14 mars 2013

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Rencontre avec Arnaud Montebourg : Stop au french bashing !

Sa mission au gouvernement: Relocaliser les emplois en France en favorisant la synergie des compétences et des capitaux, tout en jouant sa partition, avec des moyens limités, entre la machine à dire "non", Jérôme Cahuzac et Pierre mon nom est réduire la dette Moscovici.

Après le désaveu dans la reprise du site de Florange, le cadeau aux entreprises (aussi express que flou) du CICE dans la foulée de la remise du rapport Gallois et l'accord Renault mettant le pied dans la porte de la flexibilité et du gel des salaires sous le poids du chantage à l'emploison action comme son image se troublent. Retour à Bercy, 4 mois après l'entretien avec Moscovicipour une discussion avec Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif.

20h. Il arrive comme une flèche. Il laisse les fauteuils à la dizaine de twittos et blogueurs, prend une chaise. L'entretien dure 45 minutes. Tandis que Montebourg dévore son assiette de nems, nous passons d'un sujet à l'autre sans trop de ligne, sur un ton décontracté.

Les principaux thèmes abordés:

1 / La relocalisation industrielle et le rôle de l'Etat,:
A l'écouter, la "bataille pour relocaliser" s'articule en deux axes. La communication internationale sur les atouts français et l'implication (financière ou pas) de l'état sur le terrain.  

Sur l'international, il positive: "Le monde entier nous admire et nous adore [...] La presse étrangère s’intéresse à cette campagne mondiale "Say Oui to France"[1]. La France est la première destination pour les projets industriels en Europe, le deuxième marché européen, la première destination innovante en Europe.[chiffres d'une récente étude KPMG]"

Il tance le "french bashing" émanant parfois des élites françaises et d'une partie de la presse économique.

"- Heureusement que les investisseurs étrangers ne lisent pas le Financial Times pour faire leurs calculs économiques. [...] La France est un des pays les plus attractifs quand on consolide sur le prix du foncier, sur l'énergie, sur le prix du travail, la productivité..."

Sur le local, Montebourg cite en exemple l'accord Renault"Grace à cet accord, dans lequel nous sommes intervenus des deux cotés. Renault prend l'engagement de relocaliser la fabrication de 200.000 voitures en plus [sur les 500.000 déjà produites]. C'est à dire l'équivalent de l'usine Toyota de Valenciennes".  Le discours sur le protectionnisme d'il y a 18 mois laisse donc place à un vocabulaire de l'offensive  sur un mode enthousiasme qu'il espère communicatif. Il nous donne les exemples des réussites d'Atoll ou de Smoby (qui datent d'avant son arrivée) qui ont misé avec succès sur le rapatriement de leur production en France.


(le film promotionnel de Invest in France, diffusé à l'étranger)

Malgré les chiffres de l'INSEE, la dynamique irait donc dans le bon sens, ou du moins va y aller. Il table sur l'adhésion des consommateurs de plus en plus soucieux de la provenance des produits, incitant à leur tour les producteurs à rapatrier tout ou partie de la fabrication et sur la conjonction des prix énergétiques, du travail et des infrastructures qui conduit et conduira de plus en plus les producteurs à relocaliser.

"- Quand on vous dit qu'il n'y a pas de capital-risque en France, et qu'il faut regarder aux Etats-unis. Oui, on regarde. Et bien, à part la Californie [8e état du monde en taille], tous les états du monde financent le capital-risque" [...] Nous avons utilisé le grand emprunt pour financer le progrès technologique de Peugeot dans le cadre des orientations technologiques de la filière industrielle automobile, c'est-à-dire le véhicule à 2 litres. [...] Il nous intéresse d’être présents (via la CDC ou la BPI)[2] dans de nombreuses entreprises pour financer, guider et recevoir.

Dans le cas des brevets développés par PSA, une partie, à la hauteur de son engagement financier, reviendra à l’Etat.

2 / Le CICE, crédit d’impôt pour la compétitivité et l'emploi:
S'il déborde d'énergie sur la promotion du Made-in-France, sur le CICE, le ministre du Redressement productif est moins convaincant. Il se félicite que les partenaires sociaux puissent débattre de l'usage des 20 milliards d'aide (que ça aille à l'investissement, à la R&D, ou au retard dans le paiement des salaires...) mais est "curieux" de savoir ce que va en faire la grande distribution. Étonnant dans la mesure où ces mêmes entreprises bénéficient déjà d'une fiscalité conciliante, et que les plus grosses d'entre elles, grâce à l'optimisation, payent proportionnellement bien moins d’impôt que la PME du coin, alors qu'elles abusent des contrats à temps partiel. Montebourg renvoie son jugement aux premières évaluations de l'usage du CICE... dans un an. Il reprend donc la dimension du "pari (à 20 milliards financé par une hausse de la TVA)" annoncé par Moscovici dans la même salle quatre mois plus tôt

3 / Zone euro et crise:
Comme ce n'est pas son champ d'action, Montebourg y va plus frontalement sur le sujet et souligne l'impasse des politiques d'ajustement budgétaires, donc celle du gouvernement auquel il appartient (même si cette année, les critères du 3% sont assouplis). "La politique d'ajustement budgétaire ne peut pas étouffer la croissance. Parce que nous mourrons guéris. C'est d'ailleurs ce que les Italiens ont dit." Lance-t-il en référence à la paralysie gouvernementale suite au 25% de Beppe Grillo aux dernières élections.

Puis, il s'énerve contre la BCE qui a prêté à 0% 1000 milliards aux banques, qui en ont prêté à leur tour la moitié à 3 ou 4% aux états. Politeeks lui demande "comment faire en sorte que la BCE change de fonctionnement ?

"- Et bien en leur parlent à l’Eurogroupe. [...] quand les Européens en auront assez de manger les pissenlits par la racine peut-être qu'ils diront à la BCE de se réveiller. [...] Dans les statuts de la BCE, l’Eurogroupe est chargé de s’intéresser à la croissance et aux taux de change, à la monétisation de la dette." Bref, face aux incertitudes démocratiques, le salut viendrait d'une grande prise de conscience générale de ceux-là mêmes ayant guidé les politiques financières qui ont conduit jusqu'ici. A vous de juger.

4 / La fin de la filière automobile ? 
Suit un long moment sur le diesel (je pense que Politeeks reviendra dessus), son interdiction ou pas à 10 ans, et l'inévitable "écologisation" de l'industrie automobile comme de toutes les autres industries. Il nous affirme, malgré le souhait de la moitié des blogueurs présents, que la disparition de la voiture n'est pas pour demain. En revanche, les niveaux des matières premières devraient pousser les clients à changer progressivement de modèle pour se diriger vers les véhicules électriques et les hybrides dont les ventes ont bondi de 245% ces deux derniers mois (50% fabriquées sur le sol français). C'est à l'état d'accompagner les industries dans cette transition.

20h45. Il repart aussi vite qu'il est arrivé (l'incarnation du mouvement fait-elle partie du discours ?). Pas évident de tirer des conclusions d'une rencontre comme celle-ci dont la bonhomie et l'enthousiasme tranchent avec la dureté d'un contexte social et la peine de millions de travailleurs et de chômeurs. Montebourg est structuré quant à sa mission et a bien conscience des limites de son poste. On a bien envie d'y croire autant que lui en l'écoutant, mais générer de la conviction est une part essentielle de sa fonction. Job oblige, il s'est également considérablement ouvert au discours des patrons. Mais, comme il le dit lui-même : "Si nous sommes divisés, nous y arriverons jamais. Dans la guerre économique mondiale, nous ne partons pas divisés".

Reste une question que je ne lui ai pas posée: Comment se positionne-t-il face aux inclinaisons de plus en plus ouvertement libérales de son gouvernement, et combien de temps va-t-il tenir sans résultat positif sur le chômage ?


[2] La CDC est présente dans 2200 entreprises. La BPI est à ce jour présente dans 71 entreprises. 

Illustration: S.Musset

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