23 février 2014

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Une nouvelle bulle en formation


"- Je suis en formation !". 

Un peu partout on l'entend, la phrase revient souvent. 

Alors que la loi réformant la formation professionnelle (concernant des millions de chômeurs et de salariés) était rejetée au Sénat cette semaine, quelle n'est pas ma surprise de constater que la vidéo de Michel Sapin, ministre du Travail, expliquant assez clairement pour une fois les améliorations incluses ne cumule que 104 visionnages sur Dailymotion cinq jours après sa mise en ligne.

(capture le 22/02, mis en ligne par le gouvernement le 17/02)

Donnons un petit coup de pouce au service com' du gouvernement en relayant cette vidéo :


Le truc ayant été (provisoirement) rejeté, discutons du fond

La formation professionnelle représentait en 2010 un budget de 31.5 milliards d'euros dont 13 financés par les entreprises, le reste par la collectivité (état, région, Europe). En période de restriction budgétaire, où les intermittents sont stigmatisés pour à peine un petit milliard (et encore ça se discute), à la vue des résultats de la formation professionnelle sur le chômage et la progression salariale (entre rien et nul), n'y aurait-il pas un petit ménage à faire ? 

Comme le souligne un rapport de la DARES en 2010, l'argent des formations est orienté à 85% vers les salariés (essentiellement dans les grosses sociétés). La formation devrait s’adresser, par définition, à ceux manquant de qualifications pour retrouver un nouvel emploi : les chômeurs. Seuls 8% d'entre eux se partagent les restes. Et encore, entre la complexité des paperasses et les castings, une discrimination s’opère au bénéfice des plus qualifiés.

Comme l’exposait l'émission Cash investigation en octobre dernier (voir ci-dessous, et là faut vraiment visionner) : n’importe qui peut se déclarer formateur. N’importe quel organisme de formation peur créer n’importe quelle formation, vendre sa prestation à n’importe quelle entreprise, légalement obligée d'en financer une partie. Comme l'inspection du travail, le contrôle des formations est en sous-effectif (Médiapart parle de 200 inspecteurs pour 30 milliards d'euros en circulation : autant dire rien et, sur les 80 pages du projet de loi, seuls deux feuillets sont consacrés au renforcement du contrôle, apprend-on également). Il est donc aisé pour un petit malin de bien gagner sa vie en vendant à des gens pouvant s'en passer des formations bidons, mais subventionnées. 



Deux questions se posent :

1 / Pourquoi rien n’est réformé vu les sommes en jeu et l’inefficacité du bidule ? 

2 / Pourquoi autant de gens sont friands de formation ?

La réponse à la première question est simple : ça génère beaucoup trop de pognon, trop de boites, d'organismes, de syndicats, se sucrent. C’est désormais un secteur économique à part entière qui génère de l'emploi (euh... oui pour les formateurs).

Pour les autorités, même coûteuse, cette dynamique comportementale de la formation sans fin, où chacun devient l'entrepreneur de son cursus professionnel a une utilité sociale non négligeable (comme en son temps l’accession à la propriété, et sa légende urbaine de l'enrichissement inexorable, compensait la stagnation salariale) : elle canalise les esprits, place l'individu dans une dynamique, cultive dans l'intime le concept de flexibilité professionnelle (totem libéral) tout en triturant chez le chômeur, ou futur chômeur, un fond de culpabilité sur son oisiveté supposée. Il vaudrait mieux se former, même pour rien, que de ne rien faire. 

Dans l'entreprise, la formation c’est un peu le club med du salarié. A défaut d’être augmenté, le salarié est valorisé et change d’air. La formation redonne confiance, permet de décompresser, revalorise parfois et renvoie au confort sécurisant des bancs d’école. Le salarié souffle, l’entreprise gagne un collaborateur redynamisé trois jours, des organismes en vivent, la collectivité raque. Pourquoi s’arrêter ?

En plus d'offrir à l'Etat l'opportunité de les rayer des statistiques, les 14% de demandeurs d'emploi concernés retrouvent avec la formation des perspectives, un cap. A condition que la formation soit sérieuse, bien appréhendée par le candidat et qu'il y ait une demande identifiée en face, parfois ça marche (vu et revu).

Je mets hors de l'équation ceux en quête d'un meilleur moi (inépuisable chair à canon marketing), finançant eux mêmes une formation, en toc et coûteuse (avec endettement c'est mieux), dans la kyrielle des organismes interlopes.

En tant qu'adeptes du 2+2=4, posons cette petite question à 30 milliards :

Si le stock d'emplois est limité (et avec des millions de chômeurs depuis des années, on peut se le demander), à la fin du bonneteau, quand chacun aura échangé son boulot avec son voisin (en admettant que les formations correspondent réellement à un boulot), il y aura toujours cinq millions de chômeurs.

Du pognon en masse, de l'argent public distribué sans aucun contrôle, des entreprises qui financent selon leurs intérêts, des organismes opaques qui pullulent : comme pour internet ou l'immobilier jadis ne sommes-nous pas en présence d'une belle bulle ? Une bulle de la formation ne bénéficiant pas de surcroît aux gens qui en ont théoriquement le plus besoin ? 

En attendant des éclaircissements, et un nouveau passage de la réforme à l'Assemblée, on peut juste conseiller au candidat à la reconversion professionnelle de faire la seule et unique formation assurée d’un débouché à court terme : une formation de formateur.

Articles connexes :
Les sentiers de la gloire
La sécurité de l'emploi (de Laurence Parisot)
Les professionnels

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8 comments:

Unknown a dit…

Il ne sert à rien de former des "chômeurs" en payant d'autres personnes pour le faire. Une fois formés, qui donc seraient leurs clients solvables pour leur production ? Ceux qui les ont formés savent déjà faire cette production, donc ils ne peuvent être les clients. Qui donc aura la monnaie pour acheter les biens ou services qu'ils seront alors en mesure de fournir ?

Ca ne tient pas, il manque plusieurs cases au raisonnement qui fait croire que l'économie consiste à savoir produire des choses. En réalité tous les hommes savent produire. Mais lequel d'entre-eux va s'endetter pour acheter aux autres, tandis qu'on achèterait pas ce qu'il produit lui ?!

Sans penser la symétrie entre les hommes, que signifie la distinction "formateur" - "formé" si ce n'est intrinsèquement une asymétrie esclavagiste - esclave dans la description même de l'économie ?

Les hommes qui s'attachent aux concepts pyramidaux vivent une économie pyramidale. Comment pourrait-il en être autrement ?

L'effet est toujours de même nature que la cause.

Toutatis a dit…

ça fait des années que je lis des choses semblables concernant les Etats-Unis. C'est sans doute le cas de tous les pays où la précarité se développe. Sauf que là-bas ce serait plutot à la charge des gens en formation, et que ça se passe dans des universités, où beaucoup de 30-40 ans retournent pour essayer de rebondir après un licenciement. On a donc une très grande quantité de formations bidons ou qui ne servent à rien pour avoir un emploi.

Toutatis a dit…

(suite)
et une bulle d'endettement qui atteignait 1000 milliards $ il y a quelques années, et qui a dû augmenter depuis. Elle serait d'ailleurs en train d'exploser. Et là-bas les prèts pour l'éducation ont un statut spécial : il est impossible de s'en débarasser par une faillite personnelle. Ce qui explique que les banques n'hésitent pas à prèter. On est donc enchainé une fois endetté.

Anonyme a dit…

Bien Vu!
Chomiste longue durée, j'ai navigué entre formations bidons et associations d'aide au retour à l'emploi.
Pour ces dernières, le truc est flagrant.
Deux-trois PC de dix ans d'âge, une connexion internet, une imprimante récupérée à la casse, une "formatrice" en contrat emploi-solidarité, et hop! à vous les subventions du conseil général! :D
Pour les "formations"... ben faudrait compter dans le tas combien sont des formations diplômantes. Peu en fait. Parce que les formations diplômantes coûtent cher parce qu'elles nécessitent de vrai profs. En général, les pouvoirs publiques préfèrent payer des trucs moins cher au titre ronflant. Les chomistes se retrouvent coincés entre des formations diplômantes mais pas payée et des formations bidon mais subventionnées...

t0pol a dit…

article complet, j'applaudis.

Unknown a dit…

La formation est un serpent de mer aussi élimé que l'emploi des jeunes sortis secs du système éducatif, l'emploi des travailleurs handicapés et l'emploi des "seniors" (entendre par là les gens de plus de quarante-cinq ans réputés moins malléables que leurs cadets). Il y a, je trouve, un continuum dans cette logique d'échec franco-française, qui tient en partie à une obsession du papelard qui nous vient de notre culture bureaucratique soviétiforme, où on ne va pas juger le bûcheron à sa façon d'exécuter une coupe claire, mais aux papiers qu'il sera ou non en mesure de fournir pour prouver qu'il est capable d'exécuter une coupe claire. C'est une culture de l'échec programmé et du contre-sens, dont les résultantes tangibles sont la perte et le gâchis des talents, le découragement des potentiels et des bonnes volontés. On ne peut rien faire dans ce pays sans avoir à produire les paperasses adéquates. On ne met pas vos capacités à l'épreuve du terrain. On en reste à l'abstrait, le Français aime se payer de mots et se gonfler de belles théories. Qui n'a pas perdu de précieuses semaines dans un stage de "remise à niveau", antichambre de la marginalisation à vie, ou de ces prétendus "stages de communications" refilés par les ANPE de naguère où quelque comédien à la ramasse va vous apprendre à gesticuler sur scène entre deux "groupes de parole" où la psychologue de service va vous zieuter pleins phares, chacun et tour à tour, pour ensuite vous balancer ce que vous savez de toute éternité : que vous êtes foutus pour le système qui n'en a rien à fiche de vous, dès lors que vous êtes entrés dans les cadres de l'irrécupérabilité que la société française réserve aux chômeurs de longue durée, aux RSAstes, aux personnes handicapées et pire encore, à ces autodidactes qui constituent la bête noire des bureaucrates en charge de l'insertion, quand bien même ils savent tenir une tronçonneuse, réparer un ordi, créer un site web, appareiller un mur de pierres sèches, poser des placos ou faire des pizzas. La formation est une légende urbaine comme une autre, dans ce pays où l'on déteste la confrontation aux rigueurs du terrain.

cdg a dit…

Qu il y ait du menage a faire dans la formation, c est sur. Par contre je suis pas sur qu il faille jeter le bébé avec l eau du bain. La formation c est utile et pas simplement pour payer des vacances a des salaries. Car le monde change et par exemple la dactylo va devoir apprendre a se servir d un ordinateur au lieu de prendre en steno (je prend un exemple caricatural pour que tout le monde comprenne que ce qui existait en 1960 a disparu en 90 mais par contre la personne qui avait 20 ans en 1960 en a que 50 en 1990 -> soit on attend que la societe qui l emploie la vire soit on la forme)
Une autre faille de ton raisonnement, c est que le travail est un gateau fixe ("Si le stock d'emplois est limité à la fin du bonneteau, quand chacun aura échangé son boulot avec son voisin (en admettant que les formations correspondent réellement à un boulot), il y aura toujours cinq millions de chômeurs."). C est bien evidement faux. Sinon on serait tous au chomage car les machines nous auraient tous remplaces etant donne que ca a commence au XIX sciecle
Si une personne mieux formee peut faire un travail plus productif ou simplement ou il n y a personne, tout le monde est gagnant. La personne en question bien sur, mais aussi la societe qui benefice soit de quelque chose de mieux fait soit simplement d une perosnne qui a plus d argent et qui du coup consomme plus. Par exemple supposons qu on forme des medecins (car il en manque, surtout dans les regions paumees) a partir de personnes ayant des formations scientifiques et au chomage. La societe serait gagnante (moins de chomeurs et plus de medecins dans les zones perdues). Ca se fait pas car ca va heurter le lobby medical et qu il faudrait probablement remettre a plat la formation des medecins

Sinon en ce qui concerne les intermittants du spectacle, j ai du mal a comprendre comment on peut justifier ce type de regime. Pourquoi une coiffeuse n a pas les memes conditions que les autres car elle travaille a la TV ?
A moins de considerer Julie Lescault et autres emissions du meme type comme de la culture, je vois vraiment pas pourquoi ce regime existe! Et dans tout les cas, pourquoi ce regime est finance uniquement par les cotisations des salaries du privé ? pourquoi ni les commercants ni les retraités ni les fonctionnaires ne paient ?
LA seul raison a ce regime, c est que les intermittants sont comme les taxis: une minorite qui fait peur a nos dirigeants (sans compter les extras rue du cirque ;-) )

Unknown a dit…

@cdg : Sur le statut des intermittents du Spectacle, il suffit de vivre en province pour constater ce qu'il en est des possibilités offertes d'effeuiller son carnet à souche hors des réseaux qui permettent de gagner sa vie sous ce statut. De plus, il laisse de côté des artistes de disciplines ne relevant pas du spectacle (arts graphiques, photo, plasticiens...), qui n'ont que le choix de vivoter en trouvant à faire autre chose à côté, ou d'adhérer au statut d'artiste en acceptant d'être les otages des DRACs, ce qui ne garantit rien en matière d'opportunités (car là encore tout est affaire de réseaux, d'appuis, de relations, d'implantation, c'est comme ça que ça fonctionne en France) mais te rend passible de devoir sans cesse rendre des comptes aux administrations concernées, et d'avoir les mains liées lorsque se profile une opportunité de travailler avec l'étranger.

Après, ce n'est pas parce que la personne sera mieux formée qu'elle gagnera mieux sa vie et fera par là tourner l'économie - le système libéral privilégiant l'actionnariat par rapport au salariat, et les employeurs recherchant plutôt à payer moins pour plus de boulot qualifié. Ensuite, au départ, les formations qualifiantes ne sont pas gratuites et encore moins offertes par Pôle Emploi. Ou on a les moyens de se les offrir, ou on ne les a pas. Ni une ni deux. Et ça ne garantit pas de suivi concret. Les structures relevant du service public, telles que l'AFPA, posent des limites d'âge (40 ans, on se demande pourquoi ?). La formation -hors les plans bidons que toute personne concernée a eue un jour à expérimenter- est hors d'atteinte de ceux qui en auraient vraiment besoin, tels les RSAstes et les personnes handicapées, surtout quand ils vivent loin des grandes villes et qu'ils sont privés de mobilité. De plus, s'il fallait se fonder sur des statistiques d'embauche pour décider de maintenir lesdites structures ou les fermer, je crois qu'elles fermeraient toutes. Car il y a un réel problème, un très très gros problème, un mahousse problème d'évolution vers la sortie de l'exclusion sociale qui se pose à toi dès que tu es précipité dans le piège du RSA, que tu es chômeur de longue durée (surtout si tu as dépassé le seuil fatidique des 40 ans), ou personne handicapée reconnue susceptible de pouvoir travailler. Le RSA en particulier est un gouffre dont on ne sort pas, plus tu t'efforces d'en sortir, plus le système t'y enfonce car à chaque tentative, le peu que tu en retires est automatiquement soustrait de ce qu'on te refile, et ton alloc logement est revue à la baisse. Le RSA est un hachoir à existence. La solution ? Le revenu d'existence, et on y viendra le jour où les gens se prendront en main et que ça commencera à sentir sur les terrains du social et de l'économie -car une trop grande masse de gens privée de pouvoir d'achat ce n'est pas bon pour maintenir une économie -, ou un changement radical de mentalité chez les employeurs. Mais ça ça tient à deux choses : que l'économie se remette à fonctionner par une politique de relance et non plus de restrictions (voir plus haut), et comprendre une fois pour toutes que la qualité du travail se rétribue à sa juste valeur, autrement dit par des salaires qui permettent à chacun de pouvoir vivre dignement et faire des projets. Là, on est dans l'utopie.

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