22 août 2016

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Point de rentrée sur l’auto-entreprise

Tiens donc. J'apprends dans Le Parisien du jour que certains auto-entrepreneurs conduisant pour/par Uber le font désormais "au noir" au motif que la plateforme (mot moderne pour "société sans salariés") a changé ses conditions générales d'exploitation et que bon bah c’est pas si rentable que ça pour les chauffeurs au final.


Bossant illégalement, les conducteurs de leur destinée risquent également de se faire avoir une deuxième fois par le fisc et l’Ursaff, même si le nombre d’inspecteurs du travail (pourtant les fonctionnaires les plus rentables pour l’État) reste dramatiquement bas face à l’étendue de la "révolution" de l’"économie collaborative" (expression moderne pour "chacun pour sa gueule, et tout l'argent pour moi").

Il aura fallu sept ans pour que chacun (enfin ceux qui bossent) convienne que l’auto-entreprise est une fumisterie. Peu de mesures sociales auront eu un impact aussi violent et rapide sur le monde du travail sans l'améliorer (hormis une baisse mécanique du taux de chômage. Même si ce n’était pas le but recherché, c’est toujours ça de pris pour les gouvernements successifs histoire de prouver l’efficacité de leurs autres réformes couteuses et/ou inefficaces.

Moi-même j’ai tenu tant que j’ai pu, j’ai cédé à l'AE. Dépassons le cas Uber, qui aura au moins eu le mérite d'exposer l'indécence au grand jour, dans certains secteurs on ne peut tout simplement plus travailler autrement. Nombre de connaissances sont maintenues dans cette zone grise à précaires, voire à précariser.

Si on comprend l’avantage pour les entreprises qui remplacent ainsi de la main d’œuvre salariée, en main d’œuvre à moitié prix ou moins encore, corvéable à merci, disponible sur demande et se concurrençant elle-même à la baisse, pour le travailleur individualisé le statut d'AE est une arnaque du sol au plafond.

C'est une destruction :

- De ses droits (pas de garanties, sécurité sociale au rabais, pas de médecine du travail, pas de cotisation retraites, pas de défense syndicale…)

- Du travail (sans jeter la pierre à nombre de gens qui font bien leur boulot, suivant les métiers c’est la porte ouverte à n’importe quoi. C’est également l’entrée de l’hypothèse d’un travail permanent et sans fin dans notre quotidien, et jusqu'à notre dernier souffle).

- De la solidarité (Mettre chaque individu en concurrence était le fantasme des néo-libéraux pour La France, c’est en passe de réussir au-delà de toutes les espérances).

- C’est également préjudiciable pour les petites entreprises. Elles-mêmes obligées de composer avec cette armée de francs-tireurs non-soumise aux mêmes règles.

Comme quoi, on peut faire beaucoup avec un bon titre marketing. La ruse sémantique étant d’avoir collé "entrepreneur" sur l’emballage. "Auto-servage" c’était moins vendeur. L’auto entrepreneur n’est qu’une main d'œuvre à prix cassée, socialement délocalisée et physiquement disponible.

Mais essayons d'être positifs. Même si cette boîte de Pandore n’aurait jamais dû être ouverte, l’auto-entreprise est un statut qui peut être intéressant :

1 / Comme complément de revenus, salaire ou retraite (même si à l’ère du chômage de masse, permettre à ceux qui gagnent quelque chose de gagner plus en prenant du travail à ceux qui n’en ont pas, ne semblait pas être LA priorité).

2 / Le statut peut s’envisager comme un tremplin vers autre chose. Le salariat ou la création d’entreprise.

Après tout, si l’AE remplace le stage peu ou pas payé (qui est l’autre grande fumisterie du monde du travail depuis un quart de siècle), on pourrait presque le considérer comme une amélioration. Encore mieux, il pourrait déboucher sur un emploi. Ne pas se leurrer : c’est encore trop rarement le cas.

Pour la création d'entreprise, l'AE permet de se constituer une expérience et surtout des clients (mais une entreprise c'est fiscalement très différent et ça nécessite un bon pécule de départ. Avec moins de 32000 euros – 25% par an, dans le meilleur des cas et à condition de ne rien manger et de ne pas avoir de loyer, convenons-en : c’est pas le top).

Dans les deux cas, il faut en sortir au bout d'un an ou deux. Et là surprise : c'est moins simple que d’y rentrer. Entre ceux qui n’ont pas les moyens, les épaules ou tout simplement l’envie de passer en entreprise et ceux qui, même devenus salariés, ont du mal à se réaligner sur le régime général (le RSI étant aussi opaque qu’ingénieux à vous garder dans ses filets), l’auto-entreprise confirme encore sa nature piégeuse. 

J’espère me tromper, j’ai bien peur que ce débat soit écarté des prochaines élections présidentielles.

Pendant ce temps, Uber planche déjà sur des voitures sans chauffeur, débarrassées de leurs entrepreneurs auto-proclamés et grevant encore trop les marges auto-défiscalisées de la société.


P.S : je n'évoque pas ici les cas très nombreux d'AE ne faisant AUCUN chiffre d'affaire.

Articles en lien :
Ils roulent pour Uber au black
Uber veut lancer des voitures sans conducteur
Comment Uber ne paie pas d’impôt

6 comments:

t0pol a dit…

je LIKE le tout ++

Nicolas Jégou a dit…

Ce qui me fait peur, c'est qu'aucun politique n'en parle. Montebourg, par exemple, évite totalement ces sujets.

Anonyme a dit…

Je viens d'en faire l'expérience.
Au départ on t'appelle. Tu zone et donc ça tombe bien. Tu te rend bien vite que le montant de la prestation est imposé. Tu espères presque que l'URSSAF va se rendre compte que c'est un emploi déguisé. J'ai vu faire 200 km aller et autant pour le retour pour un CA de 75 €. Puis un jour tu comprends, tu discutes et on te menace. J'avais de la chance d'être très loin de la boite. Et encore je ne vous raconte pas les retards de paiement, les micmacs quand la boite coule.

J'en ferai presque un billet si je ne craignais pas encore quelques démêlés ou des réflexions que je ne veux pas entendre.

David B.

Anonyme a dit…

Un nouveau métier en période crise économique : les "vélos-taxis", forme moderne des pousse-pousse de Saigon au temps béni des colonies ?
Je n'aurais jamais pensé que l'on pourrait voir un jour à Paris des familles Bidochon, vautrées dans ce genre d'engin qu'un pauvre bougre famélique doit trimballer à la force de ses maigres mollets...
Et un article sur les livreurs à bicyclette :
https://iaata.info/Le-Uber-de-la-restauration-debarque-a-Toulouse-L-independance-c-est-l-esclavage-1023.html

nanou82 a dit…

Concernant Uber, je peux te dire qu'on les lache pas (je travaille à l'urssaf) mais c'est un travail de longue haleine, car il faut bien le reconnaitre, notre législation en matière de protection sociale ne l'avait pas vraiment vu venir.

Concernant les AE, tu dit à la fin de ton billet ne pas évoquer ceux qui ne font pas de CA mais justement, ceux là sont radié au bout de 48 mois sans CA, automatiquement, rien à faire (enfin chez nous...)
Concernant la durée du statut AE, si tu ne dépasses pas le seuil, tu peux rester AE.

Après, pour le statut en lui même, je vais me faire l'avocat du diable pdt une minute.

Au départ, l'intention était vraiment de créer un statut pas trop compliqué qui permettrait aux gens (retraités, tps partiel, etc...) de se créer une petite activité en complément ou en attendant mieux. ça a vraiment était la mauvaise surprise de s'apercevoir que des boites en profitais pour licencier leurs salariés et les reprendre derrière en AE, d'ailleurs on lutte contre ce genre de choses....

Mais la tache est immense, il faut bien le reconnaître

Bébert a dit…

Je sais ce que c'est que monter une boite. Et la faire fonctionner.
On a vendu aux chomistes l'auto-entreprenariat. Arnaque.
Monter une boite, c'est avoir une idée de produit, s'assurer qu'il y a des clients pour l'acheter, s'assurer que ce que paieront les clients permettra de s'en sortir. Ce n'est pas le rêve que l'on vend aux auto-entrepreneurs.
On leur dit: "vous serez le patron, vous bosserez quand vous voudrez".
Ils réalisent bientôt que c'est pas quand ils veulent, mais quand le client veut.
L'arnaque supplémentaire a été d'autoriser les entreprises à contracter avec des auto-entrepreneurs. Leur permettant de remplacer le salarié par un auto-entrepreneur.
Dans un monde capitaliste idéal, ça marcherait. L'auto-entrepreneur étant libre d'envoyer ch...er le patron mécontent. Dans la réalité, les auto-entrepreneurs sont en concurrence.

Auto-entrepreneur:
-Pole emploi content: un chomiste en moins
- patron content: un salarié en moins, des charges en moins
- état content: un retraité en moins.
- pigeon content: je suis mon propre chef. A moi de me plumer tout seul comme un grand.

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