6 avril 2013

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Vivre et penser comme la droite : le paradoxe Cahuzac


"La lutte des classes. Vous, vous y croyez toujours. Moi, je n'y ai jamais cru. Jamais."
Jérôme Cahuzac, 07/01/2013. Mots croisés, France 2

Promis, c'est le dernier billet sur le sujet. Mais, il n'est pas tant question de Cahuzac ici que du rapport de la droite aux agissements de l'ancien ministre du budget.

En effet, la droite est confrontée à un paradoxe. Elle aura beau critiquer le mensonge et par delà la complicité éventuelle d'une partie du gouvernement et d'un manque de morale, dans la pratique, Cahuzac n'a fait que concrétiser la ligne antiimpôts défendue par une large partie de la droite, et bien remise au centre du débat public depuis la rentrée. La ligne est pitchée à la perfection par le député UMP, Jean-Michel Fourgous, jeudi dernier dans le Grand Soir 3:

"S'il y a des paradis fiscaux, c'est que La France est un enfer fiscal". 

Après les leçons de patriotisme et d'identité nationale du dernier quinquennat, on se souvient des récents soutiens appuyés d'une bonne partie de l'UMP à l'exil fiscal de Depardieu (l'acteur à 10 patates le navet devenu l'icône du bagne fiscal hexagonal) ou d'un Bernard Arnault (Le Rémi sans famille des multimilliardaires)... Comment la droite peut-elle attaquer l'ex-ministre du Budget sur son manque de moralité et le fait qu'il ait soustrait de l'argent au fisc ? C'est simple, elle ne le peut pas : Cahuzac a eu un comportement de droite. Donc, elle attaque sur le reste.


Quelques jours avant l'aveu de Jérôme Cahuzac, des députés UMP déposaient à l'Assemblée nationale une proposition de loi, d'inspiration Berlusconienne, visant à amnistier fiscalement le rapatriement des capitaux placés à l'étranger. La droite confirme ainsi que ceux que nous considérons comme des coupables, elle les considère comme des victimes (et vice versa).

J'aime bien écouter BFM Business, on y pèche à toute heure de la journée, sans filtre de bienséance, un concentré rapide du délire libéral décomplexé ne tirant des leçons de rien. L'autre soir, on y entendait de la bouche d'un animateur maison que l'affaire Cahuzac n'était pas si grave, car au fond il n'avait pas abusé d'une petite vieille (et je pense qu'il n'était même pas fait allusion à l'affaire Sarkozy / Bettencourt). Comment mieux résumer, l'esprit de droite?[1]. La délinquance n'est qu'une affaire de violence physique locale, ne concernant donc que les pauvres et les ghéttoisés, dont l'avis compte peu puisqu'ils gagnent peu mais avec qui il faudra faire preuve de la plus grande fermeté. La classe supérieure qui a le bon goût d'avoir trop pognon, elle, a le droit d'être délinquante à l'international puisque cela reste sans arme, ni haine, ni violence et que, quelque part, oui monsieur, grâce aux bienfaits internationalement reconnus de la mondialisation, c'est bon pour l'économie[2].

Tout cela est bien sur faux. L'argent de l'exil fiscal, en plus du manque à gagner local,  on l'a vu dans l'histoire de Chypre, finit invariablement par jouer contre les peuples de chaque pays, d'abord les pauvres puis les classes intermédiaires. Les coups et blessures sont bien plus violents, bien plus étendus, plus prolongés dans le temps. Des coups indirects et cachés derrière l'anonymat de banques, de comptes offshore, de fonds de pension, ne permettant pas de pointer du doigt un individu responsable : 30.000 milliards de dollars sont dissimulés dans les paradis fiscaux, l'équivalent de 3/4 de la dette mondiale. Les "victimes" vous remercient.

Ne nous trompas pas de cible, Cahuzac n'est pas coupable parce qu'il est politique, c'est juste une circonstance aggravante elle-même aggravée par la période (L'aurait-on autant accablé avec un chômage en baisse et 2% de croissance ? Pas sur). Combien de Cahuzac œuvrent toujours dans l'ombre, sans aucune responsabilité politique ? C'est contre cela qu'il convient de lutter avec fermeté[3]. 

Si l'affaire Cahuzac peut également faire comprendre au pouvoir socialiste que c'est avant tout ce laisser-aller de droite qu'il convient de rectifier dans ses rangs, on aura avancé.


[1] On reconnait souvent cet esprit à ce qu'il se défend d'être ni de droite ni de gauche (mais surtout pas de gauche).

[2] La ruse de la classe supérieure étant, grâce à ses relais médiatiques, de persuader les classes intermédiaires de se rallier à sa cause en s'appuyant sur le dégoût pour la pauvreté, l’accès au crédit et la stimulation continue du désir de richesse.

[3] Ci-joint la pétition contre la lutte fiscale à destination du gouvernement initiée par Politeeks 

14 comments:

t0pol a dit…

Promis, c'est le dernier billet sur le sujet on croirait du Harlem Désir là !

t0pol a dit…

Je te conseille de lire la définition de "corruption" dans le wiki Libéral , tu comprendra que l'aspect "petite vieille" n'est pas si anodin.

Seb Musset a dit…

@Politeeks > Ah oui merde. J'aurais dû ajouter "de la semaine"

Zgur a dit…

Un autre aspect paradoxal de l'évasion fiscale, c'est qu'elle réduit l'assiette globale des impôts payés par les non fraudeurs.

Et donc l'évasion fiscale aggrave "l'enfer fiscal" !

Mais pour les autres !

Arf !

Zgur_

t0pol a dit…

Zgur_ c'est pour ça que j'ai mis ça dans ma pétition dès le début :

La fraude fiscale en France dépasse largement le montant annuel de l'impôt sur le revenu payé par les citoyens honnêtes.

Ca permet de répondre aux abrutis qui emploient les mots "sport national" pour de-qualifier ce problème.

Pierre Col a dit…

Découvrant maintenant que Bercy avait été alerté dès 2008 sur le compte suisse et que Woerth alors à sa tête n'avait rien fait, on comprend mieux pourquoi Cahuzac a pris la défense de Woerth dans l'affaire de la vente de l'hippodrome de Compiègne.
Il va vraiment falloir aller au fond des choses et comprendre aussi d'où vient l'argenr de Cahuzac : aurait-il monnayé son influence lorsqu'il était au cabinet de Claude Evin ? A-t-il seilement fait du black en tant que chirurgien et poseur d'implants capillaires ?

Pierre Col a dit…

Et au-delà Pascal Canfin a raison : les paradis fiscaux menacent la démocratie puisqu'ils menacent l'impôt et donc la confiance en l'égalité devant l'Etat.
Comment abolir les paradis fiscaux, ou s' en prémunir, dans le monde de libre circulation de la finance qui a été créé à dessein depuis 30 ans par ceux qui en profitent scandaleusement aujourd'hui ?

Toutatis a dit…

C'est sous des gouvernements de gauche qu'on a mis fin au contrôle des flux de capitaux. Ce système en Europe permet actuellement aux riches des pays en crise en Europe de planquer leur fric en dehors de leur pays, même parfois dans d'autres pays de l'UE. Les "exils fiscaux" à la Depardieu ne sont possibles que grâce à cela.

Elie Arié a dit…

Il n'existe aucune "mesure draconienne" sérieuse que la France puisse prendre contre la fraude fiscale; c'est un problème de liberté de circulation des capitaux, et accessoirement, d'existence de paradis fiscaux..


Il est naïf d'imaginer que l' Union Européenne ait l'intention de s''y attaquer, alors qu'en font partie le Luxembourg, le Liechtenstein, Jersey et Guernesey,sans parler du plus grand du monde: la City de Londres, auxquels elle n'a jamais demandé de modifier leurs pratiques; tout comme elle n'a vu aucun inconvénient à intégrer Chypre en 2004.

En réalité, il y a une concurrence mondiale entre les paradis fiscaux de l' UE et ceux situés hors de l' UE ( Suisse, îles Caïman, Singapour, et tant d'autres) , et il est de l'intérêt de l' UE que ces capitaux qui cherchent à échapper à l'impôt restent dans ses paradis fiscaux, plutôt que de s'expatrier hors d'elle.

En réalité, quel est le rôle de Chypre? Attirer les capitaux de la maffia russe et les investir dans l'économie grecque pour les blanchir: c'est tout avantage pour l' UE, et il n'est pas étonnant que la Grèce, malgré sa situation financière catastrophique, se soit portée volontaire pour venir en aide à Chypre.

En économie mondialisée, les capitaux sont plus importants que les impôts -donc que les peuples.

Fred Camino a dit…

Hollande n'a plus le choix maintenant, il faut qu'il s'attaque à la fraude sérieusement, question de crédibilité.

Seb Musset a dit…

@ElieArie @Toutatis > On est d'accord sur le fond. L'exil fiscal n'est le fait que d'une poignée, la fraude fiscale est bien plus répandue (et on peut lutter cf. Billet précedent).

Pas d'accord sur l'UE. Si on doit se résoudre à mentir parce que les autres mentons, abandonnons tt de suite cette idée d'Europe. Bonne à forcer les pauvres à installer des détecteurs de fumée chez eux, et impuissante à canaliser les capitaux des riches.

Elie Arié a dit…

L'UE n'est pas "impuissante à canaliser les capitaux": elle ne cherche pas à les canaliser, son objectif est de les faire circuler sans entraves.

cdg a dit…

je sais pas ce que voulais dire la personne de BFM mais c est quand meme moins grace de planquer de l argent en suisse que de fracasser la tete de quelqu un pour lui piquer son sac.
la fraude fiscale, comme l escroquerie, c est condamnable mais ca fait quand meme moins de degats qu un tabassage en regle (quand j etais a l hopital, j ai eut un moment comme voisin un gars qui est passe au mauvais endroit au mauvais moment). tu perds bien plus qu un peu d argent et sans compter les sequelles psychologiques, tu peux avoir des consequences sur ta sante

romain blachier a dit…

Ah l'expression enfer fiscal!

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