15 janvier 2011

La révolution n'a pas été télévisée

Ben Ali s’est barré de Tunisie. Chassé par la rue moins de 24 heures après son allocution télévisée de la dernière chance. Bravo aux Tunisiens pour cette leçon de courage et de détermination, et au passage, une hallucinante soirée sur twitter où nous avons pu constater, par défaut, le côté 56k de l'info télé française.[1] 


La situation est aléatoire et je me garde de pronostiquer quoi que ce soit ou de comparer les évènements de là-bas avec la montée de la contestation dans les pays d’Europe confrontés aux politiques de rigueur, mais je ne peux m’empêcher de tirer quelques constats à chaud : 

-  Le point de départ. C'est un jeune vendeur à la sauvette, diplômé et chômeur, dont la police confisque les biens, qui, se sacrifiant, aura raison moins d'un mois plus tard d'un chef d'état en place depuis 23 ans.

- Le facteur décisif de la montée des prix des denrées alimentaires. A noter que cette année, avec la montée du prix du blé - nouveau terrain de jeu des spéculateurs -, la montée du tarif du paquet de nouilles  est timidement annoncée chez nous.

- La tiédeur des deux grands partis français à condamner la répression sanglante (90 morts) à une heure d'avion, voire le soutien appuyé d’une Michèle Alliot-Marie, Ministre des Affaires Etrangères, allant jusqu’à proposer notre « savoir faire » policier à Ben Ali dans sa gestion des troubles, il y a quatre jours, il y a un siècle. Et, bien sûr, son corollaire : le retournement de veste qui gagnera en ampleur dès lundi chez ses ex-amis. 

- A noter et ce n'est pas rien que la première "cyber revolution" vient du monde du monde arabe (dans un pays aux médias pourtant verrouillés) et que l'islam n'a rien à voir dedans. Voilà qui calmera - pas bien longtemps je le crains - les promoteurs de clichés poussiéreux. 

- Contrairement aux apologistes de l’a-quoi-bonisme, l’exemple tunisien nous rappelle l’efficacité de ce mode de revendication nommé "manifestation massive et prolongée". Ce dernier point ne manquera pas de mettre mal à l’aise les divers régimes plus ou moins absolument pas démocratiques des pays du secteur, mais pas seulement. Les braises du ressentiment chauffent de plus en plus en Europe et dans sa périphérie. Les peuples rechignent à se laisser imposer un destin prémâché à la saveur souffrance (notamment grâce au niveau d’éducation et de l’accélération de l’accès à une information) : on saisit alors mieux l’ardeur, ici ou ailleurs, de nos élites à conspuer un "populisme" "qui joue avec le feu" au moindre mal, social, économique ou éthique (les trois vont souvent ensemble) mis en avant dans le discours public. (Mais aussi à faire peur, brider l'internet et à dégrader le secteur de l'éducation. Apeurer un peuple bête et désinformé est la garantie d'un exercice peinard du pouvoir.)

Cette double attitude de nos élites (molle dénonciation des dérives sanguinaires d’un pouvoir autocratique et virulence à condamner ou mépriser l'expression du désarroi et de la colère populaire) cache de plus en plus mal, soit leur déconnexion totale avec le peuple, soit leur terreur de celui-ci, soit, et c'est le plus probable, les deux à la fois.


[1] Nous avons ainsi apprécié hier soir des portraits des relations franco-tunisiennes sur TF1 et France 2 multipliant les images de Chirac, Mitterrand ou Chevènement mais se gardant bien d'en intercaler une seule de notre Monarque à nous en plein french-kiss avec Ben Ali, et pourtant il y en a de belles et récentes en HD. Je vous conseille à ce sujet, le site de l'Elysée à la rubrique "Tunisie".

15 comments:

Anonyme a dit…

Rouge Jasmin

Le Jasmin c’est désormais le nouveau parfum, de ces jeunes tunisiens qui ont donné leur sang pour mettre fin à la corruption, l’abolition des privilèges…
quel sublime sacrilège !
Qui indique, qu’il n’y a pas, qu’il ne peut y avoir d’autre souverain que le Peuple.
Pas d’autre destin que celui qu’il se choisit : le sien.
La Tunisie vient d’ouvrir les yeux du monde sur ce qui est désormais possible : la Révolution…
Quitte à mourir autant mourir pour les autres…
Un peuple qui se soulève comme un seul homme
Ce n’est plus Rome, mais Carthage !
J’ai la rage, pas vous ?

http://www.tueursnet.com/2011/01/rouge-jasmin/

Antonin Moulart a dit…

Excellents constats...

La question qui me vient immédiatement en tete: comment faire la révolution aujourdhui en France ? Puisque la classe politique n'écoute rien, que les syndicats sont en dessous de tout, comment s'exprimer et se faire entendre ?

des pas perdus a dit…

Nul ne peut prédire ce que cette révolution donnera. Elle va peut-être produire des secousses jusque dans les pays voisin et en Europe... Peut-être même au Portugal où des élections se dérouleront bientôt.

Anonyme a dit…

Avant la révolution, il faut une prise de conscience. Et en France, avec les médias soumis, ça me paraît mal barré, tant que le petit confort d'une majorité ne sera pas en danger...

cultive ton jardin a dit…

Les milices de Ben Ali n'ont pas pris l'avion, yavait pas de place pour elles, et probable qu'au pays on leur offrait encore du boulot.

Je me demande comment les Tunisiens vont se tirer de ce nouveau piège, j'ai peur pour eux d'un côté, mais de l'autre j'ai tendance à leur faire confiance. Ils ont montré sagesse, lucidité et détermination dans leur premier combat, ils ont gagné une bataille, je leur souhaite de gagner aussi les autres, plus complexes peut être que la première.

A suivre.

Seb Musset a dit…

@desenfumage après avoir assisté à un samedi de soldes où les gens se marchaient littéralement dessus pour consommer, j'ai le sentiment qu'on est encore très loin, très loin d'une quelconque révolte ici...

La France n'est en est pas au point où en était la Tunisie, en revanche les politiques de rigueur et l'enlisement économique, le chômage nous conduiront à un resserrement des libertés, ça plus l'augmentation des prix....

La population tunisienne est également très jeune (1 tunisien sur 2 à - de 25 ans.) alors que La France et l'Europe sont des populations vieillissantes.

Anonyme a dit…

Comme l'Amérique, la France est un gros tas de lâches et de feignants, tous juste bon à pleurnicher pour conserver quelques privilèges après avoir célébrée l' abolition de ceux-ci tous les 14 juillet. On n'est plus à une connerie près.

La Tunisie a sa jeunesse -peut-être- un peu moins bobotimisée et son avenir devant elle. Le nôtre, il est derrière, et bloqué dans une faille de l'espace-temps appelée "Deuxième guerre Mondiale", pour faire court.

Et puis, j'essaie de me déniaiser un peu. Les révoltes dans ce genre, ça ne finit jamais par profiter au peuple, inconscient et ignorant. Le premier démago qui passe par là saura faire son trou. Comme d'hab. Un soulèvement populaire ne s'accompagne jamais d'un soulèvement d'intelligence (théorie lue et approuvée par moi-même).

Un autre Séb.

nanou a dit…

le combat ne fait que commencer, des elections anticipés sont prevus sous 6 mois... ce qui m'a derangé, c'est la façon de certains medias francais de relayer l'idée selon laquelle le changement pourrait venir du premier ministre tunisien, actuellement president par interim, parce que, je les cite "il a la confiance du peuple" et ces paroles venaient d'invités sur ces plateaux télés, tunisiens eux meme, comme par exemple, le directeur adjoint de la revue Jeune Afrique, AH BON ??? premiere nouvelle, Ghannouchi a la confiance du peuple, non mais c'est une blague, il a été le premier ministre de Ben Ali pdt 10ANS !!! alors la on a deux options, soit il est aussi corrompu que Ben Ali et les deux faisaient la paire soit c'est un lache qui n'a jamais osé tenir tête a son president, ne serais-ce qu'en demissionnant pour manifester son desaccord. Donc dans les deux cas, il n'est certainement pas l'homme de la situation et surtt, je ne sais pas ou ils sont allé chercher que tous les tunisiens le soutenait, pour l'instant ils sont dans l'euphorie du depart de Ben Ali, mais cela ne veut pas dire qu'ils plebiscitent Ghannouchi, ca c'est de la recuperation, tous mes amis tunisiens (moi je suis algerienne) me l'ont confirmé.
Je ne dirait rien sur l'intervention de MAM, elle se passe de commentaire, qq devrait peut etre lui rappeler que la colonisation et l'Europe paternaliste c'est fini.
Pour ce qui est des liens de Sarko avec le régime, pour sa defense, lool, les presidents precedents et de tous bord n'ont pas fait mieux, rappelez vous Chirac lors d'une conference de presse nous expliquant que la Tunisie fournissait a son peuple de quoi manger, se soigner et s'eduquer et que pour lui c'etait un model des droits de l'homme, traduction on vous nourrit, on vous soigne et on vous apprend a lire, vous allez pas en plus reclamer le droit de penser et de vous exprimer non mais... si ca c'est pas du paternalisme, je veux bien me faire nonne.

nanou a dit…

suite
rappelons aussi que Ben Ali etait tenu en laisse, certes ce n'est pas une excuse, par sa chere femme, qui n'a rien a envier a pablo escobar et autre cosa nostra, a ce sujet je vous recommande un tres bon livre, "La régente de Carthage".
On remarquera aussi pour ceux qui ne le savent pas que contrairement aux blablas des medias francais, Ben Ali etait bien en France quand il a fuit la Tunisie, la presse a raconté que la France avait refusé a son avion le droit d'atterir mais en realité, il est arrivé sur le sol francais et c'est seulement apres que l'Elizée lui a demandé de s'en aller, voyant que les choses risquaient de tourner au vinaigre si la communaute maghrebine de france decouvrait que la france avait accordé l'asile a ce pourrit consideré auj comme un dictateur. Comment je le sais ? c'est simple, la chaine Al jazeera, qui a été la premiere a diffuser l'info avait des contacts avec un informateur present dans l'avion avec Ben ali au moment de sa fuite mais shuuttt, c'est un secret, faut pas le dire trop fort sinon les politiques et les riches retraités qui ont du pognon en tunisie risquent de pas pvr aller le recupérer.
A propos, vous avez vu l'intervention du maire de Paris, loool, j'en ri encore, nous les tunisiens ceci, nous les tunisiens cela, ben didonc, j'ai jamais vu un politique revendiquer autant de se sentir arabe de coeur, peut etre que les maghrebins se feront moins controler dans les rues de paris par les flics maintenant, ben oui, vu que le maire de paris est un des notres, lool
J'ai adoré aussi cette façon qu'il avait de repeter sans arret qu'il etait tres amis avec des membres de la ligue tunisienne des droits de l'homme et qu'il n'avait pas revu Ben Ali depuis des annnées, au cas ou certains l'aurait soupsonné de le cacher sous son lit peut etre ou a la mairie lool, il serait pas en campagne celui la ??
Enfin un petit mot pour l'Alegerie, mon pays bien aimé, dont on parle moins ces derniers jours mais dans lequel beaucoup souffrent aussi, car Bouteflica ne vaut guere mieux, c'est une marionnette, car tous le monde sais que c'est l'armée qui dirige le pays, pourtant contrairement aux autres pays du maghreb, l'Algerie est un pays immensément riche, bcp ne le savent pas, un territoire 4X plus etendu que la france avec une population 2X moins importante et une grande majorité de jeunes. Saviez vous que l'Algerie n'a pas de deficit exterieur, vous imaginez !!!!! a notre epoque, c'est incroyable, quand on sais que les grandes puissances du monde sont endettés pour les 15 generations a venir, mais comme en tunisie, une poignée detiennent toutes les richesses
Vous me direz c'est comme ca partout maintenant meme ici en France. J'espere que l'Algerie sera la prochaine a se soulever et que la France suivra, car le plus important c'est de se souvenir que le combat n'est pas francais de souche contre etrangers ou chretients contre musulmants mais le combat de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont tout

Anonyme a dit…

@seb En effet, notre situation n'est pas comparable à celle de la Tunisie et autres dictatures de notre monde.

Est-ce que ça fait une bonne excuse pour beaucoup de monde, pour garder la conscience tranquille et ne pas trop se soucier de ce qui se passe chez nous ? J'en ai bien l'impression.

Comme tu dis, tant qu'il y a les soldes...

cultive ton jardin a dit…

"... après avoir assisté à un samedi de soldes où les gens se marchaient littéralement dessus pour consommer..."

Ben, tu faisais quoi dans cette galère? Ton devoir de journaliste, ou...?

Note que beaucoup de gens, désormais, font les soldes pas par frénésie consumériste, mais pour se procurer à prix presque normal des trucs dont ils ont besoin. Genre un pull chaud, des godasses correctes ou autre fantaisie de riche.

personneK a dit…

Pour manifester sans peur après des morts, il faut en être à un autre niveau d'oppression que ce qu'on peut connaître en France. Hé oui...

Sinon le constat pour ma part c'est deux trucs.

1° Les états "démocratiques" ne feront jamais rien pour aider les peuples opprimés à renverser les tyrans (sauf si ça les arrange, comme par exemple pour l'Iran). Et donc : les peuples ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Je mets donc "démocratiques" entre guillements, car être un état démocratique ça devrait aussi se traduire dans sa politique extérieure.

2° La fable du chêne et du roseau : le pouvoir si dur et si puissant de Ben Ali a craqué à une vitesse quand même assez hallucinante. 23 ans de pouvoir sans partage, un mois de révolte et hop.

Seb Musset a dit…

@cultivetonjardin Je suis tombé dedans en me baladant dans le centre de Paris vers la manif anti-Loppsi2 ;) Assez dantesque. Pas vu un tel monde aux soldes depuis des années.

Les soldes, combine marketing qui permet en dépensant 400 euros pour un truc qui en vaut 10, de dire à ses copains : "youpi j'en ai gagné 200 !".

Ju a dit…

@seb les gens ne se révoltent que quand ils ont faim et plus rien à donner à manger à leurs gosses; Ta remarque est très juste; S'ils ont de quoi claquer en futilité, on est loin de la révolte.
pour info, liberté en arabe, ça se dit HOREYA.

Jack22 a dit…

"et que l'islam n'a rien à voir dedans"

Ola pas si vite ! Pour l'instant, il n'a rien a voir dedans. Mais des gens qui attendaient leur heure ont bien remarqué qu'ils avaient une opportunité de prendre le pouvoir. Je suis des plus inquiets.

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