce n’est pas tant que X serait une menace pour la démocratie ou l'information (1) mais bien que, sur le terrain numérique aussi, elle digère mal la réalité ambiante et en premier lieu la réélection de Trump (aux accointances assumées avec Musk). Cette victoire était réellement inattendue pour nos grandes âmes retranchées à 4000kms des Etats-Unis, à crier "bou les fachos !" en long en large en travers pour seule "information". Ils ont refusé de voir les signes, pourtant nombreux, qui annonçaient sur X, mais partout ailleurs sur le terrain, la déconfiture démocrate (et plus précisément woke) aux élections US.
Pour les autophilosophes des lumières 2.0 quitter X n’est pas une question de liberté d’expression, ni même un geste d’émancipation, mais bien le réflexe apeuré de survie de leur petit monde de certitudes. Quitter X (pour BlueSky la nouvelle terre promise numérique de la gauche gentille) c’est acter que la bataille est perdue, tout en se persuadant de l’inverse avec des tartines de mots.
Exemple récent : le récent article de Carine Fouteau, présidente et directrice de publication de Mediapart qui annonce, à son tour, son départ d’un réseau "fasciste" ("hitlérien" eût plus nuancé). Je ne vais pas taper sur Médiapart, ce ne sont pas les pires et ils ont un business-model plutôt bien senti (retraités / Bac+12 en socio / gauche urbaine CSP+) qui leur permettrait même de fonctionner juste avec une présence Minitel, mais je vous invite quand même à lire le billet. Chaque ligne est un concentré de mauvaise foi avec des perles du type Nous refusons plus que jamais l’entre-soi : la bulle, aujourd’hui, c’est X explicitant sans le vouloir l'élitisme qui sous-tend cet exil de la pensée correcte. Tout réseau social est une bulle, mais il est pour le moins curieux de prétendre agir contre l’entre-soi en reproduisant la définition même de ce qu’est l’entre-soi.
Magnanime la présidente de Médiapart laisse le libre-arbitre aux journalistes de la rédaction de rester ou pas à titre personnel sur X. Bonjour l’ambiance à la machine à café de Médiapart : "- Ca va Bruno, pas trop serré du moule-boules de toujours poster chez les fascistes ?"
En attendant l'interdiction de X (au nom de la liberté hein ?)
L’autre soir, à un vernissage dans le marais, coeur en décrépitude du boboland parisien, je rencontrais un peintre américain démocrate, me montrant son travail sur sa page Bluesky. Lui aussi me sort, alors l’argumentaire générique, primaire dirais-je : "- J’ai quitté Twitter, parce que Bluesky c’est formidable. C'est comme Twitter mais sans les fachos !". Le démocrate a donc une conception d’un réseau sain, idéologiquement purifié selon ses critères, fondé sur le principe du ghetto. Que ce propos me soit tenu dans ce quartier, dans un milieu artistique, parmi des gens dont je peux assurer qu’ils s’identifient tous de gauche, qui sont tous multi propriétaires avec des revenus moyens (le plus souvent non-corrélés au travail) minimum trois ou quatre fois supérieur au reste des français, m’apparaît soudain d’une cohérence parfaite.
Cette pseudo gauche-là recommence sur les réseaux sociaux ce qu’elle a accompli dans les centres villes en les transformant en zone sécurisée pour bourgeoisie éclairée (servie h24 par du coursier Uber sans papier). Elle s’enferme en excluant tout ce qui ne pense pas comme elle, et elle le fait au nom du "vivre ensemble".
Derrière les positionnements d’autorité morale et/ou un antifascisme de routine (vidé de tout sens à force d’être délayé à toutes les sauces depuis deux décennies), la migration sur BlueSky c’est la gentrification des centres villes appliquée aux réseaux sociaux.
Face à une réalité qui les effraie, le réflexe de nos autophilosophes des lumières 2.0 est de se regrouper entre gens de mêmes valeurs dans un entre-soi confortable (coucou Médiapart), un havre féerique où l’autoproclamé détenteur du savoir autorisé peut étaler sa noblesse d'âme sans prendre le risque d'être souillé par les graisseuses vociférations d'une contradiction populaire qu’au fond il méprise, hier comme aujourd’hui sauf qu'aujourd'hui il appelle ça "un climat haineux".
Souvent au bal masqué des idées, les progressistes cachent les spécimens les plus réactionnaires du marché.
(1) Etrangement, entre 2020 et 2022, la censure concrète sur les principaux réseaux sociaux de tout post s’interrogeant sur l’efficacité de vaccins magiques sortis de nulle part ou critiquant l’application d'un pass discriminant la population (française pourtant) ne furent l’objet d’aucune poignante tribune de la part de nos êtres "éveillés". Médiapart a même purement et simplement fermé le blog de Laurent Mucchielli qu'elle hébergeait car il contrevenait à la propagande vaccinolatre. Quant à la rancoeur contre les milliardaires de nos séparatistes anticapitalistes du clic, elle ne s’applique bizarrement pas à Mark Zuckerberg et son tentaculaire réseau Meta.