22 février 2013

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La dette, péché originel pour peuples coupables


Sur les ondes ou dans les éditoriaux des experts autorisés, on n'entend et ne lit que "réduction des déficits", "retour à la croissance" avec comme seul but de "rentrer dans les clous de Bruxelles" (ou plutôt que les clous de Bruxelles nous rentrent dedans). Pour 7 Français sur 10, la priorité serait la réduction des déficits publics. Tous les moyens sont bons pour la réduire cette ardoise maudite sans trop s'appesantir sur les raisons de son accumulation autres que celle d'un "Etat qui dépense trop".

Tous les moyens ? 

Freiner l’évasion fiscale ? (50 milliards / an) Taper dans les niches fiscales ? (120 milliards / an). Non. La priorité gouvernementale pour résorber notre dette publique de 1900 milliards, c’est bien sûr de fiscaliser les allocations familiales et ses 2,5 milliards de déficits (ou tout au moins de le faire croire, afin de sonder les esprits sur une austérité étendue à d'autres secteurs, école ou santé). 

Dans le même temps, les prêcheurs d'austerité insistent sans relâche de Cdansl'air au JT sur la compétitivité (donc le manque de compétitivité) du salarié français, comprendre qu'il doit travailler plus ou être moins payé. Ou les deux. Problème, il n'est pas assez payé et travaille déjà trop.

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Vu le niveau élevé de la productivité française (45,4 euros / heure travaillée) et la baisse continue de la part des salaires dans le PIB depuis 30 ans au profit du capital (- 9.3 % en 20 ans, soit 100 milliards passés de la main du travailleur à celle de l'actionnaire), si l'on voulait inverser la dynamique, remplir les caisses de l'état tout en redistribuant du pouvoir d'achat pour faire repartir la consommation, il s'agirait prioritairement de taxer plus fortement le capital, d'augmenter les salaires et de partager le temps de travail (les 35 heures sont un mythe, la moyenne d'un temps plein en France est à 41.2 heures). Bref, les trois pistes que l'on s'interdit "moralement", en persistant à prolonger la stratégie de l'échec.

Ces pistes interdites, blasphématoires, ne sont que rarement évoquées dans les multiples débats médiatiques sur le sujet, se réduisant au SAV des inclinaisons gouvernementales. En 80 minutes dans le dernier Mots croisés sur "le retour à la croissance" sur France2, un seul intervenant (Laurent Neumann de Marianne) à abordé la question de l'augmentation des salaires, pourtant préalable à tout débat sur ce sujet. 

Comment les apôtres de la croissance espèrent-ils la relancer sans consommation ? En misant sur des salariés mal payés uniquement voués à produire pour l'export ? Bref, en nous transformant d’un coup de baguette tragique en Allemagne conquérante (si confiante en son modèle qu'elle ne fait plus d'enfant). A ce petit jeu, nous finirons tous perdants. 

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Le mécanique était pourtant bien huilée. La diminution de la part des salaires dans le PIB au profit du capital et les habitudes qu'elle a permis de démultiplier (cupidité maladive exponentielle, avec au milieu une crise financière favorisée par ce déséquilibre[1]) a généré une montagne de chômage, sacrifiant sur l'autel du méga profit pour club fermé non plus une, mais deux générations (les 30 piteuses sont maintenant les 40). Le chômage a permis à son tour de peser à la baisse sur les salaires (et au passage ratiboiser toute contestation dans l'entreprise). L'illusion de la croissance ne reposait plus que sur le pouvoir d'achat des baby-boomers et la stagnation salariale des autres se compensait par leur endettement et l'acquisition de produits d’importation à bas coût (chacun fermant les yeux sur les conditions de travail et les mécanismes fiscaux ou marketing mis en place aux mépris des lois et de l'éthique pour faire gonfler les tarifs: prix de transfert, marges arrières ou obsolescence programmée).

Nous sommes au bout de ce cycle (et comme toujours, l'immobilier en est un révélateur: c'est le gel des transactions). Chacun le sait au moins intuitivement, mais tout continue comme si nous désirions l'agonie la plus longue possible en braillant la dette ! la dette ! 

Du haut en bas de la société, nous ne nous autorisons plus à songer à d'autres pistes que l'austérité: par manque de courage et d'imagination de nos dirigeants[2], sous le poids d'une idéologie et de méthodes économiques dictées par les intérêts financiers d'une poignée ("les riches sont indispensables", "les 35 heures c'est mal", "il faut travailler plus"), parce que nous avons le nez dans le guidon d'une urgence quotidienne coupant toute réflexion et qu'il devient plus simple (et plus consensuel) d'affirmer que si La France a le nez par terre c'est la faute à Kader ou aux fonctionnaires mais pas à PPR ni aux multi-millionnaires. 

Le salariat implose, la flexibilité s’impose, le travail gratuit s’invite progressivement dans les consciences. Prochaine étape: payer, donc s'endetter, pour avoir un job.

Dans la meilleure des unions, l'augmentation des salaires et le partage du temps de travail (ce qui n'est pas de la flexibilité) évoqués plus haut devraient s'accompagner d'un alignement fiscal des pays européens, un contrôle plus scrupuleux des gains et des conditions de travail dans les entreprises, un encadrement des flux financiers et une taxation plus lourde du capital (tout en favorisant l'essor des PME). Oui je sais, il se passe exactement l'inverse. On préfère l'assurance du drame en misant sur des peuples soumis au courage de l'ambition en pariant sur des peuples éveillés. 

A ce jour, alternance ou pas, il y a bien plus de chances que l'on tape sur les allocations, les retraites, les collectivités locales, que l'on démantèle le service public pour le brader pièce par pièce en glissant sur la résignation progressive d'un peuple culpabilisé et mis en compétition, un peuple austérisé, délaissant peu à peu le principe d'universalité au nom de la dette. Ce nouveau péché originel rabâché à chaque messe par le clergé de la sainte-rigueur, écrasant toutes les causes et les responsabilités sur son passage. Cette dette sous le poids de laquelle le citoyen isolé se doit de tout considérer, avec en ligne de mire l'inévitable baisse de son salaire pour celui qui en a encore un.

La dette, cette arnaque fondamentale qui n'a pourtant pas vocation à être remboursée. Ses créanciers ayant bien plus d’intérêts à ce qu'elle ne le soit jamais.



[1] Passé un niveau d’accumulation, plus rien ne peut humainement ni être dépensé, ni "ruisseler" sur les peuples. Spécialement dans un contexte favorable à l’évasion fiscale. En résumé, l'accumulation de fortunes des uns ne fait pas l'enrichissement de ceux d'en-dessous. Pire, cet argent réinjecté dans des mécanismes de spéculation finit invariablement par les appauvrir encore plus.

[2] A lire: La gauche n'a plus le droit à l'erreur, P.Larrouturou et M.Rocard, ed.Flammarion 2012

Graphiques: Le Figaro, Le Monde Diplomatique

Articles connexes :
- Vers un surhomme autonome et défiscalisé
- La bonne éducation des endettés
- Qui a peur de la dette ? 

7 comments:

Gildan a dit…

"un seul intervenant (Laurent Neumann de Marianne) à abordé la question de l'augmentation des salaires, pourtant préalable à tout débat sur ce sujet."
Et c'était quand ? ... à la dernière minute euh seconde de l'émission !!!

Seb Musset a dit…

@Gildan > Quasiment, à 40 secondes du générique de fin.

Unknown a dit…

Petit calcul intéressant :

A partir du graphique du figaro :
Si on calcule le coût hebdomadaire du travail (coût x temps hebdo) et le montant de la productivité hebdomadaire (productivité x temps hebdo) on peut calculer le coût de 100 € produits (coût hebdo/prod hebdo x 100).

On obtient :

* France : 75,33 €
* Moyenne Européenne : 75,59 €

Soit un écart de 74 cts, 0,74%

Conclusion : le coût de 100€ produits en France est à la moyenne européenne à 0,74% près.

t0pol a dit…

Seb mon ami, tu parles du partage du temps de travail . Sais tu que tu mérites le bucher là ?

Anonyme a dit…

Sans aucune forfanterie, je dois dire que je suis ébloui par la masse de travail réclamée par ce billet. Félicitations, Seb, du bon boulot. Un billet riche. A côté de toi, je suis un gros feignant qui tape dans le bille d'humeur facile...

Y. a dit…

Excellent papier. Cependant, dommage que le gel des taux de cotisation (depuis le milieu des années 90) soit oublié dans ce constat. Même si "taxer le capital" n'est pas une mauvaise idée, le plus émancipateur (et libérateur donc) serait de revenir sur ces réformes et autres exonérations, et continuer à étendre la cotisation toujours plus loin... ce qu'avait très bien su lire le CNR d'ailleurs.
Taxer le capital, c'est le légitimer et lui donner toutes les raisons d'exister :
http://www.youtube.com/watch?v=j3HTICky3z0
Cela dit, un excellent billet tout de même (comme souvent) !
Bravo et merci.

usclade a dit…

Je suis heureux de voir ce thème, la culpabilisation des peuples par les oligarques financiers, traités chez vous.

Je m'en étais ému il y a quelques mois déjà ici , et je déplorais que cette émotion reste trop discrète dans l'opinion.

C'est triste mais plus la ficelle est énorme, plus on l'avale comme une couleuvre. Quand on sait que les discours de victimisation (de soi) et de culpabilisation (des autres) est un symptôme d'irresponsabilité infantile, on note à quel point notre prétendue démocratie est une mascarade pathétique et condamnée.

C'est un principe de base de toute théorie des organisations :
la responsabilité ne peut s'exercer sans le pouvoir. Les investisseurs (néologisme en vogue pour parler des capitalistes traditionnels) ont pris le pouvoir en se gardant bien d'assumer la moindre responsabilité.
Ils ont pour complices des représentants politiques traditionnels qui sont eux payés pour "exercer" des responsabilités (cet abus de langage ne veut rien dire, mais c'est révélateur... exercer ne veut pas dire assumer..). Des responsabilités démocratiques, ça ressemble peu ou prou à du vent, on en perçoit les effets concrets, mais on ne peut jamais remonter à la source..

Au final, il n'y a pas de responsable. Juste des coupables tout trouvés. Les peuples.
Qui gobent. Comme des canards dans le sud-ouest. Sauf qu'ici c'est pour se faire dégraisser.
Et comme dit François Ruffin, ce monde est un canard, même sans tête il court encore...


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