Didier l’épicier jette l’éponge. Où : quand aux premiers jours du sarkozysme l’observateur sensible débusque les excès du libéralisme à tout craint jusque dans la réserve de la supérette d’un petit village de province et qu’il peut jauger de la sénilité triomphante du paysage social. La France de Sarkozy, c’est La France des consommateurs et des vieux inactifs. Le reste, tout ce qui est jeune et qui travaille, se divise en deux catégories : les fils de riches et les exploités.
Après un an de service, Didier, le gentil gars de trente cinq ans qui après avoir été journaliste local, chômeur, palefrenier, chômeur, dépanneur informatique à mi-temps, licencié, photographe de reportages puis de mariages ; Didier qui officie en tant qu'épicier du village et sert tout le monde, souvent à crédit, les grands comme les petits, les jeunes rares comme les retraités, les dociles salariés fatigués de la zone pavillonnaire et les Rmistes esseulés des taudis à APL qui viennent chez lui craquer toutes leurs économies de la semaine, les piliers de bars du quartier, pochetrons ou imbuvables ; Didier donc s’est enfin décidé : dès demain, il envoie son courrier de démission à la direction. La direction est cet organisme irréel avec lequel il n'a pas de contacts directs mais qui l’a pourtant poussé à bout, via les filtres hiérarchiques habituels de ses batteries de chefs de secteurs et autres régionaux déshumanisés.
Résumons le quotidien de Didier depuis un an, depuis qu’il a repris la gérance de la supérette du village - filiale d’un grand groupe de l’ouest - au lendemain du départ brutal par suicide de son prédécesseur. Il officie à la gérance de son échoppe soixante dix heures par semaine, six jours sur sept sans vacances. Le ballet incessant des clients du patelin venant chercher ici, qui une plaquette de beurre, qui un litron de gros rouge, ne lui laisse guère le temps de s’en griller la moitié d’une en réserve. En plus de la vente, il y a les commandes quotidiennes à passer et les rapports détaillés à communiquer à la direction chaque soir - par minitel pour éviter toute flânerie contre-productive sur internet -, mais aussi le ravitaillement à la centrale à vingt kilomètres de là et la manutention des palettes de marchandises débordant de packs de Perrier et de boites de conserves pour les chiens de race des nouveaux riches attirés dans la région par l’odeur de la pelouse entretenue du golf privé avec vue sur mer. Toutes ces tâches sont à effectuer seul - la direction n’a pas les moyens d’embaucher - et selon une procédure stricte dont toute contournement entraîne des sanctions financières directement saisies sur salaire. A ce sujet, le salaire net de Didier est de 1270 euros. L'énoncé du poste ambitieux, où vous prenez votre destin en main et devenez votre patron affiché en caractères gras dans les périodiques gratuits de la région aurait suffit à m’alerter. Didier est une bonne pâte, doublé d’un type courageux et, c’est le paradoxe français, travailleur.
Mais la description faite ici de son poste n’est que la partie émergée de l’iceberg, c’est la partie respectable de l’astreinte parfaitement identifiée par l’employé et de sa direction. Il y a aussi les compensations, ces petits plus qui donnent du cœur à l’ouvrage et fidélisent peu à peu l’employé volontaire à son entreprise comme une augmentation, un avantage en nature ou un intéressement au chiffre d’affaire. Malgré une constante progression de sa recette, Didier n’a reçu aucune augmentation en un an. Durant cette période, il a également attendu ce logement de fonction prévu sur son contrat. Jouxtant le magasin, la grange vétuste prévue à cet effet nécessite des travaux de réhabilitation que la direction refuse de financer malgré les bons chiffres du petit commerce que Didier soutient de ses seuls bras et de sa positivité. Au bout de quelques mois, Didier s’est manifesté à la direction via son maraudeur régional : un petit chef chargé de le visiter chaque semaine pour maintenir la pression. Comme le stipule son contrat en cas d’indisponibilité du logement de fonction, Didier exige une indemnisation financière. Pour le remercier de cette initiative, la somme indiquée lui sera retirée de son salaire trois mois de suite.
La semaine dernière, il décroche enfin une prime d’intéressement, mais au déficit. La direction dans sa gracieuse comptabilité lui réclame 800 euros soit la moitié de la somme dérobée dans sa boutique par des braqueurs le mois passé. Au sujet de cette mésaventure, la dite direction était pourtant censée lui fournir un coffre fort à serrure et non une boite métallique portative à cadenas mais, l’équipement de nouvelles fournitures avait été préalablement - et secrètement - reporté à l’année prochaine. Il vaut mieux faire payer l’épicier ont-ils du penser, si, en dehors des taux de transferts et des retours de marge, ils formulent encore des pensées articulées en mots.
Épisode du jour : la compatibilité, à cheval sur les pointillés, lui réclame 1300 euros pour une facture impayée due pourtant à une mauvaise gestion en amont. Didier doit donc 2000 euros qui seront pris sur son salaire qui, est rappelons-le 40% moindre, sans compter qu’il doit régler à son employeur l’arriéré de loyer pour le logement dont il ne bénéficie pas. Didier touchera donc ce mois-ci un salaire négatif de -700 euros. La conclusion est imparable, malgré sa gentillesse et sa bonne volonté, l’homme est prêt à retourner pointer aigri à L’ANPE :
DIDIER L’EPICIER
Bordel, je ne vais tout de même pas payer pour travailler !
Le régional en costard Vet'affaires lui fait comprendre en termes explicites, qu’il ferait bien de réfléchir à deux fois sur les implications de sa démission. Qu’il y pense effectivement ! Une telle opportunité de travail dans la région, ce n’est pas si fréquent. Et qu’il ne croit pas s’enfuir sans payer sa dette, elle sera ajustable mais non effacée. Au cœur de l'après-midi orageux, Didier s’arc-boute sur son comptoir en formica usé. La sonnette retentit, un gentil retraité vient chercher des tomates. Didier fait part de ses tourments. Le retraité, ancien cadre à revenu intéressant, lui fait la morale et lui dit en substance moralisatrice que, pour lui aussi, les temps sont durs, que c’est la première fois de sa vie qu’il doit compter son argent à la fin du mois, bref qu’il faut s’accrocher. Le retraité aurait bien aimé faire un peu plus la conversation avec son épicier mais il doit s'en retourner superviser le nettoyage de sa piscine par le nouvel homme à tout faire portugais qu’il vient d’embaucher. Il a du se débarrasser du précédent, trop tire au flanc.
Le retrait part chagriné par le départ annoncé de Didier mais, passé la place de l'église, il n’y pensera plus. Seul restera un vague souci dans un coin de son crane : vais-je dorénavant devoir prendre mon 4X4 et aller jusqu’au bourg plus loin pour acheter mes tomates ? Didier, il l’aime bien, lui ou un autre. L’important c’est que la piscine soit nettoyée. Consommateur et retraité, ce brave gars à bedaine qui marche pépère dans la rue principale est de ceux qui dominent la société française : bourreaux malgré eux avec toute la bonne conscience du monde.
Je me rappelle de ce chien errant que j’ai sauvé l’autre soir en rentrant de mon jogging. Il alertait mes voisins par ses cris. Mes voisins l’aimaient bien, le caressaient mais non, ils n’allaient pas le prendre chez eux, ils ne pouvaient pas. Deux secondes après avoir caressé l’animal, trois personnes sur quatre l’abandonnaient là, sans hésiter, à une mort imminente par écrasement sous les roues d’une de ces voitures de beauf qui traverse le village à 130 de moyenne. J’ai pris l’animal chez moi alors que je déteste les chiens. Je l’ai amené à la SPA. Son maître, un nouvel arrivant dans la zone pavillonnaire voisine l’a récupéré le lendemain matin. Je n’ai pas eu un remerciement.
Comme ses semblables de la race salariée, Didier est géré, maintenu sous pression constante jusqu’à temps qu’il craque et qu’il soit remplacé par quelqu’un de plus crédule et de plus énergique donc de plus rentable. Une autorité mystérieuse, planquée dans les ténèbres de l’égoïsme gère en flux tendu les stocks alimentaires et humains de la petite épicerie, sa préoccupation prioritaire c'est la marge bénéficiaire. J’assiste triste mais peu surpris aux applications locales du néolibéralisme dans cet ancien hameau virant banlieue. Il y a dix ans l'endroit devait compter cent habitants qui vivaient de leur conchyliculture. C'était des braves gars qui devaient tout ignorer de cette fameuse mondialisation dont ils viennent d’élire le plus beau représentant à la présidence de leur nation, paradoxalement par peur de l’étranger.
Dans la journée, alors que je viens aux nouvelles à l'épicerie, Didier m'apprend que pour répondre à la future demande des habitants du lotissement en construction, le groupe dont il dépend a signé la construction d’un petit centre commercial avec parking de soixante places, à cent mètres de là. Quant à l’épicier rebelle, une réunion entre régionaux aura lieu jeudi à son sujet pour juger de l’opportunité ou non de le faire participer à cette nouvelle aventure.
Après un an de service, Didier, le gentil gars de trente cinq ans qui après avoir été journaliste local, chômeur, palefrenier, chômeur, dépanneur informatique à mi-temps, licencié, photographe de reportages puis de mariages ; Didier qui officie en tant qu'épicier du village et sert tout le monde, souvent à crédit, les grands comme les petits, les jeunes rares comme les retraités, les dociles salariés fatigués de la zone pavillonnaire et les Rmistes esseulés des taudis à APL qui viennent chez lui craquer toutes leurs économies de la semaine, les piliers de bars du quartier, pochetrons ou imbuvables ; Didier donc s’est enfin décidé : dès demain, il envoie son courrier de démission à la direction. La direction est cet organisme irréel avec lequel il n'a pas de contacts directs mais qui l’a pourtant poussé à bout, via les filtres hiérarchiques habituels de ses batteries de chefs de secteurs et autres régionaux déshumanisés.
Résumons le quotidien de Didier depuis un an, depuis qu’il a repris la gérance de la supérette du village - filiale d’un grand groupe de l’ouest - au lendemain du départ brutal par suicide de son prédécesseur. Il officie à la gérance de son échoppe soixante dix heures par semaine, six jours sur sept sans vacances. Le ballet incessant des clients du patelin venant chercher ici, qui une plaquette de beurre, qui un litron de gros rouge, ne lui laisse guère le temps de s’en griller la moitié d’une en réserve. En plus de la vente, il y a les commandes quotidiennes à passer et les rapports détaillés à communiquer à la direction chaque soir - par minitel pour éviter toute flânerie contre-productive sur internet -, mais aussi le ravitaillement à la centrale à vingt kilomètres de là et la manutention des palettes de marchandises débordant de packs de Perrier et de boites de conserves pour les chiens de race des nouveaux riches attirés dans la région par l’odeur de la pelouse entretenue du golf privé avec vue sur mer. Toutes ces tâches sont à effectuer seul - la direction n’a pas les moyens d’embaucher - et selon une procédure stricte dont toute contournement entraîne des sanctions financières directement saisies sur salaire. A ce sujet, le salaire net de Didier est de 1270 euros. L'énoncé du poste ambitieux, où vous prenez votre destin en main et devenez votre patron affiché en caractères gras dans les périodiques gratuits de la région aurait suffit à m’alerter. Didier est une bonne pâte, doublé d’un type courageux et, c’est le paradoxe français, travailleur.
Mais la description faite ici de son poste n’est que la partie émergée de l’iceberg, c’est la partie respectable de l’astreinte parfaitement identifiée par l’employé et de sa direction. Il y a aussi les compensations, ces petits plus qui donnent du cœur à l’ouvrage et fidélisent peu à peu l’employé volontaire à son entreprise comme une augmentation, un avantage en nature ou un intéressement au chiffre d’affaire. Malgré une constante progression de sa recette, Didier n’a reçu aucune augmentation en un an. Durant cette période, il a également attendu ce logement de fonction prévu sur son contrat. Jouxtant le magasin, la grange vétuste prévue à cet effet nécessite des travaux de réhabilitation que la direction refuse de financer malgré les bons chiffres du petit commerce que Didier soutient de ses seuls bras et de sa positivité. Au bout de quelques mois, Didier s’est manifesté à la direction via son maraudeur régional : un petit chef chargé de le visiter chaque semaine pour maintenir la pression. Comme le stipule son contrat en cas d’indisponibilité du logement de fonction, Didier exige une indemnisation financière. Pour le remercier de cette initiative, la somme indiquée lui sera retirée de son salaire trois mois de suite.
La semaine dernière, il décroche enfin une prime d’intéressement, mais au déficit. La direction dans sa gracieuse comptabilité lui réclame 800 euros soit la moitié de la somme dérobée dans sa boutique par des braqueurs le mois passé. Au sujet de cette mésaventure, la dite direction était pourtant censée lui fournir un coffre fort à serrure et non une boite métallique portative à cadenas mais, l’équipement de nouvelles fournitures avait été préalablement - et secrètement - reporté à l’année prochaine. Il vaut mieux faire payer l’épicier ont-ils du penser, si, en dehors des taux de transferts et des retours de marge, ils formulent encore des pensées articulées en mots.
Épisode du jour : la compatibilité, à cheval sur les pointillés, lui réclame 1300 euros pour une facture impayée due pourtant à une mauvaise gestion en amont. Didier doit donc 2000 euros qui seront pris sur son salaire qui, est rappelons-le 40% moindre, sans compter qu’il doit régler à son employeur l’arriéré de loyer pour le logement dont il ne bénéficie pas. Didier touchera donc ce mois-ci un salaire négatif de -700 euros. La conclusion est imparable, malgré sa gentillesse et sa bonne volonté, l’homme est prêt à retourner pointer aigri à L’ANPE :
DIDIER L’EPICIER
Bordel, je ne vais tout de même pas payer pour travailler !
Le régional en costard Vet'affaires lui fait comprendre en termes explicites, qu’il ferait bien de réfléchir à deux fois sur les implications de sa démission. Qu’il y pense effectivement ! Une telle opportunité de travail dans la région, ce n’est pas si fréquent. Et qu’il ne croit pas s’enfuir sans payer sa dette, elle sera ajustable mais non effacée. Au cœur de l'après-midi orageux, Didier s’arc-boute sur son comptoir en formica usé. La sonnette retentit, un gentil retraité vient chercher des tomates. Didier fait part de ses tourments. Le retraité, ancien cadre à revenu intéressant, lui fait la morale et lui dit en substance moralisatrice que, pour lui aussi, les temps sont durs, que c’est la première fois de sa vie qu’il doit compter son argent à la fin du mois, bref qu’il faut s’accrocher. Le retraité aurait bien aimé faire un peu plus la conversation avec son épicier mais il doit s'en retourner superviser le nettoyage de sa piscine par le nouvel homme à tout faire portugais qu’il vient d’embaucher. Il a du se débarrasser du précédent, trop tire au flanc.
Le retrait part chagriné par le départ annoncé de Didier mais, passé la place de l'église, il n’y pensera plus. Seul restera un vague souci dans un coin de son crane : vais-je dorénavant devoir prendre mon 4X4 et aller jusqu’au bourg plus loin pour acheter mes tomates ? Didier, il l’aime bien, lui ou un autre. L’important c’est que la piscine soit nettoyée. Consommateur et retraité, ce brave gars à bedaine qui marche pépère dans la rue principale est de ceux qui dominent la société française : bourreaux malgré eux avec toute la bonne conscience du monde.
Je me rappelle de ce chien errant que j’ai sauvé l’autre soir en rentrant de mon jogging. Il alertait mes voisins par ses cris. Mes voisins l’aimaient bien, le caressaient mais non, ils n’allaient pas le prendre chez eux, ils ne pouvaient pas. Deux secondes après avoir caressé l’animal, trois personnes sur quatre l’abandonnaient là, sans hésiter, à une mort imminente par écrasement sous les roues d’une de ces voitures de beauf qui traverse le village à 130 de moyenne. J’ai pris l’animal chez moi alors que je déteste les chiens. Je l’ai amené à la SPA. Son maître, un nouvel arrivant dans la zone pavillonnaire voisine l’a récupéré le lendemain matin. Je n’ai pas eu un remerciement.
Comme ses semblables de la race salariée, Didier est géré, maintenu sous pression constante jusqu’à temps qu’il craque et qu’il soit remplacé par quelqu’un de plus crédule et de plus énergique donc de plus rentable. Une autorité mystérieuse, planquée dans les ténèbres de l’égoïsme gère en flux tendu les stocks alimentaires et humains de la petite épicerie, sa préoccupation prioritaire c'est la marge bénéficiaire. J’assiste triste mais peu surpris aux applications locales du néolibéralisme dans cet ancien hameau virant banlieue. Il y a dix ans l'endroit devait compter cent habitants qui vivaient de leur conchyliculture. C'était des braves gars qui devaient tout ignorer de cette fameuse mondialisation dont ils viennent d’élire le plus beau représentant à la présidence de leur nation, paradoxalement par peur de l’étranger.
Dans la journée, alors que je viens aux nouvelles à l'épicerie, Didier m'apprend que pour répondre à la future demande des habitants du lotissement en construction, le groupe dont il dépend a signé la construction d’un petit centre commercial avec parking de soixante places, à cent mètres de là. Quant à l’épicier rebelle, une réunion entre régionaux aura lieu jeudi à son sujet pour juger de l’opportunité ou non de le faire participer à cette nouvelle aventure.
0 comments:
Enregistrer un commentaire